Quelques mois dans la vie de parents désemparés par la différence et la singularité de leur enfant de 3 ans. Pascale Bailly (au scénario) et Renaud Bertrand (à la réalisation) adaptent de manière fictionnelle le témoignage de Gersende et Francis Perrin sur leur fils autiste. Avec Julie-Marie Parmentier, Bernard Campan et Côme Rossignol de La Ronde.
Séverine et Christophe forment un coupe heureux et uni. Il a 27 ans de plus qu’elle, ils sont tous les deux comédiens, aisés, entourés. Christophe travaille beaucoup, Séverine moins. Presque plus, même, tant elle est accaparée par leur fils, Tom. Il faut dire que Tom est « difficile ». À 3 ans, il ne parle toujours pas, marche à peine, pleure énormément, ne socialise pas avec les autres enfants. Dans les meilleurs moments, il semble absent, inexpressif, manque d’attention, ne répond pas quand on l’appelle. Dans les pires, il hurle des nuits entières, se frappe la tête avec ses jouets ou même frappe les autres enfants à la crèche. Christophe, les parents de Séverine tentent de calmer les inquiétudes de la jeune femme ; pédiatres et médecins bottent en touche : la parole ? la marche ? bah, on verra... Il y a le temps. Tom est en bonne santé, de toute façon. Mais il y a les nuits sans sommeil, la nourrice qui craque (« Il est pas normal, ce gamin ! »), les amis qui désertent (« Il est pénible »), la crèche qui ferme sa porte (« Il est dangereux »), les propositions de travail qui disparaissent (« Reviens quand tu seras moins fatiguée, quand tu pourras faire garder ton gamin »). L’angoisse, la culpabilité — attisée par les psy : Christophe est un père trop vieux, Séverine une mauvaise mère, elle a été malade pendant sa grossesse, n’a pas donné le sein, etc. —, la solitude et le quotidien délité de deux parents désemparés... Jusqu’au verdict : un diagnostic de troubles autistiques sévères.
Séverine et Christophe pourraient être n’importe quel couple de parents. « C’est cette valeur d’exemplarité qui donne au film toute sa force et sa simplicité, explique Sophie Exbrayat, conseillère de programmes à la fiction de France 2. Au-delà de la problématique de l’autisme, il est accessible et il s’adresse à tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont été ou sont confrontés à la différence d’un enfant, au regard des autres, au rejet. » Mais, dans la réalité, Séverine et Christophe ne sont pas tout à fait n’importe qui puisque leur histoire est l’adaptation fictionnelle du témoignage livré en 2012 par Gersende et Francis Perrin dans un livre, Louis, pas à pas (Jean-Claude Lattès), consacré à leur expérience de parents d’un enfant autiste, accablés puis révoltés par le manque d’écoute et de prise en charge proposées aux familles. « Cela a été une expérience difficile à vivre, douloureuse à raconter, confie Gersende Perrin. Nous avons beaucoup milité toutes ces années qui ont correspondu à l’enfance de notre fils, beaucoup pris la parole pour les autres, au nom des autres, mais finalement rarement pour nous-mêmes, en tant que couple et en tant que parents. Aujourd’hui, Louis a 14 ans, il va entrer dans l’âge adulte, c’est un moment de transition pour nous. Et si nous avons accepté de participer à ce projet tel qu’il nous a été présenté, c’est moins pour revenir sur cet aspect militant — nous avons transmis le relais — que pour dire aux couples confrontés à cette situation de ne pas s’oublier eux-mêmes. » « C’est d’abord un film qui parle d’espoir, d’amour, poursuit Francis Perrin, l’amour inconditionnel pour un enfant différent, l’histoire d’un couple malmené, angoissé, dévasté... mais qui tient bon. C’est peut-être là, malheureusement, que cette histoire n’est plus si exemplaire : dans 85 % des cas, les couples explosent et les hommes s’en vont. » Confiée à Pascale Bailly, l’adaptation fait le pari de resserrer la matière, riche et factuelle du livre. « En se concentrant d’une part, raconte la scénariste, sur les quelques mois au cours desquels la vie du couple bascule jusqu’à sembler s’effondrer, et, d’autre part, sur l’expérience profondément intime de ces parents : les doutes, les questions, la découverte, l’ébranlement, le déni, l’acceptation, la combativité... Pour cela, j’ai beaucoup rencontré Gersende et Francis, nous avons fait des heures d’interviews, ils ont été d’une disponibilité exemplaire. Je voulais vraiment parvenir à quelque chose de très pur, de très juste, sans pathos, des situations qui permettent aux comédiens d’être dans la plus grande vérité. Leur talent a fait le reste. »
Sans faire injure aux deux interprètes de Séverine et Christophe, Julie-Marie Parmentier et Bernard Campan, il faut d’abord parler de Côme Rossignol de La Ronde, tant sa présence singulière illumine Presque comme les autres. « Nous avons fait quelques essais avec des enfants non autistes, raconte la productrice Nicole Collet. Ça ne fonctionnait pas. Ils rigolaient en regardant la caméra, ils étaient beaucoup trop attentifs. » « Pour ma part, enchaîne le réalisateur Renaud Bertrand, j’avais la conviction, pour cette raison et pour d’autres, que ce film ne pourrait se faire qu’avec un enfant autiste. Ou alors il perdrait de sa force et de sa pertinence. C’est à ce moment que Gersende et Francis se sont souvenus d’une famille qu’ils avaient rencontrée à Bordeaux et dont l’enfant avait une certaine ressemblance avec Louis au même âge. Côme est donc devenu le centre du plateau de tournage, il a fallu s’adapter à lui, à ses réactions, laisser tourner la caméra, improviser... » Et la rencontre avec ses parents de fiction ? Pour Bernard Campan, cela relevait de l’évidence. « Je n’ai pas de point de comparaison, n’ayant jamais tourné avec un enfant non autiste de 3 ou 4 ans. Avec Côme, c’était assez simple, assez ludique, cela exigeait de notre part une grande disponibilité, une grande ouverture : lâcher prise, laisser venir, expérimenter, comme pour cette scène où il joue avec l’eau qui coule d’un robinet. C’est Renaud qui avait remarqué que ça le fascinait, alors c’était un bon moyen de capter son attention et c’est très beau visuellement. Il est bouleversant, cet enfant. Il ne calcule rien, comme on dit. Il fait ce qu’il veut. Tous, à des degrés divers, nous portons des masques. Les autistes, non. Ils sont profondément eux-mêmes. Il y a peut-être beaucoup à apprendre d’eux. » Pour Julie-Parmentier, l’enjeu était plus inquiétant. « J’étais toujours très soucieuse de ne pas trahir Gersende et Francis. Montrer la détresse, l’angoisse mais aussi l’amour. À cela s’ajoutaient mes craintes vis-à-vis de Côme. Je ne voulais pas le blesser psychologiquement, ou le forcer s’il n’avait pas envie. D’une certaine manière, c’était le partenaire idéal pour jouer le désarroi d’une mère que son enfant ne voit pas. Côme ne me regardait vraiment pas ! Il ne me prêtait souvent aucune attention. Mais je me disais : “Oh la la, ça va dégénérer !” [rires] Je l’ai revu récemment. Eh bien, il a été très gentil, il m’a même touché la joue ! Le Nirvana ! »
Et Louis, qu’en pense-t-il, de tout cela ? « Pas grand-chose. Cela ne l’a pas beaucoup impressionné, confie Francis Perrin, de savoir que ce film raconte son histoire. Il a juste dit : “Ah, je vais être célèbre, alors”. Et quand on lui a expliqué que le petit Côme était autiste, il a dit “Ah oui ? Le pauvre...” » En revanche, ce que l’adolescent semble avoir préféré, c’est d’interpréter un petit rôle dans Presque comme les autres — comme un clin d’œil ou un pied de nez — et d’y donner la réplique à Julie-Marie Parmentier... pour laquelle il s’est découvert un petit béguin. On le comprend assez bien.
Christophe Kechroud-Gibassier
Séverine et Christophe sont de jeunes parents amoureux. Très vite, ils doivent reconnaître que quelque chose ne va pas chez leur fils Tom, en dépit des propos faussement apaisants des pédiatres et médecins... Il faudra trois ans avant qu'un diagnostic d'autisme tombe.
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Réalisé par Renaud Bertrand. Scénario de Pascale Bailly, avec la collaboration de Gersende et Francis Perrin, librement adapté de Louis, pas à pas. Produite par Image et Compagnie. Avec Julie-Marie Parmentier, Bernard Campan, Côme Rossignol de la Ronde, Charlie Dupont, Marie-Anne Chazel et Patrick Descamps.
Nouchine Hadjikhani : « Le cerveau est comme un muscle ! »
Chercheuse en neurosciences, Nouchine Hadjikhani a participé à l’élaboration du scénario du docu-fiction Le Cerveau d’Hugo, diffusé en novembre 2012 sur France 2 et qui avait alors rassemblé 3,7 millions de téléspectateurs. Explications de la spécialiste scientifique.
Je travaille en Suisse et aux États-Unis, à la Harvard Medical School. Depuis une dizaine d’années, je me suis spécialisée dans l’observation de l’anatomie du cerveau de personnes atteintes d’autisme en pleine activité grâce à l’IRM fonctionnelle. Ma recherche se focalise entre autres sur la découverte d’un marqueur de l’autisme.
Comment avez-vous rencontré Sophie Révil ?
Elle m’a contactée notamment parce qu’elle était intéressée par mes recherches sur les neurones miroirs. Ces neurones permettent aux petits enfants de capter, reproduire et interpréter l’expression des émotions de leurs parents, comme un sourire, un ton autoritaire... et ainsi apprendre le langage social. En même temps, elle m’a envoyé le DVD d’Un cœur qui bat, son premier docu-fiction, qui m’a véritablement bouleversée par sa très grande délicatesse dans le traitement du sujet. Je ne pouvais qu’adhérer à un projet sur l’autisme réalisé avec une telle sensibilité.
À quel moment êtes-vous intervenue sur le projet ?
Dès le scénario. J’ai fourni à Sophie Révil un support scientifique. Ensuite, j’ai apporté des petites corrections, des références, des chiffres, des précisions. J’ai, par exemple, fait remarquer qu’on ne peut pas parler de retard de langage chez un autiste de type Asperger.
Dans le film, Hugo est de type Asperger, justement…
Oui. Il a un comportement étrange mais une intelligence normale. On estime que 1 % de la population se trouve dans le spectre de l’autisme, qui comprend aussi le syndrome d’Asperger. Ce chiffre augmente au fur et à mesure qu’on diagnostique comme étant autistes des gens qu’on trouvait un peu « bizarres ». Hans Asperger déclarait lui-même : « Pour avoir du succès en science ou en art, une touche d’autisme est essentielle car on doit être capable de faire une bulle autour de soi et être obsédé par son sujet. »
Trouvez-vous que le docu-fiction soit un bon vecteur pour parler de l’autisme ?
Oui. C’est une façon moins sèche d’aborder un sujet plutôt difficile et, en même temps, cela permet d’aller plus loin qu’une fiction. L’important est de réussir à expliquer le plus clairement possible que l’autisme n’est pas une maladie psychiatrique mais un trouble du développement cérébral. De plus, il n’y a pas un type d’autisme mais plusieurs dont le spectre s’étend de personnes très attardées à des ingénieurs en informatique.
Quelle est votre définition de l’autisme ?
Les personnes autistes n’ont pas d’instinct social. Elles naissent avec un cerveau dépourvu de la capacité de saisir spontanément et d’interpréter rapidement un regard, une expression faciale, une émotion. Elles doivent apprendre à les analyser comme nous devrions le faire si nous partions vivre en Chine où les codes, les mœurs et les visages sont différents des nôtres.
Et d’un point de vue scientifique ?
Il n’y a pas un gène associé à l’autisme mais plusieurs qui sont soit héréditaires, soit issus d’une mutation spontanée. Mais la défaillance d’un gène seul ne peut provoquer ce trouble. C’est la combinaison d’une vulnérabilité génétique et d’un élément environnemental, chimique probablement. Par exemple, j’ai émis l’hypothèse, confirmée l’an dernier, que des taux trop importants de sérotonine (induits par la prise de certains antidépresseurs) chez la femme enceinte engendrent un risque trois fois plus élevé d’avoir un enfant autiste.
Qu’apprend-on sur notre cerveau dit « normal » ?
Que ses différentes zones sont aussi importantes que leurs connexions. Après une attaque cérébrale, le cerveau du patient va se remodeler pour parfois réparer dans une certaine mesure les fonctions abîmées. Le volume du cortex visuo-moteur de quelqu’un qui apprend à jongler augmente, car il est crucial pour la coordination, à l’inverse, si cette personne arrête définitivement, il diminue. C’est comme un muscle !
Propos recueillis par Diane Ermel
*Interview de novembre 2012
Hugo est une énigme vivante. Si vous le croisez dans la rue, vous penserez qu'il est un simple d'esprit. Pourtant, il est d'une intelligence remarquable, c'est même un génie dans son domaine, le piano. Hugo est né avec un handicap étrange et mystérieux : l'autisme. Il aime se décrire comme un martien au pays des « neurotypiques », les êtres humains qu'on dit normaux. Le Cerveau d'Hugo raconte l'histoire mouvementée et bouleversante d'Hugo depuis sa naissance jusqu'à l'âge de 22 ans, grâce à des acteurs de différents âges. La fiction est enrichie par des témoignages d'autistes, enfants, adolescents ou adultes, et leurs parents. Ils nous donnent une extraordinaire leçon de courage car être né avec un cerveau autiste au pays des neurotypiques est une épreuve et un combat de chaque jour. Le film retrace aussi l'histoire de l'autisme grâce à d'émouvantes images d'archives et nous fait voyager à l'intérieur du cerveau humain à partir des dernières découvertes scientifiques.
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Un docu-fiction écrit et réalisé par Sophie Révil.
Un film produit par Denis Carot.
Une production Elzévir Films / Escazal Films.
Avec la participation de France Télévisions.
Avec la voix de Sophie Marceau.
Avec Thomas Coumans, Arly Jover, Christine Murillo, Charles Fresse, Kilyann Lefevre et Paolo Martinelli.