Il est fou de séries policières mais, celle qu’il préfère, c’est la sienne. Le capitaine Kader Cherif (Abdelhafid Metalsi), toujours accompagné de sa coéquipière, le capitaine Adeline Briard (Carole Bianic), reprend du service pour une troisième saison qui rebat résolument les cartes : amours déçues, faux-semblants, fantômes du passé, mise en abyme... et une pincée de romantisme. Cherif et Briard vont-ils enfin s’avouer leurs sentiments ? Patience, on n’est pas dans Castle.
Il était une fois – et pour une fois – un flic... plutôt heureux. Pas Scandinave, pas dépressif, pas tellement torturé par un lourd secret, même pas au bout du rouleau. Français d’origine maghrébine, « issu de l’immigration », comme on dit, et pas spécialement travaillé par cette question, si jamais ç’en est une. Donc, plutôt heureux dans sa vie et prenant plaisir à faire son travail. Enfin, la vie, c’est la vie, hein... Un père plus ou moins volatilisé quand il avait 15 ans, une mère très, très... méditerranéenne, une ex-femme, une fille adolescente, dégourdie et têtue. Et le boulot... Meurtres, enlèvements, etc. : flic à la Crim’ de Lyon, ce n’est pas la rigolade tous les jours, même quand on adore ça. Ou plutôt, chez notre flic, la vie, c’est le boulot, et inversement. Quand on habite en face de l’hôtel de police, qu’on y interroge à l’occasion des témoins devant un thé à la menthe, qu’on en pince sérieusement pour sa coéquipière, ça n’aide pas. Des méthodes peu orthodoxes, parfois, mais un excellent flic tout de même, on a eu le temps de s’en convaincre. De la perspicacité, de la classe, de l’empathie, de l’humour, du charme et un fameux brin de folie. Une double formation, si on peut dire : école de police... plus l’intégrale des séries Kojak, Starsky et Hutch, Columbo, Amicalement vôtre, Mission impossible, on en passe et des meilleures. « Quand nous avons créé cette série, avec Laurent Scalese et Stéphane Drouet, confie Lionel Olenga (auteur et directeur de collection avec Marine Gacem), elle était tout simplement celle que nous avions nous-mêmes envie de voir : positive, drôle, ludique, référentielle, et la culture télévisuelle de Cherif était la nôtre, puisque nous sommes tous des passionnés de séries. Dans une autre vie, j’ai travaillé dans les douanes pendant plus de dix ans. J’ai toujours un peu honte de l’avouer mais quand on faisait des planques, il m’arrivait d’écouter des génériques de séries, la musique de Mission impossible par Lalo Schifrin, par exemple... Dans ces moments, il y a quelque chose qui se passe, une part de soi est transportée dans la fiction, tandis que l’autre demeure dans le réel. Le second degré de Kader Cherif vient directement de cette expérience. » Un grand gamin, Cherif. « C’est ce côté qui me le rend très émouvant, poursuit Abdelhafid Metalsi, cette part d’enfance chez un type qui côtoie les côtés les plus sombres de l’âme humaine. Pour ma part, je regarde souvent les épisodes de la série en famille à la maison et je m’y laisse prendre comme n’importe quel téléspectateur, je ris, je suis ému, j’ai envie que ça continue, et puis je sursaute en me disant “Mais c’est moi, là !”»
Abyme
Du second degré, dans Cherif, c’est encore peu dire. À y regarder de près, la série reprend le principe classique de l’empathie avec le spectateur dans Les Envahisseurs. David Vincent a vu des extraterrestres, on le prend pour un cinglé mais le téléspectateur sait que c’est vrai. Ici, cela tourne à la mise en abyme. Kader Cherif se vit comme le héros d’une série policière, cela fait bien rigoler ses proches (ou grincer des dents sa coéquipière), mais nous savons que c’est vrai puisque nous sommes en train de regarder Cherif. Et l’abyme, dans cette troisième saison a plutôt tendance à s’ouvrir davantage. On verra ainsi notre héros devenir le conseiller d’une vedette du petit écran (Sören Prévost), célèbre pour son rôle de flic (évidemment) dans une série policière, ou encore, après une crise d’amnésie, recouvrer la mémoire en citant les séries Caïn, Candice Renoir, Chefs, Castle, Les Hommes de l’ombre... « Cherif, poursuit Lionel Olenga, a accompagné, je crois, un certain renouveau des séries françaises. Les intégrer à la série nous permet à la fois d’élargir l’univers de Kader Cherif – plutôt anglo-saxon jusqu’à présent, et plutôt situé dans les années 70 et 80 – et d’enrichir nos sources d’inspiration et de citations. Le fait qu’il s’agisse pour une part d’entre elles de séries diffusées sur la même chaîne que Cherif est un clin d’œil supplémentaire. Mais ce sont d’abord des séries que nous apprécions. On ne s’impose rien, on ne s’interdit rien. Y compris de citer à l’occasion des séries encore inédites en France. »
Rebattre les cartes
La troisième saison d’une série, on le sait, est souvent un moment de plus grande liberté, de remise en question, d’expérimentations. « La saison 1, raconte Carole Bianic, avait été écrite par des auteurs qui ne nous connaissaient pas encore. Nos personnages étaient encore très fictifs, et il a fallu les enfiler comme on enfile un vêtement, faire quelques retouches. Les auteurs ont appris à nous connaître, à comprendre nos personnalités, ils ont vu ce qui marchait bien ou moins bien. À présent, il sont plus à même de jouer de tout cela et on travaille beaucoup plus ensemble. Pendant la préparation de cette saison 3, ils nous ont demandé quels étaient nos talents cachés, nos envies, ce qu’on savait faire d’autre que jouer la comédie. Moi, comme chaque année, je ramène le cheval et l’équitation, qui sont ma grande passion. Mais ce n’est pas simple pour une série policière, ça le serait davantage dans un western [rires]. J’aime aussi chanter, et les auteurs ont réussi à intégrer cela dans un épisode. J’avais également très envie d’essayer la langue des signes, que je ne connaissais pas. Ça a été le point de départ d’un autre épisode, où je donne la réplique à une jeune comédienne sourde. J’ai pris des cours, j’ai eu un coach, c’était vraiment chouette d’apprendre tout ça, très sérieusement. Et je crois que le résultat est réussi, que cela donne de belles scènes. » Renseignements pris, le cheval serait à l’étude pour une prochaine saison...
« Dans la saison 1, reprend Lionel Olenga, on proposait, on mettait en place, doucement : aujourd’hui, ce qu’on appelait naguère le “pilote” se poursuit souvent sur plusieurs épisodes. Dans la saison 2, on élargissait. Dans la saison 3, il était temps de s’amuser avec les personnages, de lancer des défis aux comédiens, de rebattre les cartes. » On retrouvera donc avec le même plaisir toutes ces choses qui fonctionnent désormais comme des petits rituels pour le téléspectateur, à commencer par les blagues vaseuses de Baudemont et les tentatives de drague de Debax à l’attention de Briard, etc. Pour le reste, les lignes bougent peu à peu, cela fictionne de plus en plus, certaines histoires courent sur deux épisodes. Il y a le retour d’un père absent, les retrouvailles avec un ami d’enfance perdu de vue, une amnésie, l’irruption de la fiction dans la fiction (notre hôtel de police de cinéma devient le lieu d’un tournage de cinéma !). D’une certaine façon, il s’agit encore de variations ludiques et savantes sur les codes classiques du récit. Cherif, d’ailleurs, en bon spécialiste, ne lance-t-il pas à son ami, incarné par Alexandre Brasseur : « Quand un héros de série retrouve un ami d’enfance, c’est toujours lui le coupable à la fin » ? (on verra s’il a raison ou tort). Mais Cherif et Briard se dévoilent. S’il y a toujours du jeu entre ces deux-là (et les références à Castle sont sans doute là aussi pour le souligner), quelque chose de plus grave est en train de se faire jour. Cette saison, qui débute par un baiser et un départ (mais par forcément ceux que l’on attendait) s’achèvera par un autre baiser et un autre départ (qui en laisseront plus d’un sur leur faim/fin).
« Les relations entre Cherif et Briard, termine Lionel Olenga, sont clairement un des grands enjeux de la série. Un enjeu, une tentation, un danger... On prend notre temps... »
Christophe Kechroud-Gibassier
Série
D'après Stéphane Drouet, Laurent Scalese et Lionel Olenga.
Production : Makingprod.
Avec la participation de : France Télévisions.
Avec Abdelhafid Metalsi (Kader Cherif), Carole Bianic (Adeline Briard), Élodie Hesme (Deborah Atlan), Greg Germain (Jean-Paul Doucet), François Bureloup (Joël Baudemont), Clémence Thioly (Stéphanie Giraud) et Mélèze Bouzid (Sarah Cherif).
Abdelhafid Metalsi nous en dit plus sur cette troisième saison plus tournée vers les histoires personnelles et sur Cherif, le charmeur et perspicace capitaine de police lyonnais.
La troisième saison est un tournant. Elle verse un peu plus dans les histoires personnelles…
À la première saison, on avait posé les personnages. Puis, en deuxième saison, on avait musclé un peu les enquêtes. Pour la troisième, j'avais envie d'aller plus loin dans la vie de Cherif, dans ses relations à la fois privées et professionnelles, et obtenir ainsi plus de cartes à jouer. Je voulais que les personnages soient un peu plus mis en danger, et je pense avoir été entendu. Attente forte, celle du père de Kader évoquée dans les saisons 1et 2. Sera-t-il enfin là, lui que Chérif a si peu vu durant toute sa vie ? Et bien sûr, les relations avec Briard sont aussi au cœur de cette saison. Cherif se met à nu face à Adeline, il lui fait de vraies déclarations mais il se prend aussi de vraies tartes. C'est beau et émouvant de voir ce type repartir au charbon malgré tout.
Avec des déclarations sous forme de boutades, l'aventure d'un soir entre son ex-femme et lui à la fin de la 2e saison… Briard a peut-être toutes les raisons d'agir ainsi, non ?
Peut-être, mais il ne se décourage pas, même s'il est charmeur, il peut aussi être très sérieux. Je repense à cette scène où Cherif prend le bras de Briard et lui dit qu'il est l'homme de sa vie mais qu'elle ne le sait pas encore.
La tension entre les deux personnages est accentuée, ce qui fait tout le sel de Cherif depuis trois saisons. Comment ?
La tension est toujours là parce que le dénouement est plus qu'incertain et la frustration du téléspectateur toujours maintenue... d'autant que l'on ne connaît pas l'éventualité d'une saison supplémentaire ! Si d'aventure, une quatrième saison était créée, la fin de la troisième suscitera pas mal de rebondissements...
Cherif est quand même aux antipodes du flic torturé, avec sa part d'ombre. Il est plutôt heureux de sa vie, de son job, de ce qu'il est.
C'était le souhait de Stéphane Drouet, le producteur, et de Lionel Olenga, l'un des créateurs, d'avoir un personnage un peu solaire, rayonnant, bien dans ses baskets. Dans le cadre d'une fiction, ils ont eu cette possibilité de raconter des histoires d'enquêtes policières sur un ton léger, ludique. Ils ont eu l'intelligence de faire ce choix et de trancher avec le personnage du flic sombre. Cherif reste du divertissement, sans faire l'impasse sur une réalité bien présente autour de nous.
Un peu comme certaines séries américaines régulièrement évoquées, Starsky et Hutch ou Amicalement vôtre par exemple ?
On se revendique ouvertement de ces séries, et bien d'autres encore comme Le Saint ou Kojak, qui ont bercé notre enfance : avec des personnages qui ne manquaient pas d'humour en dépit des enquêtes qu'ils menaient. On a grandi avec ces repères et Cherif aussi. Cela transparaît dans sa manière de vivre, il en est même content. On peut même aller plus loin parce que Cherif pense être le héros de sa propre série alors qu'il est flic dans la réalité ! Je me souviens d'une séquence – j'avais vraiment eu du plaisir à la jouer – qui illustre bien cet état d'esprit : on lui fait remarquer que ce qu'il vient de dire est digne d'une réplique de série et, tellement émoustillé, tellement content d'être comparé à des séries dont il est fan, il demande laquelle [rires] !
Que diriez-vous de Cherif après trois saisons ?
C'est l'ami qu'on aimerait avoir : il rassure, il perd rarement son sang-froid et il a beaucoup d'humour. Cherif ose beaucoup de choses mais toujours avec le sourire et élégance. Il est quand même un peu particulier : il saoule pas mal ses collègues avec ses références parce qu'il a une mémoire d'éléphant.
Un poil agaçant, comme il le dit lui-même (épisode 1) : il sourit tout le temps et a toujours raison !
Il est agaçant comme peuvent l'être certaines personnes trop sûres d'elles et qui ont un certain aplomb. Il est charmant, on le voit évoluer avec beaucoup d'aisance. Je pense qu'il agace pour toutes ces choses mais aussi parce qu'on aimerait être comme lui, finalement.
Cherif est un grand gamin, non ?
C'est un grand gosse comme moi [rires] ! Je crois que je partage ça avec lui : on aime s'amuser et partager cet état d'esprit. Mais je n'ai pas autant d'aplomb, d'humour : je suis plus réservé.
Au fil des saisons, que lui avez-vous apporté et que vous a-t-il apporté ?
On a coutume de dire qu'on incarne un personnage. Mais il faut savoir qu'il est très écrit en amont. Les auteurs ont en tête un personnage et c'est à moi, ensuite, de le jouer et de proposer des suggestions. J'ai ce recul par rapport au personnage parce que je me demande si ce n'est pas plutôt Cherif qui m'apporte beaucoup. Je lui donne mes yeux, mon sourire, et Cherif m'apporte une certaine légèreté.
N'est-ce pas en rapport avec votre filmographie où les rôles sombres ou sérieux prédominent ?
J'ai eu beaucoup de plaisir à jouer ce genre de rôles, mais il est vrai que Cherif m'a permis de montrer une autre facette et une autre palette de jeux : un personnage léger, qui sourit, qui a de l'humour. C'est plaisant et agréable d'être dans la peau de Cherif. Et je remercie les auteurs et le producteur d'avoir su déceler en moi cette capacité à l'autodérision et de m'avoir donné la possibilité de montrer ce visage-là.
Ce qui n'était pas gagné apparemment…
Effectivement ! L'un des écueils de ce métier est d'être vite catalogué, et il faut rendre justice à Stéphane Drouet car c'est lui qui a pensé à moi après avoir vu Les Hommes de l'ombre. Il en avait parlé à Lionel qui avait décliné la proposition parce que je ne souriais jamais ! Il m'a fait rire quand il m'a raconté cette anecdote, je lui ai alors répondu que c'était le rôle qui voulait ça ! Après des essais concluants, Lionel m'avait confié : « C'est bête. Dans Les Hommes de l'ombre, on garde l'image de quelqu'un de sérieux, carré, et on se dit que tu ne peux pas faire autre chose. »
Une dernière question : et si Cherif avait une seule question à poser à Briard, quelle serait-elle ?
« Est-ce que tu m'aimes ? »
Propos recueillis par Mona Guerre