Et voilà qu’un beau jour on vous propose d’interpréter pas moins que le grand Voltaire...
Thomas Solivérès : Pas moins que ça, en effet... (Rires) Remarquez, on ne me l’a pas offert sur un plateau, il a fallu que j’aille le chercher. J’ai passé plusieurs auditions afin de convaincre Alain Tasma et la production de me confier le rôle. Autour de moi, on a cherché à me rassurer un peu, et j’en avais besoin, j’étais très impressionné par Alain, c’est quelqu’un qui en impose, et quand on sait qu’il a travaillé avec Truffaut, Godard, Schroeder... vous imaginez. Finalement, il m’a rappelé pour me dire que j’avais été choisi. Tardivement, car je crois que la plus grande partie de la distribution était déjà bouclée. Et très vite nous avons travaillé, beaucoup, beaucoup, beaucoup. Nous nous sommes vus en tête à tête des demi-journées entières pour parler de Voltaire, du rôle, de l’époque... C’était très agréable et très rassurant pour moi, car nous avons créé une relation et une connivence telles que, par la suite, sur le plateau, nous n’avions presque plus besoin de parler.
Et Voltaire, il vous impressionnait ?
T. S. : Évidemment ! Il faut être à la hauteur, quand même. Mais j’ai essayé de ne pas trop y penser. Ou plutôt j’ai tâché de m’enlever un peu de pression, comme je l’avais fait pour Rostand, dans Edmond, en me documentant, en lisant, de façon à ne plus avoir de doutes une fois devant la caméra. Et puis le tournage d’une série impose de maîtriser le scénario à fond et de connaître parfaitement son texte car, au cours d’une journée, on ne cesse de passer d’un épisode à l’autre. Enfin, je me suis répété que je ne jouais pas Voltaire mais François-Marie Arouet en train de devenir Voltaire, et c’est très différent, c’est-à-dire non pas le Voltaire de la maturité qui a écrit, qui est en place, qui est respecté, qui est craint, etc., mais un jeune fils de notaire ambitieux, impertinent, talentueux, ombrageux, rancunier qui se cherche et cherche sa place dans le monde, qui se cogne et qui bouscule. Ça nous semblait très moderne parce que ça nous parle encore, plus de deux siècles plus tard. Cette série, au fond, c’est un peu un spin-off : vous avez aimé le vieux philosophe, eh bien voyez comment tout a commencé...
Un personnage en devenir...
T. S. : Exactement. C’est très excitant pour un acteur de jouer un être plein de contradictions, ambivalent, en équilibre, qui peut basculer d’un côté ou de l’autre. Arouet cherche les faveurs du pouvoir mais se saborde lui-même par des écrits subversifs. Il est préoccupé de sa seule gloire – son frère le lui dit, d’ailleurs : c’est un égoïste –, il est avide d’argent, de femmes, de plaisirs, mais en même temps il s’ouvre au monde et prend parti. Et il grandit peu à peu en regardant les autres et en s’intéressant à autre chose qu’à lui-même. Je me rends compte aussi que c’est la première fois qu’on me confie un rôle si actif. Jusque-là, la plupart des personnages que je jouais étaient poussés ou bousculés par l’intrigue. Voltaire, lui, se révolte, décide, se met en colère, se bat...
Jouer dans une fiction en costumes, c’est davantage d’exigence ?
T. S. : J’avais parfois l’impression d’être au Club Med, quand Alain me demandait si j’avais bien eu mon cours d’escrime ou celui d’équitation, où j’en étais de mes leçons de maintien ! (Rires) De son côté, Christa Theret, qui joue Adrienne Lecouvreur, avait des leçons avec un comédien du Français. Mais cette exigence, c’est celle d’Alain. Il connaît incroyablement son sujet et il est quasiment impossible de le prendre en défaut. J’ai le souvenir par exemple d’une discussion au sujet du tissu d’une chemise qui ne collait pas selon lui avec le XVIIIe siècle ! Et il demande à tous le même engagement, sur tous les aspects d’un tournage, de l’interprétation aux décors, en passant par la lumière ou les accessoires. Il arrive qu’on enchaîne les tournages, qu’on manque de temps pour préparer un rôle, et alors on perd un peu de vue l’exigence dans le jeu et le sens du détail. Alain vous remet en question, avec lui on s’interroge, on réfléchit, on tente des choses, c’est assez exaltant. Je souhaite à tous les comédiens d’avoir l’occasion d’être dirigés par Alain.
Propos recueillis par Christophe Kechroud-Gibassier