HARCELÉE

Harcelée

Fiction - Inédit - MARDI 31 OCTOBRE 2017 A 20H05 - Sur Martinique 1ère

Comme chaque année, France Télévisions se mobilise contre les violences faites aux femmes. C'est l'occasion pour Martinique 1ère de dénoncer avec détermination le harcèlement sexuel au travail en proposant une grande soirée, présentée par Marie Drucker. La journaliste nous invite à découvrir le téléfilm Harcelée, avec Armelle Deutsch et Thibault de Montalembert (Prix de la Meilleure interprétation féminine et Meilleur scénario au Festival de la fiction TV de La Rochelle 2016), suivi du documentaire Harcèlement sexuel au travail, l'affaire de tous. Enfin, un débat donne la parole aux victimes et fait le point sur la loi.

Armelle Deutsch, touchante dans ce rôle angoissant, tombe entre les griffes d’un manipulateur pervers (interprété par Thibault de Montalembert). Un rôle qui lui a valu le prix de la Meilleure interprétation féminine au Festival de La Rochelle 2016. Entretien.

Comment en êtes-vous venue à interpréter Karine ?
À dire vrai, Virginie Wagon, la réalisatrice, a un peu hésité à me confier ce rôle. Elle craignait en effet que le personnage tombe dans le cliché de la femme fragile car, évidemment, l’apparence physique est importante. Mais il s’avère que personne n’est à l’abri du harcèlement sexuel. Et j’avais très envie de défendre ce sujet. Surtout, j’aurais été bien bête de ne pas m’y risquer. Ma force de conviction l’a emporté.

Pourquoi un harceleur sexuel choisirait-il précisément Karine plutôt qu'une autre femme ?
La personne en elle-même n’est pas en question. C'est son état psychologique qui importe. À ce moment précis de sa vie, Karine se présente comme une excellente proie : après plusieurs années passées à la maison à s'occuper de sa fille anorexique et de son second enfant pas totalement désiré par son mari, elle tente de retrouver un emploi mais ses recherches sont restées, jusque-là, infructueuses. Elle ne sait pas si elle plaît encore, au sens large, et elle veut séduire.

Lorsqu’Antoine commence à la harceler, pourquoi ne dit-elle rien à son mari ?
Précisément à cause de ce désir de plaire, elle se sent coupable de la situation. Comme elle n’a plus aucune expérience de la séduction, elle pense avoir aguiché Antoine. Elle aurait trop honte d’avouer cela à son mari. Karine a aussi peur de perdre ce nouveau job et son salaire. Ils vont de pair avec son indépendance et son affirmation. Tout se mélange dans son esprit et, surtout, elle imagine que cela va passer, qu’Antoine va s’arrêter. Mais elle est happée par cet engrenage.

Seules 5 % des victimes portent plainte. Aviez-vous conscience de l’importance de la parole que vous alliez représenter ?
Totalement, et je me suis d’ailleurs informée sur le sujet en regardant des témoignages et en lisant deux ouvrages : Ces gestes qui vous trahissent, de Joseph Messinger, et Les Heures souterraines, de Delphine de Vigan. Mais ce fut vraiment flagrant après la première projection, lorsque trois femmes sont venues nous saluer, Virginie Wagon et moi, pour nous remercier d’avoir insisté sur la nécessité de porter plainte et nous faire remarquer que nous étions encore bien en deçà de la réalité.

Comment avez-vous travaillé avec Thibault de Montalembert ?
Justement, on a travaillé la gestuelle. Thibault est un grand acteur, il met facilement en confiance, et je me suis livrée sans retenue. Lui aussi, je crois. Il travaille sur le partage et l’échange. Nous avons donc pu pousser certaines scènes très loin.

Certaines scènes ont dû être difficiles à tourner. Lesquelles en particulier ?
À la lecture, je ne me suis pas laissé impressionner par celle où il me force à le masturber. J’étais confiante puisque, évidemment, je ne le faisais pas pour de vrai. Mais, sur le moment, son regard, si proche, m’a fait vaciller. Quand j’ai vu le film, ce passage m’a trop dérangée. J’y croyais vraiment. La première scène de l’ascenseur aussi… et, étrangement, celle face au miroir, où je perds mes cheveux par poignées. J’ai pensé à la maladie, je me suis vue chauve. C’était éprouvant ! Mais, heureusement, le soir, après le tournage, comme on était tous ensemble à Bordeaux, on débriefait la journée autour d’un verre : un bon moyen pour faire retomber la tension et l’adrénaline de la journée !

Tout commence et tout finit dans l’ascenseur…
Symboliquement, on peut l’associer à une prison : quatre murs entre lesquels Karine est coincée et d’où on ne l’entend pas crier. Il peut aussi représenter l’ascenseur social où s’exerce le droit de cuissage, passage obligé pour les femmes qui souhaite gravir la hiérarchie. Virginie Wagon a eu beaucoup de belles idées. Elle a surtout réussi à instiller une certaine fantaisie et de la légèreté qui contournent habillement l’austérité du propos et le rendent plus accessible et plus attractif. 

Propos recueillis par Diane Ermel

HARCELÉE

Réalisé par Virginie Wagon
Scénario de Nathalie Kuperman, Raphaëlle Roudaut et Virginie Wagon
Une production Son&Lumière
Avec Armelle DeutschThibault de Montalembert, Lannick Gautry, Marie Barrouillet, Sabine Royer...

Après trois ans de congé parental pour s’occuper de son fils, Karine peine à retrouver un travail. C’est alors qu’elle rencontre Antoine, père de la meilleure amie de sa fille et cadre supérieur dans une grande entreprise de la région, qui lui propose de remplacer une collaboratrice partie en congé maladie. Karine est miraculeusement engagée et se voit confier des missions qui dépassent ses espérances. Mais le charismatique Antoine, d’abord charmant et prévenant, devient peu à peu autoritaire et manipulateur. Avec son omniprésence étouffante, il envahit la vie professionnelle de Karine, l’intimité de sa famille, et bientôt l’intégrité de son corps. À travers cette lente descente aux enfers, Harcelée nous plonge dans le piège du harcèlement sexuel et du harcèlement au travail.

Thibault de Montalembert, alias Mathias dans Dix pour cent et Christophe Tochard dans Aurore, campe ici un rôle aux antipodes des deux précédents : Antoine est un pervers, un manipulateur, un harceleur parfaitement détestable et magistralement machiavélique.

Pour quelles raisons avez-vous accepté de jouer un personnage aussi détestable ?
J’aime jouer pour explorer toutes les facettes de l’humain, même dans sa part la plus sombre. Mais j’ai tout de même besoin de pouvoir défendre le personnage pour l’interpréter. Et pour Antoine, j’ai dû chercher loin sa dimension humaine ! D’ailleurs, j’ai ressenti un certain vertige lors de la projection. Je ne me sentais pas très bien en me voyant évoluer dans ce rôle de pervers.

Qu’avez-vous découvert d’humain chez lui ?
Son égoïsme. Mais je suis aussi allé creuser du côté du deuil de sa femme qui a dû le traumatiser. Je connais un homme, comme ça, totalement transformé après la perte de sa compagne. Ce choc a extériorisé une perversion, certainement latente chez lui. Je m’en suis un peu servi comme d’un modèle. Finalement, il y a beaucoup de pervers autour de nous, à différents [Rires] ! J’ai une petite théorie sur les humains. Pour moi, ils sont composés de cinq couleurs dont le dosage est unique pour chacun : l’amour, la haine, le désir, la peur, le dégoût. Nous partageons et communiquons grâce à ces sentiments. Ainsi, pour créer un rôle, je vais hypertrophier certaines de ces couleurs nécessaires au personnage et laisser les autres de côté.   

En plus de vous inspirer de personnes réelles, vous êtes-vous documenté sur ce sujet ?
J’ai lu Le Harcèlement moral : la violence perverse au quotidien de Marie-France Hirigoyen. De nombreux témoignages très descriptifs m'ont permis de m'approprier les traits saillants des harceleurs et autres détails plus subtils.

Comment avez-vous travaillé le personnage avec Virginie Wagon, la réalisatrice ?
Virginie est une directrice d’acteurs et une réalisatrice formidable. Elle sait parfaitement où elle veut aller tout en étant passionnée par la découverte. Elle est preneuse de propositions au moment même du tournage parce qu’il y a toujours un décalage entre ce qu’on a imaginé avant et ce qu'on retrouve sur le plateau. Pour certaines scènes, comme celle de la réunion avec les Qataris, elle me poussait à aller plus loin dans l’impassibilité de mon expression et dans le geste sexuel que je commettais en même temps, comme s’il y avait deux personnes en moi. Et elle a filmé de manière totalement inattendue la scène où Karine masturbe Antoine. On comprend tout et pourtant on ne voit rien.

Et avec Armelle Deutsch, votre partenaire ?
Armelle, elle prend les choses à bras-le-corps. Elle entend : « Moteur ! Action ! » et on joue comme des gosses. Elle est très présente immédiatement et n’a pas de fausse pudeur. Grâce à cela, on a réussi cette fameuse scène difficile très rapidement, en trois ou quatre prises. Je pense qu’il était nécessaire aussi, pour travailler le rôle de Karine, que celui d’Antoine soit bien campé, puisqu’il la domine.

Selon vous, quelles sont les motivations et la force d’un pervers comme Antoine ?
Il aime la traque. Comme un chien chasse, il flaire les faiblesses et la fragilité des gens et s’y engouffre. Encore plus que la sexualité, c’est le plaisir de soumettre une personne et de la chosifier, d’en faire sa propriété, son jouet. Pour arriver à ses fins, il utilise le charme, la séduction et, surtout, on ne le voit pas venir. Vous ne vous rendez compte du piège que lorsqu’il se referme sur vous. Certaines personnes se sont tellement laissé envahir qu’elles sont incapables de se retrouver elles-mêmes. Elles sont brisées à tout jamais.

 

Propos recueillis par Diane Ermel

HARCELÉE

À la suite du téléfilm Harcelée et des interprétations impressionnantes d’Armelle Deutsch et de Thibault de Montalembert, Martinique 1ère donne la parole à des victimes de harcèlement dans le documentaire « Infrarouge » Harcèlement sexuel au travail, l’affaire de tous, signé Andrea Rawlins-Gaston et Laurent Follea. Diffusion à 21h40

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Des mots susurrés à l'oreille, une présence envahissante, des compliments insistants, des sous-entendus quotidiens, une main qui dérape… Si le harcèlement sexuel peut prendre bien des formes, il est toujours source de malaise, voire d'un sentiment d'humiliation et d'insécurité. Dans la rue comme dans l'environnement professionnel, il est interdit et condamnable, mais encore faut-il savoir l'identifier. La loi du 6 août 2012 – il s'agit du premier texte adopté pendant le quinquennat de François Hollande – le définit ainsi : « Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son égard une situation intimidante, hostile ou offensante ». Les notions de « particulière vulnérabilité ou dépendance de la victime résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale, apparente ou connue de l'auteur » sont des circonstances aggravantes. 

Le documentaire d'Andrea Rawlins-Gaston et Laurent Follea aide à nous faire une idée plus précise de la réalité que recouvre cette expression de « harcèlement sexuel ». Sur un rythme rock de percussions qui souligne le regard de femmes face caméra, une voix off égrène les mots de leurs harceleurs et de leurs victimes : « Je t’imagine derrière mon bureau... Là, tout de suite, j’ai envie de te bouffer les seins. » « Il disait qu’il avait un droit de cuissage sur moi. » « Il voulait que je mette des habits très très courts, que je sois dénudée en fait. » « Qu’est-ce qu’on peut dire face à quelqu’un qui vous dit “oh, ça va, c’est pas un viol !” ? »

Le film démarre cash, et les chiffres avancés s’avèrent implacables : une femme sur cinq connaîtra une telle situation durant sa vie professionnelle. Seul 5 % d’entre elles porteront plainte, car, dans 95 % des cas, elles perdent leur emploi. Elles se manifestent uniquement lorsque leur santé est en danger ou qu'elles quittent leur travail. 

Afin de mieux cerner la différence entre ce qui est répréhensible et ce qui relève de la simple drague ou blague lourde, on suit Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’association AVFT*, qui, avec la complicité de l’humoriste Guillaume Meurice, a préparé un petit quiz pour une cinquantaine de personnes de tous âges et de tous milieux – un panel représentatif des salariés d’une entreprise : « Siffler un matin une collègue en lui disant “t’as un beau petit cul”, est-ce du harcèlement ? » On aurait tendance à acquiescer, mais pour que le harcèlement soit reconnu, il faut qu'il y ait répétition. Déroutant, non ? Et, il en va de même pour beaucoup d'autres situations proposées par la représentante de l’association, preuve que ce sont des faits trop peu connus.

Pour nous éclairer, des témoins partagent leur triste expérience. 

Ainsi, entre questions pertinentes et témoignages sensibles, nous rebondissons et apprenons à découvrir le parcours douloureux de Clarisse, 25 ans, traductrice dans le milieu du BTP ; Annabel, 33 ans, directrice export d’un grand groupe de coiffure ; Anne-Sophie, 35 ans, ingénieure ; Adeline, 34 ans, assistante comptable ; Julia, 24 ans, serveuse, et Isabelle, 51 ans, assistante commerciale. Rien ne permet de les distinguer des autres femmes, pourtant, elles ont été la proie d’un harceleur.

Alors, pourquoi elles ? Quel est le déclic qui, enfin, les a fait réagir ? Ont-elles réussi à se reconstruire ? Qu’est-ce qui motive les harceleurs ? Comment se défendent-ils face aux accusations ? Quelles sont les condamnations ? Que peut-on faire lorsqu’on est témoin de ce genre de situations ? Ce remarquable documentaire apporte quelques réponses et ouvre grand la porte sur une déviance professionnelle insoupçonnée pour la plupart d’entre nous.

Diane Ermel

* Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, à l’origine des lois françaises qui répriment le harcèlement sexuel au travail.

Réalisé par Andréa Rawlins-Gaston et Laurent Follea
Produit par CAPA / Patrice Lorton et Philippe Levasseur

Parce que le harcèlement sexuel au travail est l'affaire de tous et que nous en avons tous été témoins. Depuis peu, une perception nouvelle fait son chemin : le harcèlement n'est plus obligatoirement corrélé à une relation hiérarchique. Il est parfois diffus, propagé par des collègues de travail.