Alors que la première sélection du prix Goncourt a été dévoilée mardi 7 septembre, France Télévisions revient sur l’histoire de René Maran, premier Noir à avoir reçu la récompense en 1921. Portrait d’un homme qui se voulait pareil aux autres.
À travers l’histoire du prix Goncourt décerné à René Maran, qui a suscité une polémique médiatique internationale, de son roman Batouala, précurseur de la négritude, de ce grand auteur épris de littérature, se raconte tout un pan de notre histoire. Il a été le premier à révéler la réalité du système colonial. Un portrait passionnant signé Fabrice Gardel et Mathieu Weschler, qui ont recueilli des témoignages inédits, notamment ceux des académiciens Dany Laferrière et Amin Maalouf.
Le scandale politique
Le 14 décembre 1921, dans le mythique restaurant Drouant, le président de l’académie annonce le nom du vainqueur, René Maran. La confusion règne. René Maran est un inconnu et « de surcroît » il est noir. Le Parisien titre : « C’est la première fois que les Noirs jouent et gagnent ». Si certains louent la qualité de l’œuvre, des rumeurs pleines de fiel courent ; on accuse Maran de plagiat ou, ironie, d’avoir fait appel aux services d’un nègre. En France, la polémique médiatique devient scandale politique. Car Maran, dans sa préface, pointe du doigt les abus et dérives de la réalité coloniale, qu’il connaît bien puisque, depuis 1909, il est fonctionnaire aux affaires civiles coloniales à Fort-Archambault. Alors qu’il est parti gonflé d’un idéal colonial inspiré de Pierre Savorgnan de Brazza, d’un rêve d’une force des Lumières, d’une mission civilisatrice humaniste, il découvre au fil des ans combien la vie coloniale avilit et ses idéaux battent de l’aile. Nombre de colons sont des ivrognes, des arrogants, des ignares cruels, qui voient l’Afrique comme un immense terrain de jeux où tout est permis. Toutes les exactions. Le viol, la destruction de la faune et de la nature, la déchéance. Ces dérives salissent la France. « Vous êtes en train de saccager une humanité, des cultures, des sociétés, des civilisations, des croyances », écrit-il. Ou encore « Civilisation, tu as bâti ton royaume sur des cadavres. » Son malaise grandit alors que la guerre éclate et que des dizaines de milliers de Sénégalais sont envoyés à la boucherie.
Personne avant lui n’avait osé dénoncer l’action française dans ses colonies, les excès des colonialistes. Une dénonciation d’autant plus forte qu’elle vient d’un administrateur, qui connaît le système colonial de l’intérieur. Il sera le premier, avant Voyage au Congo d’André Gide en 1927 et Terre d’ébène d’Albert Londres en 1929, à regarder cette réalité en face. « Les coloniaux voueront ce livre aux gémonies. Peu m’importe, ce n’est pas pour les idiots que j’écris », analyse-t-il. Fonctionnaires, militaires, politiques, diplomates, grandes compagnies ayant investi dans les colonies s’insurgent contre ces « mensonges ». À l’Assemblée nationale, des parlementaires exigent des sanctions. On l’accuse de discréditer la France au profit de l’Allemagne.
Aux États-Unis, où la ségrégation est chose commune, la reconnaissance d’un auteur noir ébranle tant elle semble inimaginable. Tous ceux qui, comme le philosophe et écrivain afro-américain Alain Locke, se battent, depuis des années, pour que les Noirs puissent accéder à des postes prestigieux au même titre que les Blancs voient dans ce prix décerné par la France un moteur pour leur cause.
Un homme comme les autres ?
En 1947, René Maran écrit Un homme pareil aux autres, où il parle des fantasmes qui font écran entre une Blanche et un homme de couleur. Le titre de ce roman exprime l’aspiration de l’auteur. Comme le précise Amin Maalouf, « René Maran n’est pas un idéologue, c’est un homme de nuance et de conciliation. C’est quelqu’un qui cherche à concilier les différents mondes auxquels il appartient. » Alors qu’il est un jeune élève, un professeur qu’il admire pour sa rectitude morale lui préconise la lecture du philosophe Marc Aurèle, lequel préconise dans ses écrits la puissance du bien et la maîtrise de soi. Le stoïcien devient son auteur de référence. Tout au long de sa vie, René Maran gardera une droiture exceptionnelle, une capacité d’analyse et de jugement, affrontant en gardant son cap les rumeurs venimeuses et les soubresauts de l’histoire. Administrateur en pays banda, il perçoit l’ambiguïté de sa situation. Si ses papiers l’identifient comme français, ses collègues lui font sentir qu’ils le considèrent comme un Noir. Pour les Africains, s’il est noir comme eux, il représente le pouvoir colonial. Trop noir, trop patriote d’un côté, de l’autre pas assez. Lors d’un déplacement au Congo belge en 1914, un hôtelier refuse de lui louer une chambre, car les « nègres ne sont pas acceptés ». Suite à cette humiliation, il prend conscience qu’il est et restera nègre aux yeux de ceux qui vivent aux colonies. Il écrit à l’administration pour qu’elle prenne en considération sa situation et les avanies qu’il doit endurer. Mais elle reste indifférente à sa situation. Pire, elle sanctionne son insoumission. Il trouve alors refuge dans l’écriture. Il démissionne en 1924 et rentre à Paris.
L’exposition coloniale de Paris, où les « échantillons » des populations sont représentés derrière des grillages et dans une mise en scène qui épouse les préjugés raciaux de l’époque, heurte sa sensibilité et sa conviction que les hommes sont égaux.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que certains intellectuels se compromettent avec l’occupant, il méprise les pétainistes et saisit très tôt, comme son ami Félix Éboué, le danger que représentent Hitler, Mussolini et Staline. Lorsque les Allemands lui demandent un texte mettant en cause le traitement des Noirs par les Français, lui qui a lu Mein Kampf rétorque : « Pourquoi venez-vous me voir ? Les sauvages noirs n’écrivent pas. »
Fidèle à ses valeurs, il devient l’ami d’Hô Chi Minh, participe au salon des sœurs Nardal qui réunit les artistes internationaux, est l’ami de Senghor, Césaire.
Celui qui s’est toujours senti un homme pareil aux autres, qu’il soit noir ou blanc de peau, un homme écrivain, refusera jusqu’à la fin de sa vie les honneurs.
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Le communiqué de presse
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