Portrait d'Élise Lucet et logo du magazine Cash Investigation

Cash Investigation - Salariés à prix cassé : le grand scandale

Magazine - Inédit - Mardi 22 mars 2016 à 20.55

Pour ce nouveau numéro, Cash Investigation s’est intéressé à la fraude sociale des entreprises lorsqu'elles emploient des travailleurs détachés. Explications du rédacteur en chef Emmanuel Gagnier.

Depuis son instauration en 1996, la directive européenne 96/71/CE sur le détachement des travailleurs a bénéficié à plusieurs millions de salariés. En quinze ans, le recours à ces travailleurs n’a cessé d’augmenter. Revers de médaille : la fraude sociale des entreprises s’est, elle aussi, envolée. En 2010, en France, on estimait à 300 000 le nombre de travailleurs détachés non déclarés contre un peu plus de 200 000 « salariés légalement détachés ». Soit un manque à gagner pour notre système de protection sociale estimé à 380 millions d’euros*. 

Les effets pervers de la directive européenne
Le montant des cotisations patronales varie d’un État à un autre. Si en France, il se monte en moyenne à 38 %, il est de 27 % en Roumanie, de 23 % au Portugal et de 18 % en Pologne. On devine tout l’intérêt pour un entrepreneur français d'avoir recours à une main d’œuvre originaire d’un autre État membre. Certes, à poste équivalent, ces employés devront percevoir un salaire identique, mais les cotisations seront plus faibles dans le cas des travailleurs détachés. Cette concurrence « européenne » a des conséquences, non seulement pour les salariés français, mais aussi pour ceux censés coûter moins cher. Au fil de notre enquête, nous avons découvert combien cette directive est destructrice pour tout le monde. Un chauffeur roumain travaillant pour une entreprise française comparait ses conditions professionnelles à de l’esclavage moderne. La protection sociale est détricotée, son niveau d’exigence revu à la baisse. Des modes de fonctionnement qui mettent non seulement en péril les systèmes de protection sociale mais aussi la cohésion démocratique de chaque pays.
Et certains entrepreneurs ne s'arrêtent pas au dumping social. Faire appel à une agence d’intérim européenne, à une filiale installée à l’étranger ou à un sous-traitant n’a rien d’illégal. Mais quand ces derniers ne déclarent pas ou mal leurs employés, ils deviennent des « fraudeurs sociaux ». Plus la fraude est importante, plus le montage est complexe et opaque. La journaliste Sophie Le Gall a rencontré des représentants de l’Ursaff et des magistrats qui ne cachent pas leur difficulté à travailler sur ces dossiers, même quand il y a une volonté d'agir, d'instruire et de mettre un terme à tout ça.

Trois sujets pour tout comprendre de la fraude sociale
Notre premier reportage nous mène sur le chantier du terminal méthanier de Dunkerque (pour le compte d'EDF), où des travailleurs détachés ont été exploités et dont la vie a parfois été mise en danger. Certains se sont même retrouvés avec des bulletins de salaire nuls après s'être vus facturer des frais, sans justification légale, de la part du sous-traitant italien qui les employait. La deuxième enquête nous plonge dans l’histoire d’une fraude aux cotisations et à notre système de protection sociale mise en place par Atlanco Rimec, une agence d’intérim d'origine irlandaise mais domiciliée à Chypre et créée dans les années 90 par Michael O’Shea. Dans notre reportage, nous montrons que cette agence, aux multiples bureaux, n'a cessé d'escroquer des dizaines de milliers de salariés au quatre coins de l'Europe et a travaillé notamment pour de grands groupes du BTP, dont Bouygues. Elle avait ainsi fourni au groupe français 163 ouvriers polonais pour le chantier de l'EPR de Flamanville.
Outre le BTP, l’autre secteur le plus touché par les fraudes sociales est celui du transport routier. Nous concluons cette enquête par un reportage sur Geodis (filiale de la SNCF Logistics), qui a ouvert une filiale en Roumanie. Elle y emploie des chauffeurs roumains, qui perçoivent un salaire roumain alors qu’ils travaillent la majorité de leur temps en France.
Comme nous l’explique Alain Vidalies, le secrétaire d'État chargé des Transports, ce système qui tire la protection des salariés vers le bas détruit le bien-fondé de l’Europe et, par conséquent, attise le jeu des nationalistes.

Propos recueillis par Clotilde Ruel

*Le chiffre de 380 millions d’euros figure dans le rapport de la Cour des comptes sur La Lutte contre les fraudes aux cotisations sociales (17 septembre 2014). Pour établir ce montant, les magistrats de la rue Cambon se sont appuyés sur une estimation récente du Sénat faisant état de 300 000 salariés détachés non déclarés en France en 2010. Ils ont pris l’hypothèse que ces postes, en l’absence de fraude, reviendraient à des travailleurs non détachés rémunérés au smic.
(source :www.economie.gouv.fr/dnlf/fraudes-liees-a-lemploi-travailleurs-detaches-se-multiplient-en-france?language=fr)

Portrait d'Élise Lucet en extérieur

Vous connaissiez l’évasion fiscale ? Elise Lucet et les journalistes de Cash Investigation vont vous faire découvrir « l’évasion sociale » ou la délocalisation près de chez vous.

« Travailler plus pour gagner moins » que les Français, bienvenue dans le monde merveilleux des salariés à prix cassé.

Pour cette nouvelle saison, le magazine Cash Investigation, vous propose une nouveauté : une séquence de discussion qui prolonge le documentaire, menée par Elise Lucet entourée de journalistes, d’experts... Un nouvel éclairage sur les dernières avancées depuis le tournage. 

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Produit par Premières Lignes
Présenté par Élise Lucet
Une enquête de Sophie Le Gall
Rédacteurs en chef : Emmanuel Gagnier et Romain Verley 

Ce que prévoit la directive européenne 96/71/CE

Régi par la directive européenne 96/71/CE du 16 décembre 1996 sur le détachement des travailleurs, le détachement de salariés au sein de l'Union est, en soi, légal. En cas de détachement à l'étranger, les textes prévoient que c'est le droit du travail du pays d'accueil et le droit de la sécurité sociale du pays d'origine qui s'appliquent. Ainsi, par exemple, un salarié étranger détaché en France doit se voir appliquer les règles françaises en ce qui concerne le salaire minimum ou le repos journalier et hebdomadaire. En revanche, le régime des cotisations sociales applicables sera celui de son pays de provenance.
(source http://www.senat.fr/rap/r15-082-1/r15-082-117.html)

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Les avis du Conseil économique, social et environnemental se sont intéressés aux travailleurs détachés

Le Conseil économique, social et environnemental a été saisi, par lettre du Premier ministre en date du 16 avril 2015, d’une question portant sur les travailleurs détachés. Le bureau a confié à la section du travail et de l'emploi la préparation d’un avis sur Les Travailleurs détachés. Jean Grosset a été désigné comme rapporteur, avec l’appui de monsieur Bernard Cieutat.
L’intégralité du document, publié le 2 octobre 2015, est accessible à l’adresse suivante : www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2015/2015_24_travailleurs_detaches.pdf

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Réforme de la directive de 1996 : une proposition présentée par la commissaire européenne Marianne Thyssen au collège des commissaires, le 8 mars 2016

La France, qui avait été moteur en 2014 dans l’adoption de la directive d’exécution sur le détachement, a milité activement auprès de Bruxelles pour la révision de la directive « source » de 1996. La commissaire européenne Marianne Thyssen, en charge du Travail et des Affaires sociales, a décidé d’améliorer la législation qui continue de donner lieu à des abus.
Elle proposera, le 8 mars, au collège des commissaires, une réforme du texte de 1996, à la demande pressante de la France, de l’Allemagne et de cinq autres pays européens directement concernés par le nombre croissant de ces travailleurs accusés de mener sur leur marché du travail une concurrence déloyale.
L’objectif sera « notamment » une clarification des règles afin que le travailleur détaché touche le même salaire que les autres salariés employés sur le même lieu de travail, quel que soit le pays d’accueil.
(sources :  www.lesechos.fr/monde/europe/021718450678-travail-detache-bruxelles-va-reclamer-des-garanties-sur-le-niveau-des-salaires-1202426.php / www.lemoniteur.fr/article/directive-travailleurs-detaches-bruxelles-repond-a-paris-31467713)

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