Georges Frêche

Synopsis

En Languedoc, Georges Frêche a longtemps été Le Président. Yves Jeuland avait filmé sa dernière campagne électorale. Ebouriffante et captivante, sa caméra ne l’avait jamais quitté pendant de long mois. Partout, son œil était là, dans le secret des conciliabules et les fins de banquet, face aux médias, dans son bureau, dans sa voiture, au saut du lit comme au bord de sa piscine… Georges Frêche se révéla un formidable animal politique, un grand acteur rabelaisien, matois et provocateur. Comédie humaine violente et jubilatoire, drôle et impitoyable, ce film est un voyage au cœur de l’ultime campagne de  Georges Frêche, décédé quelques mois seulement après le tournage de ce film.

Entretien avec Yves Jeuland

D’où est venue l’envie, l’idée de consacrer un film à cette personnalité politique singulière qu’est Georges Frêche ?
J’ai toujours aimé la politique, et plus encore les élections. En 1974, j’avais six ans et je me passionnais déjà pour la présidentielle, les bureaux de vote, le dépouillement,
les professions de foi… J’avais une idée très précise de tous les candidats, d’Arlette Laguiller à Jacques Chaban-Delmas, mon grand favori, au grand dam de mes parents qui étaient plutôt PSU et CFDT. Très vite, comme réalisateur, je me suis donc tourné vers une élection. Ce fut d’abord la municipale de mars 2001 à Paris, un tournage de deux ans au total pour aboutir à Paris à tout prix, un documentaire réalisé avec la journaliste Pascale Sauvage et diffusé sur Canal plus. Je me souviens avoir déjà pensé à Georges Frêche à l’époque. Il faisait partie de mon univers depuis mes années d’étudiant à Montpellier. Il avait été mon maire pendant cinq ou six ans, époque où il m’arrivait d’aller assister aux débats fracassants des conseils municipaux notamment entre Frêche et Jean-Claude Martinez, l’élu du Front national. J’y allais comme on va au spectacle. J’étais étudiant en lettres et en art dramatique et j’habitais juste à côté de la fac de droit où il m’est arrivé d’accompagner un copain aux cours de Frêche, là aussi comme au théâtre.

À quelle distance vous situez-vous de la politique, et en l’occurrence de Frêche lorsque vous le filmez ?
J’ai une passion pour la politique, je l’ai dit, et en général plutôt de l’estime pour les politiques et je ne souscris nullement au discours «Tous les mêmes, tous pourris». Pour autant, je ne sais pas si j’aurais voté Georges Frêche si j’avais encore été électeur en Languedoc. Ce n’est pas d’ailleurs le propos du film. C’est un grand acteur que je suis allé chercher, une vraie figure cinématographique, un ogre. Mais deux autres protagonistes se sont révélés au cours du tournage. Quand on rencontre Frédéric Bort pour la première fois, on n’imagine pas forcément qu’il deviendra aussi bon acteur. Il se révèle d’une efficacité redoutable, d’une grande réactivité, fait preuve d’une intelligence des situations… Et puis il y a le directeur de la communication, Laurent Blondiau, plus rond, pour lequel on éprouve une empathie immédiate. C’est peut-être le personnage auquel on s’identifie le plus facilement, on stresse avec lui, on rit avec lui. J’ai eu cette chance de trouver ces grands seconds rôles. J’ai donc choisi un lieu de tournage, de bons acteurs et une situation qui raconte une histoire qui dépasse les frontières du Languedoc- Roussillon. Et j’ai essayé de filmer en confiance mais sans complaisance.

Il donne le sentiment d’être le seul conscient qu’il y a une caméra. Il cabotine, mais pas les autres personnages…
J’ai au contraire l’impression qu’il oubliait la caméra ou en tout cas qu’il s’en moquait. Vers la fin du tournage seulement, il a commencé à me repérer un peu, mais au début il ne me calculait pas du tout. Il ne communiquait que très peu avec moi : on faisait des voyages de trois heures pour aller au fin fond de la Lozère et il ne m’adressait pas un mot dans la voiture. On s’est apprivoisé. Il a commencé à savoir vaguement comment je m’appelais au bout de quatre mois de tournage ; avant j’étais selon les jours : le cinéaste, le parisien, le cameraman, le carcassonnais… C’était une chance car quand il a commencé à prendre conscience de ma présence, il pouvait s’adresser à la caméra. Une fois, au foot, il croise dans les vestiaires Louis Nicollin, le président du Club, et lui dit : «Tiens, il y a un type qui fait un film sur moi, viens, viens à côté de moi, il va nous prendre en photo !» Il a pris Nicollin par le cou et il s’est mis à poser avec lui. J’étais assez interloqué. Bizarrement, il ne jouait jamais la comédie. Il n’y avait jamais eu de vrai film sur lui. Des émissions, des reportages bien sûr mais c’est différent. D’où son rapport étonnant à la caméra, un détachement et une grande confiance.

Au départ du projet, vous ne pouviez imaginer les rebondissements de la campagne, ce que les phrases de Frêche sur Fabius notamment allaient provoquer, lui donnant du même coup une stature nationale, comment avez-vous alors réagi ?
2010 fut une année Frêche. Je n’imaginais ni l’affaire Fabius, ni qu’il nous fasse le mauvais coup de tirer sa révérence juste avant la sortie du film. Le 28 janvier, j’étais en montage à Paris, et Alexandre Hallier m’appelle le matin quand on entend l’histoire à la radio. Au début j’ai pensé que c’était juste une péripétie de plus. Mais vers midi, Alexandre m’annonce que Mandroux va parler dans l’après-midi, alors j’ai sauté dans le premier train, et trois heures après j’étais dans le bureau de Frêche. Ce fut un tournant important. Sans doute Frêche a-t-il été un peu sonné au début mais cette histoire l’a en fait requinqué, revigoré. Dans le film, on le voit dans des moments de solitude, de fatigue, il accuse le coup. Mais après l’imprévu du 28 janvier, ces moments-là se font plus rares. Il retrouve une énergie incroyable. Ce qui donne des choses formidables pour le film, le voyage à Paris etc., comme s’il ne trouvait de la force que dans l’adversité. Mais, en même temps, j’étais allé chercher la peur de la mort, la solitude, le dernier combat, Frêche face à lui-même… Et tout cela s’est estompé avec le tourbillon médiatique qui débute fin janvier et lui fait vivre sa plus belle campagne. J’ai sans doute perdu un peu du Frêche inquiet, mélancolique que j’avais au début, il n’avait plus le temps de réfléchir, il était ravi de cette tempête. Mais j’ai gagné en dramaturgie, en couleurs et en situations rocambolesques. Jouissance et solitude du pouvoir.

Les sorties de Frêche suscitent des jugements moraux, comment vous situez vous par rapport à cela ?
C’est vrai que la gauche de Georges Frêche n’est pas la mienne. Ma culture politique est plus proche de la deuxième gauche de Michel Rocard, ou encore de Cohn-Bendit… Cela dit, on peut trouver Frêche clientéliste, cynique et populiste, mais ce sont malheureusement des pratiques assez largement partagées par ceux qui veulent se maintenir au pouvoir. C’est pour cela peut-être que mes héros, Mendès, Blum, Daniel Mayer ou Rocard ne sont pas restés longtemps au pouvoir. Mais prenons Jack Lang ou Laurent Fabius, ils sont juste plus policés, plus présentables mais leurs méthodes ne sont pas tellement éloignées de celles de Georges Frêche. Simplement Frêche est tumultueux, truculent, rabelaisien, du coup il crie tout ça très fort, et l’on s’en indigne. J’ai sans doute profité du fait qu’il parlait fort.

Un film de Yves Jeuland
Producteur délégué Alexandre Hallier
Production La Générale de Production
Avec la participation de Planète
Avec le soutien du CNC

Unité documentaires : Clémence Coppey, Emmanuel Migeot