Belep : Anges et démons
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Belep : Anges et Démons

Documentaire - Mardi 14 mars à 20h00 - Sur NC 1ère

"Quand la magie des Iles Belep fut éteinte par le souffle des Pères Blancs en 1856, les Dieux Kanak de l'archipel tombèrent dans l'oubli, figés dans la pierre des lieux-dits, dans le corail des récifs, le sang des rochers. Les effigies furent brûlées, les bouches cousues, les tribus déplacées, aspirées littéralement vers la grande réduction de Waala, dans une marche inexorable vers la « civilisation »... autour d'un nouveau culte : l'Eglise. De cette mission divine mais coloniale, spirituelle mais stratégique, Anges et Démons raconte l'avant et l'après. Des pratiques magiques pré-coloniales à l'histoire du chef Tiaoup torturé par l'esprit d'un rival qu'il a tué... Il trouvera « Ujet » pour lutter contre ses démons : la magie du Père Lambert, alors en mission en Nouvelle-Calédonie pour la Société de Marie. Ce moment crucial scellera à jamais le destin des îles Belep."

Alan Nogues, réalisateur

Une région de Nouvelle-Calédonie n'aura été si mystérieuse et isolée. Victime d'une réputation sulfureuse, apparaissant très sporadiquement dans les médias à titre souvent négatif, inscrite dans l'inconscient collectif Calédonien comme une sorte de frontière entre le monde civilisé et sauvage, voire barbare, on évoque Belep avec la possibilité d'un archipel inaccessible, probablement inhospitalier et très certainement dangereux. Mais ce qui frappe avant même de poser un pied sur cette terre, c'est la profondeur de son histoire connue. Aucune région de Calédonie ne peut se targuer en effet de pouvoir remonter son histoire jusqu'à 1510. Grâce aux écrits des pères Maristes et à leurs minutieuses transcriptions historiographiques, l'histoire de Belep est un fil continu du début du XVIe siècle et ce jusqu'à nos jours, comme un miroir à la grande Histoire de Nouvelle-Calédonie, celle-ci concentre les enjeux à la fois du monde kanak pré-colonial et ceux plus récents de la colonisation. Récits mythologiques, sorcellerie, Évangélisation. Du premier Chef Teâ Belep du XVIe siècle à son descendant actuel Amabili Wahoulo, des pratiques magiques à la vénération du Dieu unique, ce documentaire se propose de retracer l'épopée bouleversante d'un peuple aux origines multiples, résolument tourné vers l'avenir et le monde.
Mais au juste, qu'est-ce que l'archipel des Belep ? Deux îles proches l'une de l'autre avant tout : Art et Pott, toutes deux isolées à 100km au nord de la grande terre. Seule Art est habitée. Pott est absolument déserte, pas la moindre habitation. Sur Art, il n'existe qu'un seul village : Waala.
Le film traverse l'histoire de Belep et le quotidien des gens qui la vivent. Proposer en somme un film prônant l'ouverture par l'explication du passé. Des personnages surtout : Teâ Belep fondateur de la dynastie Belep en 1510, puis plus tard, à l'arrivée des premiers missionnaires, le Père Lambert et sa rencontre décisive avec le descendant de Teâ Belep : Wahoulo Tiaoup II.
C'est un maelstrom de destins qui ont dessiné l'histoire de ce point le plus septentrional de la Nouvelle-Calédonie. Un voyage chronologique appuyé par des archives et interviews, entrecoupé de fictions incarnées par des acteurs dont la voix, issue de leur correspondance, de leurs écrits ou des traces qu'ils ont laissé dans la tradition orale, laisse à comprendre les enjeux humains qui ont conduit aux Beleps d'aujourd'hui.

Belep : anges et démons

Production : Emotion capturée/ NC 1ère/ADCK
Réalisation : Alan Nogues
Durée : 52 minutes

Comment est né le projet du film ?

Ça faisait un moment que je voulais traiter de la question religieuse en Calédonie. Je l'avais plus ou moins esquissée dans le film « La Dernière Révolte », mais je voulais cette fois un film qui soit entièrement dédié à la question de l'évangélisation. Je crois que tout a plus ou moins commencé avec Gérard Del Rio, ancien rédac chef du magazine Mwa Véé, avec qui j'ai eu un jour une discussion sur l'histoire méconnue de Belep. Avec l'équipe de l'ADCK de l'époque, il avait sorti un numéro spécial Belep dont la lecture m'avait passionné. En creusant un peu sur la bibliographie, j'ai continué mes recherches du côté des archives des pères maristes, dont l'excellent « Moeurs et superstitions des Belep » (rebadgé plus tard en « Moeurs et superstitions des Calédoniens ») et j'ai su qu'il y avait une histoire fantastique, quoique difficile à recouper, c'est pourquoi on est parti en repérage sur Belep avec Emmanuel Tjibaou pour interroger la mémoire orale des anciens. A partir de là le tableau est devenu plus clair, et le film avait trouvé sa structure narrative.

Quel est le message que vous avez voulu faire passer ?

Il y en a plusieurs je crois. La première chose était de faire découvrir l'archipel le plus au nord de la Calédonie qui a longtemps souffert et souffre toujours je pense de son isolement géographique. La seconde était de faire un film qui traite essentiellement de spiritualité, et des mécanismes de conversion. Ce que j'essaie de montrer précisément, c'est le pourquoi. Pourquoi le chef de Belep a-t-il adopté la religion catholique en 1850 ? On s'imagine souvent à tort que les missionnaires, par leur persévérance ou leur simple pouvoir de persuasion ont tout simplement convaincu les kanak. Les choses étaient plus compliquées que ça. Etant donné que la spiritualité et la magie tenaient un rôle capital dans la structure de la société kanak, les chefs voyaient les missionnaires comme de grands sorciers, capables de leur conférer des pouvoirs surnaturels. L'adoption de la religion était un choix stratégique pour augmenter ses pouvoirs et lutter contre ses ennemis.

Il y a aussi le fait que la culture kanak pré-coloniale a trouvé des échos dans la religion. Il existait à la base de cette culture, tout du moins chez les Belemas, des concepts judéo-chrétien comme les notions de paradis, de purgatoire, de culpabilité ou encore de pardon.

Vous utilisez des passages de fiction pour construire votre film, pourquoi ce choix ?

Fiction oui, mais pour éviter tout mal-entendu, ces scènes ne sortent pas de mon imaginaire. A proprement parler, je n'invente rien, j'interprète visuellement ! Tous ces passages de fiction sont tirés soit de la littérature orale kanak ou soit des archives écrites des pères maristes. Après, j'ai choisi ce mode narratif pour impliquer émotionnellement le spectateur. je voulais faire ressortir l'émotion que j'ai moi même ressentie en écoutant les vieux de Belep et à la lecture des Pères maristes, car ce récit particulier de l'évangélisation est chargé de choses à la fois très lourdes et très belles.

Comment s'est passé le tournage sur place ?

On a décidé de tourner les fictions avec des gens du coin ! Ainsi le Père Lambert est incarné par l'infirmier de Belep Vincent Roy, Wahoulo Tiaoup est joué par l'un des descendants directs du chef, Cyrille Wahoulo et ainsi de suite. La difficulté a été de trouver des acteurs qui se sentaient suffisamment à l'aise avec la caméra mais qui étaient aussi « légitimes » par rapport au rôle, car tous ces personnages historiques résonnent d'une manière assez forte chez les gens de Belep, et il était hors de question pour eux que quelqu'un puisse incarner un personnage appartenant à un autre clan que le leur.

Alan Nogues