Voici un documentaire exceptionnel realisé par la journaliste militante Rokhaya Diallo, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale (le 21 mars).
Après une série de crimes commis par la police contre des Noirs dans plusieurs villes aux États-Unis, le monde a vu émerger une génération d’activistes noirs américains qui, avec des moyens inédits, a su mobiliser l’opinion internationale. En France, les médias ont couvert cette actualité, en n’hésitant pas à dénoncer le racisme institutionnel aux États-Unis. Pourtant, notre pays est confronté à la même problématique. Rokhaya Diallo, militante antiraciste française et noire, a donc décidé d’aller à la rencontre de ces nouveaux activistes pour comprendre les différences entre son pays et le leur. Issus des milieux populaires, responsables religieux ou étudiants, ils s’inscrivent dans la lignée de leurs aînés Martin Luther King et Rosa Parks. Ils revendiquent pourtant leur autonomie par rapport aux mouvements historiques des droits civiques. Qui sont ces jeunes qui ont vu un Noir accéder à la Maison-Blanche alors qu’ils étaient à peine en droit de voter ? Ils constatent avec colère que leur pays n’en a pas fini avec le racisme…
Documentaire
Auteure-réalisatrice : Rokhaya Diallo
Production : Rok’n Prod / Smooth and Slide / Temps Noir, avec la participation de France Télévisions et de TV5 Monde
Durée : 52 min
« Je me suis engagée contre le racisme après la mort, à Clichy-sous-Bois, de Zyed Benna et Bouna Traoré, deux jeunes issus des quartiers pauvres poursuivis par la police. Je suis l’actualité américaine avec beaucoup d’attention. Pour nous, les États-Unis symbolisent le fantasme d’un pays où tout est possible pour les Noirs : devenir stars planétaires ou même Président. L’élection de Barack Obama semblait annoncer l’ère d’une Amérique “postraciale”. Mais la relaxe, en 2013, de l’auteur de la mort d’un adolescent noir innocent, Trayvon Martin, puis, en 2014, la décision de plusieurs jurys populaires de ne pas poursuivre des policiers blancs responsables des décès de Michael Brown, à Ferguson, ou d’Eric Garner, à New York, provoquent des flambées d’indignation aux États-Unis. Lorsque les émeutes éclatent à Ferguson durant l’été 2014, les protestations s’organisent sur le terrain mais aussi sur la Toile par ces militants nouvelle génération.
Sur le terrain, les phrases “Hands up, don’t shoot” (“Mains en l’air, ne tirez pas”) et “I can’t breathe” (“Je ne peux plus respirer”) — les derniers mots prononcés par deux victimes de violences policières impunies — sont mises en scène et reprises par des personnalités artistiques, sportives et des membres du Congrès.
Qui sont ces nouveaux activistes qui parviennent à mobiliser les plus hautes sphères de leur pays ? Qu’est-ce qui motive ces jeunes à l’ère du tout-Internet ?
Je décide de contacter mon amie américaine Rahiel Tesfamariam, qui est militante comme moi. Avec son magazine en ligne Urban Cusp, qui a joué un rôle-clé dans la médiatisation des différentes mobilisations. Après un arrêt à Montgomery (Alabama) aux racines des droits civiques, je rejoins Rahiel à Ferguson pour l’anniversaire de la mort de Mike Brown. Rahiel me présente des figures emblématiques de cette génération connectée et engagée. Je les interroge et les suis dans leurs actions quotidiennes aux États-Unis, et dans leurs voyages à la rencontre d’autres militants.
Parmi eux, T-Dubb-O, Rika Tyler, Tara Thompson, Tory Rosse — artistes et activistes originaires de Saint Louis qui ont fondé le collectif Hands Up United — me racontent comment la mort de Mike Brown les a frappés et conduits à descendre dans la rue. Tous m’expliquent qu’Obama bien que noir n’était pas un messie et qu’il n’était pas en mesure d’influencer un système qui est imprégné par le racisme depuis la création des États-Unis.
De son côté, la révérende Traci Blackmon appartient à l’ancienne génération, reconnaît l’échec des Églises noires et salue l’action de la génération Y (Les Millenials). Brittany Ferrel, quant à elle, a cofondé le mouvement Millenial Activists United et insiste sur l’importance de reconnaître la place des femmes et des LGBT dans le Movement For Black Lives, contrairement à ce qui s’est produit lors du mouvement des droits civiques.
Dans cette immersion à Ferguson, je trouve un écho entre les luttes américaines et celles dans lesquelles je suis impliquée en France. La condition noire est globale. Je comprends à travers ces rencontres qu’il n’y a pas de leader providentiel, chacun doit prendre place dans la lutte. Ces nouveaux leaders noirs sont celles et ceux qui transformeront l’Amérique de demain en parachevant le rêve de Martin Luther King. Ils incarnent les rêves et défis d’une génération lucide. »