Ils ont dominé le monde de la musique classique jusqu’à la fin des années 1980. Bernstein et Karajan n’avaient rien en commun, mais partageaient la même passion pour la musique et l’envie de la démocratiser. Portrait de deux immenses chefs d’orchestre.
Herbert von Karajan et Leonard Bernstein ne se sont rencontrés que deux fois. Ils se sont longtemps observés de loin, se portant mutuellement un profond respect. Tout les opposait. D’un côté, l’Autrichien, fils de chirurgien, qui a grandi à Salzbourg ; de l’autre, l’Américain, élevé à Boston par un père homme d’affaires. À l’Est, le directeur d’opéra, nommé à 21 ans, qui a pris sa carte du Parti nazi ; à l’Ouest, le jeune juif qui deviendra le premier chef américain à la tête de l’Orchestre philharmonique de New York. Pourtant, tous deux ont commencé leur éducation musicale par le piano, puis échappé à l’emprise paternelle pour vivre de leur passion.
Des parcours opposés
« Herbert von Karajan s’est fait lui-même, rappelle l’écrivain et critique musical Norman Lebrecht. Pour Bernstein, plusieurs personnes peuvent se revendiquer d’être une part de lui-même. » Il y eut d’abord le chef Dimitri Mitropoulos, puis Fritz Reiner et, surtout, Serge Koussevitzky, le « père spirituel ». Tandis que Herbert tombe peu à peu en disgrâce auprès de Hitler, Leonard remplace au pied levé le chef souffrant de l’Orchestre philharmonique de New York et se fait un nom. Après la guerre, lorsque Karajan doit, pour échapper à l’exil, passer en commission de « dénazification », Bernstein noue, lui, des liens très forts avec l’Orchestre philharmonique d’Israël, qu’il dirige lors des cérémonies de création de l’État d’Israël en 1948.
La démocratisation de la musique classique
Pour Herbert, interdit de concerts, la rédemption arrivera par l’agent britannique Walter Legge, grâce à qui il devient chef de l’Orchestre Philharmonia de Londres, et enregistre des disques dans les studios d’Abbey Road. « Il produit un son qui n’a jamais été enregistré auparavant », souligne le critique James Joly. De façon inédite, Legge et Karajan éditent en masse de la musique classique. En 1954, on lui propose enfin la direction de l’Orchestre philharmonique de Berlin. Karajan exige un contrat « pour la vie ! » En 1956, Bernstein est, de son côté, nommé à la tête de l’Orchestre philharmonique de New York. Cela lui donne un nouvel élan et une réputation internationale. Leonard est également compositeur — il est notamment l’auteur de la comédie musicale West Side Story — et un formidable pédagogue, qui anime des émissions de radio, puis de télévision pour les plus jeunes. Herbert a, lui aussi, compris l’importance des médias pour ouvrir la musique classique au plus grand nombre. Comme Bernstein, il a été l’un des premiers à s’emparer de l’industrie du disque, et n’aura de cesse jusqu’à sa mort, en 1989, d’enregistrer en studio l’ensemble du répertoire. Son éternel rival décède un an après.
Une passion pour Mahler
Icônes des années 1970, tous deux ont inventé le glamour de la musique classique et l’ont démocratisée. C’est seulement à la fin de leur vie qu’ils se tourneront, chacun, vers Mahler : « Ce sont deux hommes vraiment très différents qui se rencontrent dans la musique de Mahler », analyse James Joly. Une différence que la mezzo soprano Christa Ludwig, qui a travaillé avec eux, définit ainsi : « Karajan a dirigé la musique et Bernstein était la musique. »
Anne-Laure Fournier
Collection documentaire
Durée 52 min
Auteure-réalisatrice Emmanuelle Franc
Production Zadig Productions / INA / Orchestre national d’Île-de-France, avec la participation de France Télévisions
Année 2015
Disponible en audiodescription
#duelsF5