Sens du dialogue ciselé et du rythme, goût pour le politiquement incorrect et les personnages hors normes… Scénariste depuis près de trente ans, Paul Abbott a créé quelques-unes des séries anglaises les plus déjantées et récompensées de ces dernières années (comme Shameless ou Jeux de pouvoir).
Comment expliqueriez-vous le titre de la série au public francophone ?
Littéralement, « no offence » signifie « pas d’infraction » ou « pas de délit », ce qui est déjà, vous en conviendrez, assez ironique pour une série policière ! Mais surtout, en anglais, il s’agit d’une expression courante pour dire « je ne veux pas vous offenser », expression immanquablement suivie par « mais... » : « je ne veux pas vous offenser… mais… votre tête ne me revient vraiment pas ! » On emploie justement « no offence » quand on s’apprête à dire ou faire quelque chose de blessant. Ce titre me plaît beaucoup – j’ai beaucoup ri quand je l’ai trouvé –, car il dit déjà tout ce qu’est la série : sans vouloir vous offenser, vous allez prendre cher !
De fait, No Offence ne ménage ni les personnages ni le spectateur…
Quand, une minute à peine après le début du premier épisode, la tête d’un suspect finit écrasée sous un bus devant l’héroïne passablement éméchée, ça donne une petite idée de l’humour de la série ! Noir, très noir. Mélanger comédie et polar, ce n’est pas une première. Mais il me semble que, souvent, ce mélange tourne à l’avantage de la comédie et aboutit à quelque chose de caricatural, tendance « slapstick » ou jeux de mots faciles. Mon ambition était plutôt de tirer la comédie noire vers le polar et non l’inverse. J’ai dû veiller à ce que, du point de vue des intrigues policières, la série soit le plus authentique et crédible possible, sans jamais abandonner les traits caustiques. Jusqu’où aller dans l’humour noir ? Jusqu’où aller dans le polar ? L’écriture a supposé une recherche constante et délicate d’équilibre.
Y avait-il de votre part la volonté de vous démarquer des standards de la série policière comique ?
Je consomme beaucoup de séries américaines et anglaises et j’en vois de très bonnes, qui valent vraiment la peine. Mais, de façon instinctive, j’essaie plutôt de repérer ce qui n’a pas encore été fait. Aller où les autres ne sont pas encore allés pour y emmener le public. Une démarche complexe qui demande beaucoup de précision et de respect. Il ne s’agit pas simplement d’être trash ou de jouer la provoc’ en donnant une grosse claque au spectateur – même si No Offence lui en réserve quelques-unes ! –, mais d’user d’empathie et de séduction. Prendre le spectateur par la main plutôt que lui forcer la main.
« Aller où les autres ne sont pas encore allés », dites-vous... D’où le choix de faire la part belle à des personnages féminins aussi inattendus ?
Dès le début de ma carrière, j’ai compris que les femmes étaient le pivot de la série télévisée moderne et que tout scénariste se devait d’écrire de beaux rôles féminins. Il y a tant de grandes actrices qui, passé l’âge de 40 ans, ne trouvent plus de rôles intéressants ! On me demande souvent : « Comment faites-vous pour écrire si bien pour les femmes ? » Mais la vraie question à se poser est : « Pourquoi est-ce que si peu de scénaristes le font ? » No Offence est clairement une série féminine, mais pas dans le sens où elle serait destinée uniquement à un public féminin – comme on le dirait de la presse féminine. Vivienne Deering et Dinah Kowalska sont des femmes avec lesquelles les hommes auraient envie de boire des pintes !
La série file à toute allure, sans jamais perdre le spectateur en cours de route. Comment maintenez-vous ce tempo et cette lisibilité ?
J’ai débuté dans les années 1980 comme script editor sur l’un des plus vieux soap opera anglais, Coronation Street – diffusé depuis 1960, une véritable institution chez nous ! On y écrivait toujours ce genre de scènes où un homme revient chez lui après un long voyage. D’abord, on voit sa femme acheter du thé au marché : « Je vais préparer un bon thé pour le retour de mon mari ». Puis, à la maison : « Tiens, mon chéri, je t’ai préparé un bon thé pour ton retour ». Et le soir, au pub, l’homme à ses amis : « Ma femme m’a préparé un bon thé pour mon retour » ! Une seule de ces scènes était amplement suffisante… Mais, allez savoir pourquoi, il fallait tout expliquer, plutôt trois fois qu’une ! À l’inverse, No Offence a ce que j’appellerais un fort « métabolisme narratif » : la série avale rapidement ses intrigues et il faut sans cesse la nourrir. C’est une manière d’impliquer le spectateur au maximum, de respecter son intelligence et son expérience des séries, plutôt que de le laisser avoir trois temps d’avance et crever d’ennui. C’est aussi, pour moi, une façon de jouer avec lui. Depuis Jeux de pouvoir, je m’amuse à différer ses attentes. Je crée une tension et, juste après, je lance soudain une autre piste, inattendue, énorme, avant de résoudre la première tension. Le spectateur, déstabilisé pendant un temps, est alors d’autant plus récompensé.
On vous connaît pour votre sens des dialogues qui font mouche. Pour autant, No Offence joue beaucoup sur le non-dit…
Une anecdote : une de mes amies est sourde. Elle me racontait que, quand la télévision est allumée chez elle, elle n’y prête aucune attention sauf quand… les personnages s’arrêtent de parler. Autrement dit, il y a une réelle intensité dans les silences – et Dieu sait que, pourtant, la télévision n’aime pas le silence ! Si j’accorde une grande attention aux dialogues, j’essaie aussi de privilégier tout ce qui peut être « dit » autrement. Faire en sorte que la série ne soit pas « sur-écrite », éviter les dialogues explicatifs, tout en restant compréhensible. Entre les personnages, ces policiers qui travaillent ensemble depuis si longtemps, qui se connaissent par cœur et ont vécu ensemble bon nombre d’horreurs, il se passe quelque chose de l’ordre de la télépathie. Un regard, un geste, une blague et ils se comprennent immédiatement : je tenais à retranscrire ce mode particulier et délicat de communication et à ce que le téléspectateur en soit complice.
Les intrigues de No Offence décrivent toute la noirceur de la société actuelle, mais vos personnages gardent leur part d’humanité. Faut-il y lire une position morale ?
J’avais envie de montrer des hommes et des femmes qui aiment leur travail et qui le font bien. J’éprouve une véritable tendresse pour les gens qui excellent dans leur métier, aussi difficile et éprouvant soit-il. L’équipe de No Offence est comme une grande famille – un peu comme que celle de Shameless – placée sous la houlette de Vivienne Deering, personnage haut en couleur s’il en est. Tout le monde la suit, en confiance. Elle donne le la. Certes, elle n’est pas parfaite, ses méthodes supposent de s’arranger parfois avec la loi, de prendre quelques raccourcis – et, dans le dernier épisode, on voit très clairement le genre de « raccourci » dont il est question ! –, mais elle n’oublie jamais le sens de ce qui est juste, humain. De même, à la fin du premier épisode, quand Dinah Kowalska recueille une victime chez elle, son geste est insensé au regard de sa fonction, mais elle agit instinctivement au nom d’une certaine idée du bien. Je ne veux pas faire la morale – d’abord, ce serait très ennuyeux ; ensuite, on n’a pas le temps pour ça –, mais j’aime l’idée que ces questions-là soient sous-jacentes, que le public puisse s’en emparer, y réfléchir, dormir dessus et rester libre de son propre jugement.
Propos recueillis par Cyrille Latour
Pour en savoir plus, notre site dédié : No Offence
Épisode 1 : Erreur sur la personne
Réalisé par Catherine Morshead et David Kerr. Scénario de Paul Abbott.
Dans un quartier miteux de Manchester, une équipe d’agents de police dirigée par l'inspectrice Vivienne Deering se retrouve chargée de démêler une grosse affaire dans laquelle est impliqué un serial killer tordu. Deering et son équipe sont déterminées à faire face, n’hésitant pas à avoir recours à des méthodes peu conventionnelles et peu orthodoxes.
Épisode 2 : Cocktails meurtriers
Réalisé par David Kerr et Catherine Morshead. Scénario de Paul Abbott.
Dessaisis de l’affaire des meurtres en série, Deering et ses hommes tentent de se racheter en enquêtant sur une drogue particulièrement dangereuse récemment mise en circulation.
Épisode 3 : L'un des vôtres
Réalisé par Catherine Morshead. Scénario de Paul Tomalin.
Tandis que le tueur en série continue de sévir, les tensions raciales montent dans le quartier après la mort d’une femme d’origine pakistanaise des suites d’une agression apparemment à caractère raciste.
Épisode 4 : Mauvais payeurs
Réalisé par Misha Manson-Smith. Scénario de Jack Lothian.
La brigade de Friday Street met au jour une combine poussant les habitants endettés à vendre leurs reins. Par ailleurs, une nouvelle disparition fait faire des progrès spectaculaires à l’enquête sur les meurtres en série.
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Créateur et showrunner : Paul Abbott
Compositeur : Vince Pope
Producteurs exécutifs : Paul Abbott et Martin Carr
Produit par AbbottVision
Avec Joanna Scanlan (D.I. Vivenne Deering), Elaine Cassidy (D.C. Dinah Kowalska, Alexandra Roach (D.S. Joy Freers), Will Mellor (D.C. Spike Tanner), Paul Ritter (Randolph Miller), Colin Salmon (Detective Superintendent Darren Maclaren), Saira Choudhry (P.C. Tegan Thompson), Tom Varey (P.C. Stuart O'Connell), Ste Johnson (P.C. Jonah Mitchell), Neet Mohan (P.C. Taz Ahmed).
Créée par Paul Abbott (à qui l’on doit Shameless, Hit & Miss et Jeux de pouvoir), No Offence est une série policière pas comme les autres. Dans un commissariat modeste d’un quartier démuni de Manchester, une bande de policiers se débrouillent avec les moyens du bord, tout en se demandant ce qu’ils ont bien pu faire pour atterrir dans ce « trou à rats ».
Loin d'être découragés, ces flics apparemment mal assortis mais tenaces s’attèlent tous les jours à la tâche herculéenne d’y faire régner l’ordre. La mission a pourtant de quoi effrayer même la plus motivée des jeunes recrues : laboratoires de drogue clandestins, pyromanes, néonazis et assassins notoires… Tel est le quotidien de cette équipe soudée dirigée par le commandant Vivienne Deering, elle-même redoutablement efficace mais complètement déjantée.
Pourtant endurcis et expérimentés, ils commencent à perdre pied le jour où un tueur en série particulièrement vicieux se met à sévir... Flanquée de ses deux fidèles adjointes, Dinah Kowalska, lieutenant aussi sensible qu’impulsive, et Joy Freers, tout récemment promue au rang de capitaine à la surprise générale, Deering a la lourde mission de résoudre cette affaire par tous les moyens possibles.
Une chose est certaine : de toutes les ordures que nos flics ont l’habitude de côtoyer, celle-ci est de loin la plus déséquilibrée. Elle va bouleverser leur vie de façon surprenante…
COMMANDANT VIVIENNE DEERING
(Joanna Scanlan)
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la patronne de la brigade est une personnalité haute en couleur et au caractère en acier trempé. Excellent commandant à la tête d’une équipe de choc dévouée, Vivienne Deering est un croisement éblouissant entre la Miss Piggy du Muppet Show et Jane Tennison, l’héroïne dure à cuire interprétée par Helen Mirren dans Suspect n°1. Deering est une sorte de Valkyrie sous acide mais merveilleusement compétente… malgré des méthodes pas toujours très élégantes.
LIEUTENANT DINAH KOWALSKA
(Elaine Cassidy)
Dinah a un cerveau en constante ébullition. Mère célibataire au grand cœur, c’est une femme forte, impulsive et passionnée totalement dévouée à sa fonction de lieutenant de police. Lieutenant, et non capitaine, comme on l’apprend au tout début de la saison, la patronne l’ayant privée d’une promotion amplement méritée. Dinah aime le travail bien fait, sans pour autant se conformer au règlement, à l'instar de Deering...
CAPITAINE JOY FREERS
(Alexandra Roach)
Promue au rang de capitaine, Joy va faire, à la surprise générale, ses preuves dans ce nouveau poste qui devait revenir à Dinah. Cette jeune femme a néanmoins le talent tout particulier de se nuire à elle-même, talent qu’elle doit à ses nombreuses névroses. Joy est bien la seule à n'avoir conscience ni de sa beauté, ni de son intelligence, ni de son humour...
LIEUTENANT SPIKE TANNER
(Will Mellor)
Spike est un flic discipliné, téméraire et doté d’une conscience morale inébranlable. C’est lui qui crée l’équilibre émotionnel de l’équipe. Il est très heureux de la position qu’il occupe, et Deering sait qu’elle peut compter sur lui si elle a besoin d’une main virile.
COMMISSAIRE MACLAREN
(Colin Salmon)
C’est l’homme qui a le redoutable honneur d’être le supérieur de Deering. Capable d’être à la fois désarmant de franchise et extrêmement manipulateur, c’est un bon flic qui s’est résolu à tout miser sur une carrière plus politique. Tous les matins, en se rasant, il se verrait bien en commissaire divisionnaire…
RANDOLPH MILLER
(Paul Ritter)
Miller est l’expert de la police scientifique de la brigade. Excentrique, non conformiste et régulièrement en proie à la gueule de bois, il n’en demeure pas moins excellent dans son travail. Les policiers, dont Deering, le laissent le plus souvent s’en tirer à bon compte tant qu’il reste dans ses clous… qu’il déplace chaque semaine !