JEUNESSE À VENDRE
Le Monde en face

Jeunesse à vendre

Documentaire - Mercredi 18 avril 2018 à 20.50

Issus de tous milieux sociaux, de plus en plus de mineurs, surtout des filles, se prostituent en France. Combien ? Et pour quelles raisons ? Ce film raconte l’histoire douloureuse de plusieurs de ces adolescentes et le combat de leurs parents, démunis face à l’incompréhensible.

L’adolescence. L’âge des métamorphoses, des questionnements et des prises de risques. L’âge aussi où certaines jeunes filles, par inconscience, goût de l’interdit ou de l’argent, choisissent de se mettre en danger. En faisant de leur corps une marchandise. Assistante sociale en milieu scolaire, Nathalie témoigne : « Elles peuvent accepter des relations, pas à la recherche du plaisir ou de l’amour mais bien d’un intérêt, parce qu’elles se sentent intégrées dans un groupe ou qu’elles ont accès par là à des services ou des biens : une pipe contre un McDo ! Et si on leur pose la question, elles n’ont aucune conscience de se prostituer. » Combien sont-elles, et qu’est-ce qui les pousse réellement à sauter le pas ? Difficile de donner des chiffres exacts, mais Armelle Le Bigot, qui dirige l’ACPE, la seule association française dédiée à la prostitution enfantine, estime leur nombre entre 5 000 et 8 000. Selon elle, il existe « pas un, mais plusieurs schémas, et souvent les sentiments jouent un rôle dans le passage à l’acte ». Les spécialistes comme les acteurs de terrain incriminent également la banalisation du porno et Internet avec ses réseaux sociaux. Léa a fait sa première passe à 14 ans, entraînée par une amie. Attirée par le fait de pouvoir gagner de l’argent facilement, elle a fini par se retrouver sous la coupe d’un proxénète à peine plus âgé qu’elle. Océane, 15 ans, a changé après avoir été harcelée au collège et s’être fait agresser sexuellement par des « copains ». Depuis, elle a fugué et vend ses charmes sur un site de rencontres.

Une multiplication du nombre de dossiers

Comme ses parents, ceux d’Inès ou de Louisa, également parties de chez elles, ne savent pas comment faire face à la rébellion et au comportement de leurs filles. Tous, chacun à sa manière, tentent de les retrouver et de leur faire entendre raison. La plupart du temps, ils se débrouillent seuls… car, comme l’explique le commissaire Vianney Dyevre, patron de la Brigade des mineurs de Paris, « il faut savoir que la prostitution n’est pas un délit […]. Les parents sont en attente que la police leur ramène leurs enfants, qu’ils ne fuguent plus et ne se prostituent plus, et ça on ne sait pas faire ». Les membres de la brigade ciblent les proxénètes, mais leur tâche se complexifie avec l’augmentation du nombre de dossiers multiplié par six en quatre ans. Autre problème : l’extrême mobilité des nouveaux réseaux de prostitution. Ces ados, qui ne se considèrent pas comme des victimes, « restent des gamines et sont donc fondamentalement instables », selon le commandant Frédéric Duval. « Il suffit d’une dispute entre elles pour qu’une ou deux partent, au bout de deux jours, et se retrouvent dans une autre équipe. C’est ce qui rend les enquêtes particulièrement difficiles. »

Beatriz Loiseau

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EXTRAITS
Léa, 15 ans : « J’étais une petite fille joyeuse, pas timide, bonne élève. C’est une ancienne amie qui m’a beaucoup influencée ; je l’ai connue j’avais 13 ans. Elle me disait : “Tu vas avoir la belle vie, tu vas avoir de l’argent, on partagera tout.” »
« Combien de clients ? Des fois cinq, des fois dix, ça dépendait des jours. C’est beaucoup, mais je ne me rendais pas compte. C’était mécanique. Ils faisaient ce qu’ils avaient à faire, donnaient l’argent et partaient : 100 € la demi-heure et 200 l’heure. À côté de l’hôtel, il y avait un centre commercial très bien : après l’effort, le réconfort. »

Gérard, papa d’Océane, 15 ans : « J’étais à mille lieues de l’imaginer, même on me l’aurait expliqué je ne l’aurais pas compris. Elle se savait mignonne, donc elle s’habillait, pas de façon provocante, mais à la mode… Ça ne m’a absolument pas alerté. »
« On sait qu’elle a commencé à se prostituer fin 2015… je trace son compte Facebook et on tombe sur une conversation avec un certain Y, sans ambiguïté ; on a les sommes : c’était 1 000 € par jour et il retenait 250 € pour ses frais. »

Valérie, maman de Louisa, 18 ans : « Lorsque j’allais faire une déclaration pour fugue ou disparition inquiétante au commissariat, on me disait : “Elle y va volontairement, donc on peut rien faire.” J’ai donc décidé de mettre un mouchard dans son portable pour la localiser et savoir ce qu’elle faisait. J’ai montré les textos aux policiers et la réponse a été : “Écoutez, madame, votre fille, c’est une pute, faut vous y faire.” Je suis repartie en pleurant… Maintenant, elle vient d’atteindre sa majorité, je ne peux plus rien faire… »

Sonia, maman d’Inès, 16 ans : « Je me suis fait passer pour un client, j’ai eu l’adresse par SMS et j’ai appelé le 17 pour dire qu’il y avait une bagarre, pas de la prostitution, pour que les policiers se déplacent et fassent une perquisition ; ils l’ont fait et ont trouvé ma fille… »
« Je veux qu’elle récupère une vie normale, d’une enfant avec sa famille, scolarisée… Je l’ai perdue depuis un an et demi, je ne vis plus. 16 ans, c’est la plus belle période, on vit des petites histoires d’amour, on va au ciné. Ma fille, elle ne pense qu’à l’argent, elle ne regarde que la télé-réalité, les hôtels de luxe… c’est un monde imaginaire. »

JEUNESSE À VENDRE

Documentaire

Durée 73 min

Auteurs Claude Ardid, Nadège Hubert et Alexis Marant

Production Capa, avec la participation de France Télévisions

Année 2017

 

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