À l'occasion de l'exposition « The Color Line — Les artistes africains-américains et la ségrégation » au musée du Quai Branly*, le réalisateur Jérémy Rozen invite à plonger dans le Paris des Années folles. Au sortir de la Grande Guerre, la capitale française est devenue un haut lieu de la vie nocturne et de la créativité artistique. Parmi les artistes à s’y presser se trouvent de nombreux Noirs américains, qui, comme Joséphine Baker, bénéficient de ce côté-ci de l’Atlantique d’une liberté d’expression dont ils sont privés dans leur pays.
Au lendemain de la Der des ders, la France peine à se reconstruire. Trop de morts, de disparus et de blessés. À Paris, comme un pied de nez à ces cinq années de souffrance et de barbarie, la fête bat son plein. Il faut vivre, savourer, s’enivrer, danser, vibrer au rythme du jazz importé en 1917 par le 369e régiment d’infanterie noir américain, les Harlem Hellfighters. On se presse à Montmartre, à Montparnasse, pour y découvrir de nouveaux artistes, de nouveaux spectacles. Le charleston est LA danse à la mode et Joséphine Baker, la coqueluche du Tout-Paris. On aime son jeu scénique et sa joie de vivre si communicative. En 1925, à 19 ans, sous l’impulsion de Caroline Dudley Reagan, elle a accepté de traverser l’Atlantique pour devenir la vedette de la « Revue nègre », qui se produit au Théâtre des Champs-Élysées et dans laquelle joue un certain Sidney Bechet.
La liberté des Années folles
À l’époque, la France est perçue pour nombre d’artistes étrangers comme le pays des libertés. Ici, bien plus qu’ailleurs, et surtout en ces années 1920, ils peuvent s’exprimer, exercer leur métier, sans craindre d’être victimes de ségrégation, de préjugés ou d’emprisonnement. Et les Noirs américains, comme les sculptrices Nancy Elizabeth Prophet et Augusta Savage, les peintres Henry Ossawa Tanner et Palmer Hayden, l’écrivain Claude McKay ou encore le touche-à-tout et médaillé de la croix de guerre Eugene Bullard ont très vite saisi cette opportunité.
À Clamart, des auteurs majeurs de la Harlem Renaissance (initiée à Harlem par W.E.B. Du Bois, Alain LeRoy Locke et Jessie Redmon Fauset), des écrivains, dont Léopold Sédar Senghor, et des musiciens africains ou antillais viennent régulièrement échanger dans le salon littéraire tenu par Paulette et Jeanne Nardal. Issues de la bourgeoisie martiniquaise, les deux sœurs ont, par ailleurs, été les premières femmes noires à étudier à Sciences Po. Paulette, dont on dira plus tard qu’elle est la marraine de la Négritude, avait aussi créé, avec Jeanne, La Revue du monde noir, où chacun pouvait exprimer ses idées en toute liberté.
La France de Diderot n’est pas parfaite, mais, sans elle, la culture afro-américaine, antillaise ou africaine n’aurait certainement pas connu une telle renommée. Il n’est qu’à découvrir, dans le documentaire de Jérémy Rozen, les peintres, sculpteurs, musiciens, écrivains qui ont vécu à Paris, pour réaliser combien ce « havre de la créativité et de l’émancipation » fut pour tous bénéfique.
Clotilde Ruel
* Du 4 octobre 2016 au 15 janvier 2017.
Documentaire
Durée 52 min
Réalisation Jérémy Rozen
Production Tangaro, avec la participation de France Télévisions et en partenariat avec le musée du Quai Branly — Jacques Chirac
Année 2016
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