Certains destins peuvent bouleverser l’avenir d’un pays. « Docs interdits » retrace le parcours hors du commun de Léon Blum, qui au cours de l’entre-deux-guerres initia les avancées sociales les plus fondamentales qu’aient connues la France à ce jour. Un documentaire signé Julia Bracher et Hugo Hayat qui revisite une page cruciale de l’histoire de France, recouvrant les deux guerres mondiales, et explore les aspects les plus troubles de la société française, rongée de l’intérieur par le spectre de l’antisémitisme.
Rares sont les hommes politiques ayant légué à la nation un héritage aussi considérable, et qui en furent si peu récompensés. L’histoire de Léon Blum est celle d’un surdoué issu d’une famille juive alsacienne. Ses origines nourriront une stigmatisation constante à son endroit tout au long de son éminente carrière.
Dès l’âge de 17 ans, il intègre l’École normale supérieure tout en écrivant chaque soir des critiques littéraires et théâtrales pour la très renommée Revue blanche. Entre sa passion pour l’écriture et les études, le choix n’est pas évident. Il sera donc renvoyé pour manque d’assiduité après avoir manqué de nombreux cours. Cet impair ne l’empêche en rien de poursuivre son ascension fulgurante. Après son mariage avec Lise, il fait son entrée au Conseil d’État. N’ayant en rien renié ses premières amours, il continue à écrire, et devient l’un des critiques les plus en vue de la place de Paris. Son parcours sera aussi fortement marqué par sa relation quasi fraternelle avec Jean Jaurès, qu’il aidera à créer L’Humanité, dont il sera l’une des plumes.
« L’inquiétude que crée sa possible arrivée au pouvoir au sein de certains mouvements politiques inspire une campagne de dénigrement insupportable »
A l’aube des élections législatives de 1936, le pouvoir semble tendre les bras à celui qui est devenu la figure incontournable de la SFIO, qui participe à la coalition du Front populaire avec les autres forces de la gauche française. L’inquiétude que crée sa possible arrivée au pouvoir au sein de certains mouvements politiques inspire une campagne de dénigrement insupportable : des caricatures le représentant comme un serpent, un maniaque ou un personnage obsédé par l’argent souhaitant vendre la France aux étrangers fleurissent dans la presse nationaliste. Cette campagne de déstabilisation, orchestrée par Charles Maurras, leader de l’Action française, n’est pas sans rappeler les dérives de l’affaire Dreyfus. Maurras ira d’ailleurs jusqu’à déclarer : « Il faut tuer Léon Blum… Mais il faut le tuer, pas de face, mais de dos, comme un traître, un animal… », raconte le sociologue Pierre Birnbaum. Une haine soulignée également dans les correspondances que Maurras adressa au politicien : « … J’ai un révolver à onze coups à la maison. Les onze coups seront tous pour vous… », peut-on lire dans ce courrier exhumé. Ce climat de frayeur n’empêche cependant pas les Français de faire gagner la SFIO aux élections, et de porter par voie de conséquence Léon Blum à Matignon. S’ensuit un tournant majeur pour le pays, avec l’adoption d’une série de mesures historiques qui transforment l’existence des citoyens, les congés payés et la semaine de 40 heures en étant les plus emblématiques.
A l’été 1936, les Français ont à peine profité de leurs premières semaines de temps libre qu’ils voient déjà le spectre de la guerre se profiler. À la veille du conflit, Blum, qui perd sa femme, refuse de voter les pleins pouvoirs au général Pétain, contrairement à 569 autres députés de l’Assemblée nationale. Le héros de la guerre de 1914 ne tarde pas à le lui faire payer chèrement. En septembre 1940, Blum est arrêté par la police. Au terme d’un procès dont l’issue est déterminée à l’avance par Pétain, l’ancien chef du gouvernement est condamné à la détention à perpétuité. Le 31 mars 1943, la police le livre à la Gestapo, qui le transfère dans un camp non loin de Buchenwald. Parvenant à s’enfuir avec sa nouvelle compagne après deux années d’enfermement, il reviendra en France en 1945 alors que tout le monde le croyait mort. Malgré la demande émise par le général de Gaulle, Léon Blum refusera d’intégrer le gouvernement à la Libération.
Yannick Sado