Des documentaires de format plus long — 70 minutes — et des débats eux aussi d’une durée allongée, telles sont, pour cette nouvelle saison, les ambitions de la soirée présentée par Marina Carrère d’Encausse. Dans une société en pleine mutation, jamais le besoin d’une parole brute et sincère n’a été aussi fort pour raconter le monde d’aujourd’hui, ses fractures et ses combats. Cette semaine, lumière sur « Ces conseillers qui nous gouvernent ».
Les Français croient de moins en moins dans le pouvoir politique. Que ce soit la gauche ou la droite, l’impression d’un immobilisme dans le pays se répand d’année en année. Et si le problème ne venait pas des hommes politiques mais des personnes qui les entourent ? Ces conseillers qui nous gouvernent, de Jean Crépu, s’immisce dans les arcanes du pouvoir. Se succèdent devant la caméra des grands noms de la scène politique de ces dernières années : Roselyne Bachelot, Benoît Hamon, Jean-Pierre Raffarin, Arnaud Montebourg… Tous soulignent la « consanguinité » qui règne dans les ministères de la République. Il faut dire que la majorité de nos élites sortent des mêmes écoles (ENA, Polytechnique ou Science-Po), fréquentent les mêmes cercles sociaux et partagent le plus souvent une même vision du monde. L’appareil politique français repose en grande partie sur ces hommes et ces femmes de l’ombre. Leur rôle est essentiel, ils sont le lien entre les ministres et l’administration. Pour comprendre concrètement cette fonction, Jean Crépu revient sur les réformes qui ont animé le débat politico-médiatique de ces derniers mois (rythmes scolaires, organisation territoriale, système bancaire…). Un nouvel éclairage qui permet de se rendre compte à quel point les rouages de la machine politique française sont grippés.
Documentaire
Durée 70 min
Auteurs Laurent Fargues, Thomas Bronnec et Jean Crépu
Réalisation Jean Crépu
Production Ladybirds Films, avec la participation de France Télévisions
Année 2016
#LMEF
Comment vous est venue l’idée de faire ce documentaire ?
Jean Crépu : C’est à la suite du film sur le ministère de l’Économie et des Finances intitulé Une pieuvre nommée Bercy (diffusé sur France 5 en 2012, ndlr), que j’ai réalisé avec les deux mêmes coauteurs. Avec l’enseignement que l’on a tiré de ce documentaire, on s’est dit qu’il serait intéressant d’élargir le focus et d’enquêter sur les cabinets ministériels dans un sens plus large.
Le casting du documentaire est impressionnant, avez-vous eu beaucoup de difficultés à rencontrer tous ces hommes et ces femmes politiques ?
J. C. : Non, pas spécialement. Sur le principe, il fallait les faire parler de ce qu’ils appellent le « job », et ils étaient plutôt pour. Nous-mêmes avons été étonnés. C’était une occasion pour eux d’évoquer le contenu : comment se mettent en place les réformes et avec quelles difficultés. On ne mesure pas forcément ce que cela signifie de concevoir et de mettre en application des textes de loi. Le cœur même de notre film, c’est de montrer où et comment cela se passe.
Qui a été le plus difficile à convaincre ?
J. C. : Nous avons obtenu les témoignages des politiques, d’anciens ministres, mais aussi des conseillers. Ces derniers ont été les moins faciles à convaincre. Ils ne sont pas habitués à être dans la lumière, ils travaillent dans l’ombre des cabinets. Ce qui nous intéressait, c’était leur expérience. On ne cherchait pas à faire leur procès, mais plutôt à comprendre comment tout cela fonctionne. Le sujet a été très peu traité, alors que les décisions politiques se fabriquent dans les cabinets ministériels.
Comment expliquez-vous cette unanimité de la part de vos interlocuteurs sur les failles de la machine politique ?
J. C. : Tout le monde évoque en effet la difficulté de fabriquer et de mettre en place les décisions politiques. On met là le doigt sur un problème qui, en France, est important : on dit depuis longtemps que les cabinets ministériels sont pléthoriques. A-t-on besoin d’autant de gens pour faire cette interface entre politique et administration ? Le message que l’on retient de leur discours, c’est que si le politique est fort, l’administration suit ; s’il est faible, l’administration prend le pouvoir et les décisions politiques peinent à être appliquées.
Comment avez-vous choisi les exemples de réformes évoqués dans le film ?
J. C. : C’est toujours un peu compliqué. On essaie à la fois de choisir ce qui sert au mieux notre propos et ce qui parle le plus aux Français. Nous avons ciblé les réformes qui ont été difficiles à mettre en place et qui ont soulevé des mouvements de protestation. Ce qui m’intéressait, en tant que réalisateur, c’était de retrouver ce que nous avons pu entendre un matin à la radio, en prenant notre café, et de tirer le fil qui permet de comprendre un peu mieux ce qui se joue au quotidien dans un gouvernement. Je voulais faire ce lien avec le quotidien des Français. C’est pour cela aussi que j’ai alterné avec des images de paysages de la France entière.
Peut-on imaginer qu’un jour les choses changent ?
J. C. : C’est un peu sur cette question que nous terminons le film. Est-ce que tout ça n’est pas à revoir ? Soit on se range du côté de ce que dit Benoît Hamon — « on n’est pas seul à avoir le pouvoir, mais on peut quand même faire les choses » —, on est alors plutôt optimiste et on se dit qu’il faut assumer ses choix face aux contraintes. Soit on se dit qu’il va falloir bouger dans les processus de décision. Arnaud Montebourg propose par exemple de mettre en place un système à l’américaine, le spoil system. Quand il y a un changement politique, les hauts fonctionnaires de l’administration s’en vont pour laisser place à des gens plus conformes aux idées du gouvernement entrant. Il y a tout un tas de choses comme ça, avec des propositions différentes chez chacun. On va bien voir ce que va donner cette nouvelle campagne électorale…
Propos recueillis par Ludovic Hoarau
Fiche technique
Les invités du débat
— Michel Bettan, ancien directeur de cabinet du ministre Xavier Bertrand (ministère du Travail) de 2004 à 2009, conseiller en communication, aujourd'hui vice-président d'Havas Paris, en charge du pôle influence, qui évoque son expérience au gouvernement.
— Vanessa Schneider, journaliste politique au quotidien Le Monde et coauteure du Mauvais Génie (éditions Fayard), sur le parcours de Patrick Buisson, le plus influent des conseillers de l'ombre de Nicolas Sarkozy.
— Jean Garrigues, historien et spécialiste de l'histoire de la politique.
— Adeline Baldacchino, magistrate à la Cour des comptes, énarque et auteure de La Ferme des énarques (éditions Michalon), un pamphlet qui dénonce les insuffisances de l'enseignement sur les bancs de l'ENA.