Peu abordé alors qu’il concerne un quart de la population active, le sort des ouvriers est étroitement lié aux épisodes les plus marquants de l’histoire de France. À travers trois documentaires diffusés simultanément sur les 22 antennes régionales, les 14, 21 et 28 mars, les auteurs Gilles Pérez et Claire Feinstein décrivent ce groupe difficilement définissable, car fortement dense et divers. En mettant en évidence les maux actuels et passés de cette catégorie d’actifs, les deux journalistes proposent une analyse à la pertinence tant sociologique, historique qu’économique.
Nous, ouvriers : « Nos mains ont reconstruit la France »
Le 14 mars à 23.30 dans « La France en docs »
Au lendemain de la dernière guerre, les ouvriers sont plus de 8 millions. La majorité d’entre eux sont des femmes. « Dans l’opinion, l’ouvrier est considéré comme le héros national, car il a résisté précocement à l’oppresseur. Comme l’a démontré, dès juin 1941, la grève des mines du Nord qui a rassemblé 100 000 mineurs », estime l’historien Xavier Vigna.
Les ouvriers sont également respectés car ils produisent le charbon indispensable à la bonne marche de la société. Ces derniers deviennent ainsi taillables et corvéables à merci. « On leur demande de travailler le dimanche et même parfois gratuitement pour relever le pays. Produire est leur devoir de classe et de patriote », leur assène-t-on. Des brigades de production sont même mises en place pour les pousser à produire toujours plus.
« On vous dit que avez sauvé la France et on foule vos droits au pied. Un an après, vous n’êtes plus rien. Ce mépris a nourri la force extraordinaire de la grève de 1948. Le mineur n’avait pas oublié le passé », explique Achille Blondeau, l’un d’entre eux… Pour contrecarrer le mouvement, Jules Moch, ministre de l’Intérieur de la SFIO, fait alors occuper le bassin lorrain par des CRS. « Nous avons revécu l’occupation nazie, sauf que ce n’était plus des uniformes allemands mais français », se souvient Achille Blondeau. À Firminy, les CRS iront même jusqu’à ouvrir le feu sur les manifestants. Bilan de cette charge menée avec l’appui de chars d’assaut et de mitrailleuses ? Deux morts et une trentaine de blessés...
Crédit 13 Productions
Nous, ouvriers : « Nos rêves ont façonné la société »
Le 21 mars dans « La France en docs »
Ce second reportage s’intéresse à l’automatisation qui a redéfini la place de l’ouvrier au lendemain de la guerre. Une question se pose alors ? Les ouvriers ne sont-ils que des machines à produire ?
« Je répétais huit cents fois le même geste », se souvient Boubakar Ouldsaad, ancien ouvrier polyvalent. Ce documentaire évoque la façon dont les travailleurs à la chaîne vivent – ou plutôt subissent – un métier aussi exténuant qu’avilissant. Une analyse sociale présentée avec un passage en revue d’épisodes ayant marqué l’histoire du travail, au premiers rang desquels les grèves de Mai 68.
Achille Blondeau. Crédit : 13 Productions.
Nous, ouvriers : « Nos cœurs battent encore »
Le 28 mars dans « La France en docs »
Ils représenteraient à ce jour un quart de la population active, soit 7 millions de personnes. Pourtant, en soixante-dix ans, leur condition a profondément changé et leur nombre a significativement baissé. « Quelqu’un a-t-il voulu les tuer ? », vont jusqu’à s’interroger Claire Feinstein et Gilles Pérez, les auteurs de ce documentaire.
Une question qui appelle une réponse sans équivoque pour l’historienne Marion Fontaine : « Non, les ouvriers existent toujours bel et bien. Mais il y a un éclatement de tout ce qui politiquement, culturellement ou socialement faisait d’eux un groupe unifié. Il y a toujours des ouvriers, mais plus de classe ouvrière. »
Ce film montre la mutation profonde et douloureuse qu’ont traversé ces actifs, en se penchant sur l’influence considérable des politiques publiques. Comme lorsque, dans les années 1980, sous l’influence des multinationales, la Communauté économique européenne demande aux pays membres d’abandonner les politiques de développement industriel. Des orientations économiques qui induisent fermetures et dépôts de bilan en série.
Crédit : 13 Productions.
Yannick Sado