Petit Manchot deviendra grand

Ce « petit manchot qui deviendra grand » est le héros, ou plutôt l’anti-héros, de ce documentaire animalier. Dès sa naissance, et l’éclosion tardive de son œuf, l’oisillon marin a su se distinguer. Benjamin de la colonie, l’éternel retardataire aura fort à faire pour affronter les dangers de son territoire hostile et gagner son indépendance.
Durant ses premiers jours de vie, père et fils apprennent à s’apprivoiser. Niché entre les pattes de son géniteur, le petit attend patiemment au chaud le retour de sa mère, partie à la pêche avec l’ensemble des femelles de la colonie. Une fois rentrée au bercail, la mère prendra la relève de son conjoint qui, affamé, rejoindra à son tour l’Océan pour un bain revigorant bien mérité. Mais il ne faut pas oublier de nourrir la famille ! Durant cinq mois, père et mère se relaient ainsi pour la pêche, en faisant le plein de poissons pour le petit dernier. Et ces pros de l’apnée (20 minutes) et de la plongée (600 mètres de profondeur) se révèlent être de fins pêcheurs. Mais gare à l’ennemi, le phoque léopard…

L’union fait la force
Vers deux semaines, les petits pas hésitants sur la glace se font plus assurés. Les jeunes manchots commencent à s’émanciper. Tous sauf un, notre benjamin scotché aux pattes de sa mère. Mais chez les manchots, socialiser est essentiel. C’est même une question de survie. Avec les tempêtes, le blizzard, et des températures dégringolant jusqu’à -60 °C, les manchots ne peuvent se protéger du froid qu’en se blottissant les uns contre les autres. Au centre du groupe qui, stratégiquement, a adopté un système de rotation, la température peut même s’élever à 37 °C. L’union fait la force comme on dit, et pas question de louper cet apprentissage social et solidaire. La mère guide donc son petit sur le chemin de l’émancipation, et vers la tribu d’oisillons dans laquelle il doit se faire accepter. Et si le cercle se referme derrière lui, c’est gagné. Ou presque. En tout cas, c’est un signal donné aux parents, celui qu’ils peuvent désormais partir ensemble, le cœur léger, à la pêche. D’autant que les baby-sitters, de jeunes femelles manchots restées sur place, veillent au grain.
À leur (ultime) retour, les parents engraissent une dernière fois, et d’une double ration, leur petit, avant de quitter définitivement la colonie. L’heure est en effet venue pour notre petit héros de tenir seul sur ses pattes. Ensemble, les oisillons délaissés attendent en vain le retour de leurs parents, mais finissent par franchir instinctivement les frontières invisibles de la colonie pour se diriger vers l’Océan. Après des heures de marche, les voilà tous face à la mer. Belle revanche sur sa courte vie, c’est le benjamin de la colonie, en vrai manchot téméraire, qui décide de mener la danse en sautant le premier à l’eau. L’heure du grand plongeon a sonné. Celui de l’indépendance.

Céline Boidin-Lounis