Sur l’île de Mayotte, les femmes pratiquent un islam atypique et féminin qu’elles expriment de façon emblématique à travers le debaa, art dansé et chanté d’inspiration soufie. Ce film raconte la passion de Nourou, Saloua et Zalia, qui chacune à sa façon, révèle une manière créative de vivre la foi, où la beauté et la grâce sont défendues comme des valeurs suprêmes.
Mayotte possède un riche patrimoine musical et chorégraphique.
Ce répertoire se caractérise par une longue tradition de rencontres et d’influences culturelles, africaines, malgaches, arabes, asiatiques, indiennes ou encore européennes.
Parmi ces pratiques, le debaa, est celle qui exprime au mieux la richesse de ces métissages et qui bénéficie aujourd'hui d’une
reconnaissance particulière grâce à la mise en place d’une politique culturelle spécifique par les institutions locales (Conseil Général, Préfecture, Mairies).
Le debaa, devenu emblème de la culture mahoraise, est pratiqué uniquement par les femmes de toutes générations. Il s’agit de chants psalmodiés en langue arabe, composés à partir de qasîda (poèmes mystiques) louant les événements les plus importants de la vie du prophète Mahomet ou abordant l'amour et les valeurs éthiques chères aux soufis.
Cet art allie la dévotion à une recherche créative permanente. Disposées en ligne, les femmes exécutent à l'unisson une chorégraphie lente et élaborée qui mobilise principalement le buste et les bras et met en valeur leurs qualités les plus appréciées, telles que la grâce, la retenue, ainsi que l'adab - le savoir-vivre, et le ustaarabu - les belles manières. Leurs tenues sont très recherchées et soignées.
Le debaa est pratiqué à l’occasion de mariages, de commémorations ou de fêtes de village. Avec ces chants dansés les femmes accompagnent les pélerins lors des départs pour La Mecque et les accueillent à leur retour. Elles s'y adonnent aussi à l'occasion d’autres événements du calendrier musulman comme l’Aïd El-Fitr (la célébration de la fin du Ramadan).
Cependant, la principale réalisation du debaa a lieu dans le cadre de rencontres entre groupes de différents villages tout au long de l’année. Ces rendez-vous offrent aux praticiennes l’occasion de s’affronter pour s'imposer comme les meilleures artistes de ce répertoire. Ces rencontres se transforment alors en véritables compétitions féminines où l'art de paraître joue
un rôle fondamental. Par le debaa, elles expriment leur vision de la femme mahoraise et de la bonne musulmane. Bien danser et bien chanter leur permet de représenter l’image de la mère, de la femme et de l'épouse idéales.
Un documentaire réalisé par Elena Bertuzzi et Laure Chatrefou.
Une équipe de femmes
Notre équipe est uniquement composée de femmes. Être entre femmes, nous permettra d’entrer en douceur dans le monde féminin du debaa et d’accéder plus facilement à des aspects moins évidents de cette société. Ici les femmes assument des rôles traditionnellement distincts de ceux des hommes, de par les coutumes et les croyances ancrées dans la culture musulmane.
Se retrouver entre femmes nous permettra de développer plus facilement un sentiment de complicité et de solidarité. Nous pourrons échanger sans tabou sur différents sujets féminins et assister à des moments plus intimes comme les séances de maquillage ou d’essayage des costumes.
Nous n'apparaîtrons jamais à l’écran. Ce film se veut un film en immersion, une présence qui accompagne discrètement ces femmes, qui les suit dans leur quotidien et dans leur rapport entre elles-mêmes, dans leur intimité avec respect et confiance.
La place que nous occuperons comme filmeurs, sera facilitée par le fait que nous avons passé beaucoup de temps avec ces femmes, nous sommes attendues. Sur place, nous habitons chez elles et nous nous adaptons à leurs horaires. La caméra est un élément du décor au même titre que la télévision dans le salon. Lorsque Mamanourou se lève pour prier à 5h du matin, nous sommes avec elle. Quand les filles franchissent la porte pour raconter leurs journées et commencer les répétitions, nous sommes toujours là, témoins directs des événements de leur
quotidien.
LES PERSONNAGES PRINCIPAUX
Nourou, chanteuse et responsable du groupe de M’tsangadoua
À M’tsangadoua, petit village de pécheurs au nord de l’île, c’est Nourou qui dirige le groupe de debaa. Il est composé principalement par les femmes de sa famille. Tous les jours, elles se retrouvent dans le salon de Mamanourou, pour discuter, tuer le temps, organiser les activités liées au debaa.
Les maris sont absents ou fantomatiques. Nourou a 45 ans. Elle est divorcée et habite avec ses enfants : « le monsieur s’est marié avec une autre femme du village. Un après midi alors que j’étais au travail, je l’ai appris par ma collègue. Tu imagines l’horreur… ». Elle évoque souvent ce célibat forcé, la polygamie et son coeur brisé. Son caractère doux et diplomate font
d'elle une femme aimée par toutes les praticiennes de debaa de l'île. Son groupe est régulièrement invité en France métropolitaine.
Saloua, chanteuse, percussionniste et présidente du groupe de Boueni
Saloua, cadre supérieure dans l’administration, est une innovatrice. À 50 ans passés, elle préside son groupe de manière aussi sérieuse que rebelle. Elle habite à Bouéni, joli village du sud au bord de la mer, rempli de belles demeures, de cafés et restaurants fréquentés par les touristes et les métropolitains. Saloua est chanteuse soliste. Sa voix cristalline est très
appréciée. Son engagement : faire évoluer le debaa et par répercussion la société mahoraise.
Ainsi, elle détourne sans cesse les règles avec pragmatisme et détermination. Elle souhaiterait par exemple organiser elle-même une tournée internationale sans devoir faire appel à un producteur de la métropole. Alors que le debaa est toujours extrait de poèmes arabes, elle voudrait écrire des textes poétiques en shimaoré, la langue mahoraise. Son groupe est souvent
sollicité pour participer aux représentations officielles (inauguration de musées, visite officielle du Président de la République et du Premier Ministre, investiture du Président du Conseil départemental...).
Zalia, fundi et percussionniste du groupe de Bambo
Zalia est une institutrice, pleine d’humour et d’énergie. À 45 ans, elle est la fundi (maîtresse de debaa) du groupe de Bambo, ancien village au sud de l’île, paisible, hors du temps. Les maisons de style traditionnel, de plein pied, bordent des routes encore en terre battue. Tous les jours, elle accueille une quarantaine de femmes sur sa longue terrasse pour répéter le debaa.
Ces moments de convivialité entre femmes sont aussi l’occasion d’écouter les problèmes de chacune et de briser les tabous. Zalia n’hésite pas à dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Pour elle, les rencontres de debaa sont un moyen de donner de la force et de la confiance aux femmes de son village en les poussant à se dépasser. Son groupe est formé
davantage de jeunes filles. « il n'y a rien ici, pas d'activité récréative, pas de cinéma, rien !
C'est pour ça qu'on fait du debaa, pour s'amuser et se distraire un peu ».
PRESENTATION DE L'EQUIPE
Elena Bertuzzi
Chorégraphe // Choréologue // Notatrice Laban // Chercheuse en Ethnologie de la danse
Diplômée au C.N.S.M.D. de Paris en 1997, elle a étudié la danse en Italie, en France et aux U.S.A., parallèlement à des études en Sciences Politiques à Université de Turin. En 2011, elle obtient le Diplôme de Master Recherche en Ethnologie Générale, Ethnomusicologie à l'Université Paris Ouest Nanterre La Défense. Depuis 1996, elle enseigne l’analyse du mouvement, la Cinétographie Laban et l’Ethnologie de la danse à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense et à l'Université de Clermont-Ferrand. Depuis 1980, elle participe comme interprète, chorégraphe et assistante chorégraphique à plusieurs créations, en Italie et en France. En 1988, avec la Cie Tindomè, elle est primée au Concours du Festival d'Orléans. Elle a transcrit en partition et reconstruit nombreuses oeuvres de répertoire. Elle mène des projets
pédagogiques concernant l'utilisation de la notation Laban dans l'enseignement de la danse auprès de différents publics. Elle utilise la notation dans le champ de la recherche ethnographique en danse.
Passionnée de cinéma documentaire et formée à l’Ecole Pratique en Hautes Etudes avec Jean Rouch et Anne Comolli, elle a réalisé de nombreux films documentaires et vidéos sur la danse.
Laure Chatrefou - Réalisatrice de films documentaires
Artiste audiovisuelle, diplômée d’un master en art et anthropologie, elle est issue du monde de la danse contemporaine. Ses films explorent des thématiques en lien avec cet art : processus de création, plaisir de danser, portrait de chorégraphes, étude des danses traditionnelles. Elle collabore régulièrement avec des compagnies de danse pour créer des vidéos-danse, des bandes sonores et des ateliers. Elle organise des projections de films de danse dans les cinémas d’art et d’essai. Parallèlement, elle réalise des créations sonores pour Arte Radio où elle explore l’intime, le voyage et les questions de société. Elle crée des projets audiovisuels participatifs dans lesquels l’imaginaire transforme les territoires et les lieux de vie.
Elle est également fondatrice de l’association nantaise Super Chimère dédiée aux pratiques documentaires.
Jeanne Robet - Plasticienne sonore
Jeanne Robet enregistre et réalise des pièces sonores, des installations et des bandes-son pour la radio (Arte Radio, France Culture), le court-métrage, et l’art contemporain (Le Cent Quatre, L’Encyclopédie de la Parole, Stereolux, le Mucem). Ponctuellement elle anime des ateliers radio et travaille comme ingénieur du son à l’image. Après un Master en Cinéma et Audiovisuel à l’Université de Provence et à la Ealing School of Art, Design and Media de Londres, elle s’oriente vers la création et le documentaire sonores en intégrant l’équipe d’Arte Radio en 2003. Après six années passées à la coordination de la production pendant lesquelles elle réalise également ses premières pièces, elle bénéficie en 2010 d’une résidence de création au Cent Quatre pour « Tombeaux Ouverts » et se consacre désormais entièrement à la
réalisation sonore. Elle a un goût prononcé pour les prises de sons improbables (« La Bande SM » nominée au Prix Europa et au Prix Italia), les montages excentriques à partir d’archives autour des formes de la parole ou encore le docu-fiction (L’audio-guide détourné « Le fantôme du sémaphore » pour Marseille Provence 2013, capitale culturelle européenne).