Imitateur et portraitiste de génie, Thierry Le Luron a offert ses lettres de noblesse à la caricature et marqué de son talent les années 1970 et 80.
Né, en 1952, à Paris d’un père breton, Thierry Le Luron avait choisi de conserver son vrai patronyme lorsqu’il a débuté sa carrière. Remarqué pour ses prestations vocales au « Jeu de la chance » (qu’il remporte) dans Télé dimanche, c’est son imitation de Jacques Chaban-Delmas, à l’occasion des soixante-dix ans de Jean Nohain, le 15 février 1970, qui lui ouvre les portes des galas puis des émissions de télévision.
Difficile d’imaginer aujourd’hui à quel point Thierry Le Luron a révolutionné l’imitation et la place de celle-ci dans notre société. Avant lui, cette discipline n’était réservée qu’aux premières parties des spectacles. Il n’en sera plus jamais ainsi après… Tout au long de ses seize ans de carrière, pour lui offrir ses lettres de noblesse, il n’a cessé de révolutionner le métier.
« Il était très pointilleux sur le texte, explique Bernard Mabille qui fut son auteur à partir de 1976. Il avait compris que le texte était le plus important. Il me disait une fois que si on n’a rien à dire, c’est fini, on perd les spectateurs. » Dès lors, plus aucune imitation ne sera gratuite. Il aime à brocarder les travers des uns et des autres, à rétablir la vérité quand quelque chose sonne faux, au risque de blesser, parfois. Ainsi, il s’amuse des présumés play-back à la télévision de Mireille Mathieu, du départ de Line Renaud pour Las Vegas, de la gestuelle et du strabisme de Dalida, ou encore d’une publicité mettant en scène Alice Sapritch. « Il était arrivé à un tel stade de notoriété que les personnes qu’il imitait ne savaient pas si elles devaient être flattées ou contrariées, précise Bernard Mabille. Je me souviens d’Alice Sapritch qui me disait : “Thierry me tourne en ridicule, il faut retirer le texte.” On retire le texte à Marigny et, quatre jours plus tard, elle revient pour me demander de remettre le texte, car plus personne ne parlait d’elle. »
Rien de l’actualité culturelle, sociétale ou politique ne lui échappe. Il se moque des déboires de Charles Aznavour avec le ministre de l’Économie Jean-Pierre Fourcade en parodiant une chanson de l’artiste, « Camarade », ironise sur le côté faussement populaire du président Giscard d’Estaing ou faussement loubard de Renaud. Des moqueries qu’il poursuit après l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981. « Quand il stigmatisait quelqu’un, il fallait du temps pour qu’il s’en remette », précise le journaliste Jean-Pierre Elkabbach. Des coups d’éclat qui en ulcérèrent certains et poussèrent d’autres à tenter par tous les moyens de le censurer, sans jamais parvenir toutefois à le museler.
Clotilde Ruel