Du XVe au XIXe siècle, un gigantesque trafic humain se met en place entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique. Douze millions d’hommes, de femmes et d’enfants sont arrachés à leur terre d’Afrique et transportés de l’autre côté de l’Atlantique pour être vendus comme esclaves aux planteurs du Nouveau Monde. La traite et l’esclavage seront définitivement abolis par la France le 27 avril 1848. Récits d’esclaves, carnets de bord de capitaines et lettres d’armateurs forment la trame vibrante d’une très sombre page de l'histoire et donnent vie aux destins de Yanka et Toriki, nés libres dans un village du golfe de Guinée.
En 1825, la traite des Noirs, interdite par la France depuis sept ans, est désormais clandestine. En Afrique, deux jeunes gens, Yanka et Toriki, se font capturer dans leur village du golfe de Guinée. Comme 12 millions d’Africains en près de quatre siècles, ils vont être vendus comme esclaves de l’autre côté de l’Atlantique. Un bateau négrier venu de Nantes les emporte aux Antilles françaises, où l’emploi d’esclaves est toujours légal. Victimes ou acteurs de ce gigantesque trafic, ce sont leurs mots qui tissent ce film : la mémoire vive d’un gigantesque trafic qui a dévasté bien des vies réelles avant d’être reconnu comme crime contre l’humanité. Sous l’œil acéré d’un cinéaste africain.
NOTE D'INTENTION DU RÉALISATEUR MOUSSA TOURÉ
Je suis né à Dakar, au Sénégal. Dakar est une presqu’île entourée de plusieurs îles, parmi lesquelles une retient toujours l’attention. Quand vous êtes enfant à Dakar, la première chose que vous demandez à n’importe qui est : “ c’est quoi, cette île ? ” Tout le monde vous répond que c’est l’île de Gorée, la maison des esclaves. C’est la première fois que vous êtes confronté au mot « esclave ». À partir de là, vous commencez à vous questionner sur l’esclavage. C’est quoi un esclave ? Et vous vous documentez pour en apprendre davantage.
Ensuite, vous grandissez. Et quand vous grandissez, vous avez la possibilité d’aller à Gorée, soit accompagné, soit tout seul.
Je suis allé à Gorée et j’y ai passé huit ans.
Et quand vous arrivez à Gorée, vous allez directement à la maison des esclaves, ce bâtiment rose, resté tel quel depuis longtemps. Quand vous y rentrez, en tant qu’Africain, vous vous rendez compte de la négritude. Quand vous voyez ces traces et que vous devinez comment les choses se sont passées, comment les gens ont été entassés. Pourquoi un être humain a-t-il été déporté de cette manière ? Parce que tout simplement il est noir. C’est le Noir qui vous revient dans toutes vos questions parce que vous l’êtes. Et vous vous posez la question de savoir si parmi vos ancêtres, il y a eu des esclaves.
Quand on se pose ces questions et qu’on touche à la réalité, vous voyez en même temps l’atrocité et la différence des peuples et de la couleur de peau. Et vous vous posez encore la question : est-ce que l’autre aussi a été esclave ? Et cet autre, c’est qui ? C’est encore vous.
Voilà autant de choses qui font que je fais ce film.
Ce film se situe dans une période particulièrement trouble, à un moment où la traite est interdite, mais l’esclavage pas encore aboli. Si le système est remis en cause, le commerce des esclaves est pourtant très intense à cette époque.
Quand on se rend compte qu’on a été fouetté, qu’on a été arraché de son continent, que ce sont les Africains eux-mêmes qui ont vendu des esclaves, on s’intéresse au contexte dans lequel ça s’est passé, de même qu’à ce commerce triangulaire qui a duré près de quatre siècles.
Et l’esclavage est comme un tabou en Afrique. On ne veut pas en parler parce que c’est une plaie qui saigne et qui saignera toujours.
Il s’agissait pour moi de faire un film de mémoire et d’hommage. Pour cela, pour comprendre comment cela s’est passé, je voulais m’approcher au plus près des corps, des gestes et des regards. Privilégier les gros plans, la noirceur, laisser la place aux silences, autant que possible.
La mer a une place importante dans le film parce qu’on ne peut pas parler de déportation sans parler de la mer, on ne peut pas parler d’esclavage sans parler de la terre, et on ne peut pas parler d’esclavage sans parler de l’horizon. Ce film est donc un film d’horizon, de mer, de terre et de noirceur.
Le bleu de la mer compose avec le noir de la peau. C'est aussi un film de couleur parce qu’on ne peut pas parler d’esclavage sans parler de couleur. Couleur parce que les personnes déportées sont des Noirs. Ils ont été déportés pour le coton et pour le sucre qui sont blancs. Et les personnes qui ont fait la déportation sont des Blancs. La canne à sucre est ocre comme la terre africaine. Ce film est donc fait en tenant compte d’une approche axée sur la couleur.
Techniquement, c’est un film qui nécessite un dispositif assez complexe mais intéressant. Nous sommes dans une approche documentaire, et le Noir sera au centre du dispositif. Je travaillerai autour du silence et de la parole, celle-ci étant majoritairement du côté des Blancs. Le silence aura sa place là où l’on subit, du côté des Noirs.
C’est un film en gros plan, majoritairement avec des plans fixes. Bien sûr, de petits mouvements de caméras viennent les appuyer. Les plans d’ensemble n'interviennent que dans des situations comme dans les champs de coton et de canne à sucre. Mais, quand il y a eu le moment de la sanction, le moment de la dénonciation de l’esclavage, nous étions dans les plans serrés avec de légers glissements du regard.
Le film est un relevé d'empreintes, à travers ces marques laissées par l’esclavage : sur les corps, les paysages, dans les esprits et les âmes. Une histoire que près de 12 millions d'Africains ont vécue et que très peu ont racontée. Une mémoire blanche et noire que l'Afrique partage avec l'Europe et l'Amérique.
Moussa Touré
Docu-fiction français
Genre Documentaire
Durée 90 min
Année 2016
Réalisateur Moussa Touré
Producteurs Sébastien Onomo et Serge Lalou
Scénario Jacques Dubuisson
Production Les Films d'Ici
Commentaires Lucien Jean-Baptiste
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