Laurent Gerra incarne Franck Jourdan, un journaliste d'investigation qui traque Paul Touvier (François Morel), ancien collabo et chef de la milice à Lyon durant la Seconde Guerre mondiale. Un véritable contre-emploi qui souligne une interprétation remarquable de justesse et d'intensité.
Connaissiez-vous l’histoire de Paul Touvier ?
Oui, à l'époque du procès de ce monsieur, on en parlait beaucoup. Je me souviens avoir fait un sketch chez Jacques Martin qui s’intitulait « Touvier tout bronzé » [rires]. Je connaissais d’autant plus cette histoire que je suis originaire des environs de Lyon et que Touvier a agi dans la région. C'est là qu'on a retrouvé tous ses dossiers. Avec François Morel, on discutait de lui durant le tournage. On se souvenait tous les deux de sa petite chemise rouge et de cette espèce de lacet qu’il portait en guise de cravate durant son procès.
Pourquoi avoir accepté ce film ?
Cette histoire me parlait car elle me touchait personnellement. Quand Jean-Luc Michaux (producteur de Native) m’a proposé le rôle de Franck Jourdan, j’étais déjà très impliqué dans mes recherches liées aux carnets de guerre de mon grand-père*. Il a été prisonnier durant la Seconde Guerre mondiale. Il s’est évadé puis est entré dans la Résistance des Maquis de l’Ain. Ces derniers, dirigés par le colonel Romans-Petit, étaient sous les ordres de Jean Moulin qui venaient de Lyon, où il y avait un gros département de la Résistance.
Une coïncidence troublante...
C’est vrai que le hasard était très troublant pour moi : ces deux histoires se télescopaient sur une même période, la Seconde Guerre mondiale, et dans la même région. À l’instar de mon personnage, je me suis plongé dans un travail d’investigation concernant le passé de mon grand-père : essayer de retrouver des personnes qui l’avaient connu, de revenir sur ses pas, sur l’itinéraire de ses cavales, d’en savoir plus sur ce qu’il avait vécu.
Connaissiez-vous Jacques Derogy, le journaliste qui a inspiré le personnage que vous incarnez, Franck Jourdan ? Que pensez-vous de lui ?
J’avoue que je ne savais pas que tout était parti de l’article de ce journaliste de L’Express, en 1972. Je me souvenais davantage de l’après, avec le procès de Touvier. J’ai eu l’occasion d’en parler avec des journalistes de RTL. D’ailleurs, ils connaissaient bien ce journaliste et son histoire.
De la même manière qu'on a découvert Klaus Barbie en Amérique du Sud, ce journaliste se rend compte que Touvier est en liberté, gracié par Georges Pompidou, alors président de la République. Rester en France pour tenter de débusquer Paul Touvier était à la fois culotté et un vrai acte de bravoure. J’admire ce genre de personnes qui sont au service de la vérité. Elles sont obsédées par ça, mettre un coup de pied dans la fourmilière. Je trouve même héroïque et courageux que cet homme soit allé à l’encontre du pouvoir et de l’État pour aller au bout de la vérité et la dévoiler au grand jour.
Comment avez-vous abordé votre personnage ?
La production ne souhaitait pas que je cherche à en savoir plus sur Jacques Derogy, contrairement à François Morel qui, lui, s’est beaucoup renseigné sur Paul Touvier. Je pense qu’elle voulait que j’aborde le personnage de façon neutre. J’ai donc imaginé un homme sérieux, besogneux, qui ne lâchait pas l’affaire. Cet acharnement du journaliste était très intéressant à jouer, d’autant plus que cela crée une tension dans la relation entre Touvier et lui. À chaque mauvais coup de Touvier, Jourdan apparaît avant ou après, on s’aperçoit que l’histoire de l’un ne va pas sans l’histoire de l’autre.
Comment expliquez-vous que ce silence autour de Touvier ait longtemps duré ?
Il y a ce passage dans le film avec l’intervention de Pompidou à la télévision qui est assez éloquente, je trouve. Le président fait comprendre que le pays doit passer à autre chose, et que faire ressurgir les événements de la Seconde Guerre mondiale n’est pas heureux. Je pense qu’ils ont dû se dire que si on remettait le nez dedans, on ne serait pas très fiers de ce passé justement. Avec tous ces résistants de la dernière heure, tous ces noms en haut lieu, on n’en finirait plus tant ils sont nombreux ! Je pense aussi que les Français ont beaucoup souffert durant la guerre et qu’ils ne voulaient plus en entendre parler. Toutes ces histoires ont sauté une génération, je le vois bien avec mon grand-père qui n’a jamais évoqué cette période à mon père et qui m’a, plus tard, dédié ces carnets de guerre.
Propos recueillis par Mona Guerre
* Georges Gerra & Laurent Gerra, Cette année, les pommes sont rouges. C'était la drôle de guerre de mon grand-père, Flammarion, octobre 2015.
En 1972, la France pompidolienne n’a qu’une envie : tirer un trait sur la collaboration et rêver enfin à une France pacifiée. Pourtant, les spectres de la Seconde Guerre mondiale ressurgissent quand Klaus Barbie, « le boucher de Lyon », est démasqué en Argentine. L'occasion pour Franck Jourdan, grand reporter dans un hebdomadaire politique français, de découvrir l'existence de Paul Touvier, personnage glaçant qu'il retrouve au cœur des exactions sanglantes commises à Lyon durant l'Occupation. Le journaliste n'a, dès lors, de cesse de le débusquer pour le faire condamner pour crime contre l’humanité. Ce jeu du chat et de la souris que pratique Touvier avec beaucoup d’habileté depuis la fin de la guerre va mener Jourdan là où il a commis ses crimes, lui faire découvrir comment il a pu échapper si longtemps à la justice… et se rapprocher inexorablement de lui.
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Un téléfilm réalisé par Olivier Schatzky
Scénario et dialogues : Dominique Garnier
Une production Native, Jean-Luc Michaux
Productrice exécutive : Annick Ouvrard
Avec la participation de France Télévisions, TV5Monde et la Région Île-de-France
Directeur de la fiction France 2 : Thierry Sorel
Conseiller de programmes France 2 : François Hitter
Avec Laurent Gerra (Franck Jourdan), François Morel (Paul Touvier), Hélène Alexandridis (Monique Touvier), Sophie-Charlotte Husson (Jeanne Jourdan), Madalina Constantin (Yael Klein), Isabelle Renaud (Marianne G.), Geoffroy Thiébaut (Henri Jean-Blanc), Éric Naggar (mgr Duquaire).
Le producteur de Native, Jean-Luc Michaux, revient sur le casting et son choix de s'attaquer à un épisode peu glorieux de notre histoire contemporaine.
Pourquoi avoir choisi Laurent Gerra ?
Je savais qu’il avait un projet autour de son grand-père résistant et qu’il menait des recherches. Le voir dans la peau du personnage était alors une évidence : Laurent est de la région et il connaissait l’histoire de Paul Touvier. J’avais été aussi convaincu par sa prestation dans L’Escalier de fer, j’y avais décelé le potentiel de contre-emploi. Tout comme François Morel d’ailleurs, le voir en ordure finie était jouissif.
Pour quelles raisons avez-vous choisi de raconter cette histoire ?
Peut-être parce que j’aurais aimé être un journaliste d’investigation [rires] ! Je voulais rendre hommage aux gens qui occupaient ce métier parce qu’ils prenaient des risques énormes en révélant des affaires. Pour Jacques Derogy, l’intérêt n’était pas d’aller en Amérique du Sud pour interviewer Klaus Barbie mais plutôt de voir ce qui se tramait dans son propre pays. Je voulais aussi montrer tout ce qui avait été fait sous Pompidou. En amnistiant Touvier par exemple, le président voulait s’assurer en quelque sorte une paix sociale et mettre ainsi un terme à la relation difficile qui existait entre collabos et non-collabos.
Que vous inspire ce journaliste ?
Je ne sais pas si Derogy avait une revanche à prendre ou un message à faire passer, comme Laurent avec la publication des carnets de guerre de son grand-père, mais je pense qu’il avait envie de se payer tous ces anonymes qui ont bien profité de la situation durant la guerre. Il devait sentir qu’il était dans son devoir de journaliste-citoyen de dénoncer et faire ressurgir au grand jour ces faits, qu’il jugeait inadmissibles. Au fil de ses recherches, quand il a mesuré l’ampleur des exactions de Touvier, sa quête devenait urgente, pressante. Une véritable course contre la montre s’est instaurée avant que Touvier ne prenne la fuite.