À l’occasion du 100e anniversaire du « premier prix Goncourt noir », ce film fait redécouvrir une grande figure de la littérature, René Maran. D’origine martinico-guyanaise, il est aujourd’hui un nom trop oublié. Pourtant, la publication de son roman Batouala a provoqué un scandale énorme en 1921…
René Maran a marqué son temps, laissé une trace indélébile dans l’histoire littéraire et politique de la Guyane, des Antilles et plus globalement de la France.
En 1921, son roman Batouala provoque un scandale. Pour la première fois, un auteur raconte sans fard la réalité du système colonial. René Maran écrit :
« Civilisation, civilisation, orgueil des Européens, et leur charnier d’innocents.
Tu bâtis ton royaume sur des cadavres. Tu es la force qui prime le droit.
Tu n’es pas un flambeau, mais un incendie. »
Administrateur colonial à Fort-Archambault, en Oubangui-Chari (ancien Tchad), ce poste lui a permis d’observer, au plus près, pendant des années, la façon dont les colonisés étaient traités. Il sera le premier, avant Voyage au Congo d’André Gide en 1927 et Terre d’ébène d’Albert Londres en 1929, à regarder cette réalité en face.
La sortie de ce livre provoque une déflagration. C’est la première fois, depuis la création du prix Goncourt en 1903, qu’un homme noir reçoit cette distinction pour un livre mettant en cause l’attitude de la France.
Ce documentaire montre à quel point René Maran a été un pionnier et une référence pour des intellectuels tels que Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Félix Éboué — dont il était très ami. Son écriture a aussi été admirée par André Gide, considéré à l’époque comme le pape des lettres françaises.
À travers des témoignages inédits, notamment des académiciens Dany Laferrière et Amin Maalouf, le film raconte les désillusions de cet intellectuel et montre la réalité du système colonial. Le petit-fils de René Maran, Bernard Michel, ouvre également, pour la première fois, l’ensemble de ses archives personnelles riches en photos, lettres et manuscrits.
René Maran fut au centre des débats, parfois acharnés, autour du concept de négritude. Il a lui-même critiqué cette notion, mais certains lui en attribuent la paternité. À l’heure de Black Lives Matter, la question est plus passionnante que jamais...
En parallèle de ce documentaire, retrouvez la série de podcasts inédits Maran&moi, sélection de textes de René Maran lus et commentés par des personnalités du monde des arts et des lettres.
Inédit
52 min
Réalisation
Fabrice Gardel
Mathieu Weschler
Assistés d’Alexia Klingler
Production
Bérénice Médias Corp.
Avec la participation de
France Télévisions
2021
Documentaire disponible sur france.tv preview.
Bande-annonce
3 questions à Dany Laferrière (écrivain, académicien)
Qu’est-ce qui vous fascine dans Batouala ?
Dany Laferrière : C’est l’ensemble du livre qui me touche. On a l'impression d'entendre tous les bruits possibles, des humains, des criquets ; de voir tous les règnes à la fois, végétal, animal, minéral… La brousse est frétillante, on est pris par la nature ! Il y a un tel foisonnement… au début on se dit que l'on ne va pas pouvoir traverser cette jungle d'odeurs, de sons, d'émotions, de mystiques, de musiques, et finalement, petit à petit, grâce à son grand sens du récit, on arrive à suivre.
Quelle est l’originalité du point de vue de René Maran ?
D. L. : C'est tout simplement un monde étonnant vu par un enfant. Il est tout étonné d'être là, un peu perdu, et il traduit ça par une langue incroyable de modernité. Mais ce n'est pas le paysage qui étonne d’abord, c'est lui-même et sa présence. Et c'est pour ça que l'être humain est au cœur de son récit. On est toujours comme un enfant à regarder par ses yeux.
En cela, ce récit dénote particulièrement de la littérature « exotique » de l’époque.
D. L. : Son regard n’est jamais posé sur un objet extérieur, supérieur. Il y a toujours un va et vient vers son intériorité. Il regarde tout comme un enfant : il est toujours en état d'émotion. Vous savez, l'émotion n'est jamais exotique. L'émotion, c'est un sentiment fébrile, fiévreux, qu’on reçoit avec joie quelle qu’elle soit.
Propos recueillis par la production
3 questions à Amin Maalouf (écrivain, académicien)
Comment René Maran a-t-il reçu ce prix Goncourt ?
Amin Maalouf : C’est paradoxal. Il a été extrêmement fier : il se vivait avant tout comme un écrivain, à l’instar d’un Gide, d’un Mauriac. Recevoir à moins de 40 ans le Goncourt, c’est énorme. Mais, en même temps, le prix et la polémique qu’il a déclenchée l’ont rendu prisonnier du débat sur la colonisation. Alors qu’il a écrit de très nombreux livres et articles, on le ramenait toujours au scandale politique.
Même primé, on voit trop souvent en lui un Noir avant de voir un écrivain ?
A. M. : René Maran n'est pas un idéologue, c'est un homme de nuance et de conciliation. Il a toujours cherché à concilier les différents mondes auxquels il appartenait. C’est un souci constant et c'est probablement pour cela que les attaques dont il fait l'objet l’ont blessé ! Ça va tellement à l'encontre de sa personnalité, qui est tout en douceur. Mais il ne se faisait pas d'illusion, il savait que les gens voyaient d'abord en lui ses origines, sa couleur. Il espérait que les choses changeraient, puis il s’est rendu compte que ça prendrait du temps.
En quoi a-t-il été un pionnier ?
A. M. : Au moins deux grandes figures ont revendiqué son héritage : André Gide, qui entreprend son voyage au Congo après avoir lu Batouala — et qui a pu clamer que c’était la vérité. Puis Leopold Sédar Senghor et tout le mouvement de la négritude, pour qui Maran a été un incroyable précurseur, le premier à révéler l’Afrique.
Propos recueillis par la production
Diaporama
Batouala, le roman de René Maran paru en mai 1921, réédité par Albin Michel en septembre 2021.
Nous sommes en 1921. À cette époque, personne n’ose douter du bien-fondé du colonialisme, porteur de civilisation et de paix. Une voix pourtant s’élève. Celle de René Maran, auteur antillais (1887-1960), alors fonctionnaire au ministère des Colonies, qui dénonce dans un roman, Batouala, les abus de l’administration en Afrique-Equatoriale française et les méfaits de l’impérialisme. Ses propos déclenchent un véritable scandale qui culminera avec le prix Goncourt qui lui sera pourtant décerné la même année. Cent ans plus tard, ce texte demeure d’une actualité brûlante, tant pour les préjugés tenaces qu’il continue de mettre à mal que pour le droit à la liberté qu’il revendique. Liberté de pensée et d’être que nous rappelle la préface d’Amin Maalouf : « Peu de gens se souvenaient encore de l’émoi qu’avait suscité son roman. Avait-il fait preuve de courage ou bien d’ingratitude en l’écrivant ? Son rêve d’un monde où le fait d’être noir ou blanc serait devenu sans objet était-il généreux et visionnaire, ou bien insensible et passéiste ? Un siècle s’est écoulé, et nous n’avons toujours pas la réponse. Maran n’est toujours pas sorti de son purgatoire, il n’est toujours pas dans l’esprit du temps. L’idée que l’on puisse être simplement humain, sans s’attacher à une identité ethnique, raciale, religieuse ou autre, semble aujourd’hui aussi révolutionnaire et aussi inconcevable qu’il y a cent ans. »
140mm x 205mm, 272 pages.