Produits chimiques : nos enfants en danger
Magazine - Inédit - Mardi 2 février 2016 à 20.55

Pourquoi de plus en plus d’enfants souffrent de leucémie, d’autisme et de troubles hormonaux ou cognitifs ? Avec quels produits chimiques susceptibles d’altérer leur développement sont-ils en contact in utero et durant les premières années de leur vie ? Chaque jour, les enfants peuvent être exposés jusqu’à 128 polluants chimiques, en particulier les pesticides. Cash Investigation a mené l’enquête pendant un an et obtenu des informations inédites.

Où trouve-t-on les pesticides ?

Aujourd’hui, les pesticides sont présents dans 97 % des aliments (1). Ont-ils une incidence sur notre santé et, surtout, sur la santé de nos enfants ? Cash Investigation a rassemblé et analysé les études menées par des scientifiques dans le monde entier. Élise Lucet et Martin Boudot ont tenté de rencontrer les représentants des six grandes multinationales (2) qui fabriquent les pesticides, appelés pudiquement les « produits de protection de la plante », parfois avec succès, parfois en se faisant vertement rabrouer. « Sujet sensible ! », lâche d’ailleurs un agriculteur.

 

Pesticides : les études
L’atrazine est un pesticide qui n’est plus vendu en France depuis 2001. Mais 15 ans après son interdiction, ses effets délétères demeurent. L’Inserm de Rennes suit 3 500 femmes enceintes. L’objectif : mesurer leur exposition aux polluants chimiques, comme l’atrazine, et étudier les conséquences de cette exposition sur leurs enfants. Cette étude épidémiologique de grande ampleur montre que les femmes enceintes qui, pendant leur grossesse, présentaient des traces d’atrazine (bien qu’interdit, l’herbicide subsiste encore dans les sols et l’eau) dans les urines avaient 50 % de risques supplémentaires d’avoir un enfant de petit poids à la naissance et 70 % de risques supplémentaires d’avoir un enfant avec un périmètre crânien réduit à la naissance (3).

À la célèbre université de Berkeley, en Californie, Thyones Hayes étudie les effets de l’atrazine sur les grenouilles depuis 1996. Ces batraciens possèdent un système hormonal très proche de celui des hommes. Ce scientifique américain a constaté d’inquiétantes transformations chez les grenouilles exposées à des doses d’atrazine similaires à celles retrouvées dans l’eau potable: changements de sexe, absence de croissance de l’organe reproducteur ou absence de sperme chez les mâles, lesquels, dans certains cas, produisent des œufs. « Quand on parle d’atrazine, il n’y a pas de faible niveau », conclut le chercheur.

La très sérieuse Endocrine Society, qui regroupe 17 000 scientifiques dans le monde, alerte sur les liens probables entre les polluants chimiques et l’autisme. Philippe Grandjean, professeur en santé environnementale, explique à l’équipe de Cash Investigation que douze produits chimiques sont reconnus pour avoir un impact négatif sur le développement du cerveau : les très célèbres plomb, mercure, PCB mais aussi des pesticides comme le chlorpyriphos (4).

Les scientifiques de l’Endocrine Society ne sont pas les seuls à tirer la sonnette d’alarme. La Fédération internationale de gynécologie et d’obstétriques a lancé un appel aux industriels (5). Dans le monde, près de 4 000 études scientifiques sur les polluants chimiques vont dans le même sens. Pourtant…

 

Les arguments

Dans leurs campagnes de communication, les « Big 6 » avancent toujours les mêmes arguments : les pesticides aideraient à combattre la faim dans le monde, contribueraient à un avenir durable de notre planète.

Cash Investigation a cherché à rencontrer les responsables des grandes firmes produisant ces molécules. Sous couvert d’anonymat, l’un d’eux avoue à Martin Boudot « qu’ils attendent d’être contraints par la législation pour stopper le produit ». Un autre joue avec les mots : « Ça dépend des doses. L’alcool aussi est dangereux… ». Un troisième affirme, péremptoire : « l’atrazine est sûre, ça a été prouvé ».

Acculé par Élise Lucet, l’un des représentants de l’industrie agrochimique finit par lâcher qu’« on ne peut jamais certifier qu’il n’y a aucun risque ». Tous se retranchent derrière les normes légales mais aussi, parfois, derrière de gros bras proposant à Martin Boudot de « poursuivre cette conversation à l’extérieur ».

À l’UIPP, l’Union des industries de la protection des plantes, le président Jean-Charles Bocquet conclut magistralement : « les attentes de citoyens vont trop loin ! »

 

Les engagements

En Californie, à l’université de UC Davis, les chercheurs ont superposé la carte des sites d’épandage avec les adresses de femmes enceintes ayant conçu par la suite un enfant autiste. Éloquent ! En France, ce genre de recherche est impossible. Les informations concernant les quantités de produits chimiques vendues par département sont secrètes. Le grand public n’y a pas accès. Mais après des mois de recherches, Martin Boudot a fini par les obtenir. Les journalistes de l’équipe ont réussi à établir une carte des régions les plus exposées aux pesticides. Confronté à cette carte, l’invité d’Élise Lucet, le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll, acquiesce : « Je suis parfaitement conscient du danger environnemental et de santé ». Il s’engage à réduire, voire supprimer, le chlorpyriphos.

 

Mais dans ce combat entre politiques et multinationales, les citoyens n’ont pas toujours le dernier mot. À Hawaii, véritable laboratoire à ciel ouvert des « Big 6 », sous la pression de la population, les politiques ont voté une loi qui impose la création de zones tampons entre les champs et les écoles, une plus grande transparence sur les produits chimiques utilisés, les quantités épandues. Mais les avocats des firmes ont porté plainte et fait casser cette loi votée démocratiquement… Heureusement, il y a quand même quelques bonnes nouvelles. Elles sont à découvrir à la fin du documentaire.

 

Diane Ermel

 

(1) Source EFSA

(2) Les Big 6 (BASF, Bayer, Dupont, Dow, Monsanto, Syngenta) pèsent 50 milliards d’€/an
(3) S
ource http://www.inserm.fr/actualites/rubriques/actualites-recherche/herbicides-des-effets-nefastes-chez-les-femmes-enceintes

(4) Le Monde (22 mai 2012) : http://www.lemonde.fr/sciences/article/2012/05/17/un-insecticide-altere-le-jeune-cerveau_1703201_1650684.html

Le Chlorpyriphos est interdit à la vente au particulier en France mais est toujours utilisé par l’agriculture (749 tonnes/an).

(5) http://www.figo.org/sites/default/files/uploads/News/2015%2010%2001%20French%20Translation%20FIGO%20Opinion.pdf