Caroline, Marc, Linda, Daniel et Stéphane sont aide-soignante, ouvrier de maintenance, agents d'entretien, de sécurité ou de chambre mortuaire. Œuvrant à tous les étages de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis (93), ils en sont des rouages essentiels mais demeurent dans l’ombre de leur service comme de la société. La réalisatrice Claire Perdrix vous fait découvrir leur quotidien discret en pleine crise sanitaire. Un documentaire poignant avec des témoignages forts.
Ils sont ceux que l’on a appelé « les petites mains du Covid ». Caroline, Linda, Daniel, Stéphane et Marc travaillent à l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis, ils sont les maillons invisibles mais essentiels de la grande chaîne du soin. Comme beaucoup d’employés, ils sont antillais, enfants de la génération du Bumidom, cette immigration organisée par l’Etat dans les années 60 visant à faire venir des Outre-mer une main d'oeuvre destinée à occuper les postes subalternes de la fonction publique. À l’heure où le pays vit une crise sanitaire sans précédent, ce film inédit raconte les destins individuels de ces travailleurs de l’ombre qui vivent entre ici et là-bas, entre le souvenir d’une enfance sous les tropiques et le quotidien sur le front, en Seine Saint-Denis (93).
Ecriture et réalisation Claire Perdrix - Une production Les Nouveaux Jours Productions, avec la participation de France Télévisions
Produit par Maël Mainguy et Morgane Carriou - Durée 52 minutes - 2021
3 questions à Claire Perdrix, la réalisatrice
Claire Perdrix a travaillé plus de dix ans comme reporter de news (France Télévisions, M6, Arte) avant de se consacrer à la réalisation de magazines et de documentaires. En parallèle, elle mène un travail d’écriture de scénario pour la fiction et poursuit son travail de réalisatrice, donnant inlassablement la parole à ceux qui ne l’ont pas : mineurs étrangers isolés, mères en grandes difficultés, paysans d’ici et d’ailleurs...
Ces dernières années, Claire Perdrix s'intéresse aux problématiques écologiques et sociétales des Outre-mer, notamment à travers les documentaires « Les gardiennes de l'île », « Mayotte, les combattantes », ou encore « Wallis-et-Futuna, l'exil à fleur de peau ». En 2021, lors de la 18ème édition du Fifo (Festival International du Film documentaire Océanien), elle reçoit le prix du public pour son film « Makatea, la terre convoitée ».
Dans votre film, vous mettez en avant la communauté antillaise travaillant en milieu hospitalier. Selon vous, sont-ils des héros discrets, travailleurs de l’ombre ?
Claire Perdrix : Si les soignants ont été applaudis pendant le premier confinement comme des héros, alors oui les protagonistes de ce film le sont aussi. Ils ont été exposés physiquement et moralement à la pandémie de la même façon, ils n'ont pas compté leurs heures. Ils sont les "petites mains" auxquelles on ne prêtait pas attention avant le Covid et dont on a découvert la fonction essentielle : sans morgue, sans ménage, sans atelier, aucun hôpital ne peut fonctionner. Par ailleurs, pour eux, dont une grande partie de la famille vit aux antipodes, il a fallu aussi gérer la double peine, la double peur : peur de ramener le virus le soir à ses proches en rentrant à la maison et peur de voir sa famille restée aux Antilles être touchée sans pouvoir y aller. Ils ont assumé, dans l'ombre mais avec conviction.
Vous avez souhaité mettre en avant des témoignages bruts sans commentaire, est-ce un parti pris ?
C.P. : Oui. Trop de personnes issues de la génération Bumidom ont vu leur parole confisquée pendant trop longtemps, il me semblait essentiel de laisser la part la plus grande possible à leurs témoignages. Par ailleurs, cette pandémie a donné lieu à tant d'expertises, de commentaires, de spécialistes ou non, il ne semblait pas pertinent d'en rajouter... Et pour finir le film est construit comme une chronique de l'entre deux vagues, un instantané qui me semblait-il pouvait être largement compris sans être soutenu par un commentaire.
Quel constat pouvez-vous faire sur ces femmes et ces hommes, enfants de la génération du Bumidom ?
C.P. : Le Bumidom reste un tabou dans pas mal de familles. Un non-dit. Comme une petite tâche dans le parcours. Il a pourtant été bénéfique pour pas mal de jeunes et de familles ensuite, mais sa mise en place est largement contestable et les promesses faites à l'époque trompeuses. Se transmet sans doute la honte d'avoir cru à une forme d'Eldorado et l'amertume de la trahison. À la 2ème génération ce sentiment est toujours là, d'autant qu'il faut gérer le paradoxe de vivre l'exil dans son propre pays. Pour ceux qui sont venus enfants (par le biais du regroupement familial), même s'ils ont totalement pris leur place dans la société et s'y sentent souvent très bien, le vrai pays est toujours la terre natale, celle des premiers souvenirs, celle des années d'insouciance, l'exil est "une petite plaie qui reste commune à tous les Antillais" comme le dit Marc dans le documentaire.
Propos recueillis par Sophie Desquesses