Ce documentaire s’articule autour de 3 axes narratifs :
- La réunion de famille, une journée de recueillement de prières et de fêtes (Sanblani).
- Des entretiens avec les parents de l’auteur dans des lieux de vie de la maison.
- Une reconstitution en cinéma d'animation fera office d'archives personnelles pour raconter le parcours de ses proches depuis le départ de la maison de Sainte-Suzanne, le passage à Grand fond au bord de la mer, jusqu’à l'arrivée dans la maison de l'Éperon.
À la Réunion, dans le quartier de l’Éperon, la mairie a entrepris un vaste plan de «résorption de l'habitat insalubre ». La maison familiale de l’auteur risque d’être détruite. Cette maison avait été octroyée à ses grands-parents par leur employeur, le directeur des sucreries de Bourbon, une industrie vestige du passé colonial de notre île. Aujourd'hui c'est son oncle Bèlbèl qui habite la maison. Tous les ans, la famille se réunit chez Bèlbèl pour honorer les ancêtres. Ce lieu témoigne d'une histoire familiale, de son identité, de ses origines à la fois indiennes, africaines et européennes, que de nombreux Réunionnais ont en partage. Ils sont tous liés à cette maison, et elle incarne leur lien. Mathieu Tavernier nous embarque pour un voyage intime dans cet univers familial réunionnais à la rencontre des diverses strates de mémoire, vivantes ou enfouies dans ce lieu.
Auteur-réalisateur : Mathieu Tavernier
Durée : 52'
Genre : Documentaire
Biographie de Mathieu Tavernier
Mathieu Tavernier est né dans l’ouest de l’île il y a 30 ans cette année. «Marmaylakour», «fils de la cité »,choyé dans un environnement créole traditionnel, amateur de football et de vélo, c’est par les livres offerts pour lui à sa mère, nourrice dans une famille aisée, qu’il découvre «le monde du dehors» et se laisse embarquer vers d’autres mondes d’images et d’histoires.
Depuis l’enfance, Mathieu dessine et s’applique minutieusement à reproduire ce qu’il voit. Après des études de cuisine au lycée hôtelier de Plateau-Caillou, il suit un cursus multimedia et animation 3D à l’ILOI durant 18 mois (formation ETICS) et décide de poursuivre un cursus de réalisation de 3 ans, à l’Ecole Supérieure de Réalisation Audiovisuelle à Paris. Sa sensibilité artistique se développe et il s’exprime alors par la peinture et la sculpture. Ses dessins évoluent également et ne sont plus des reproductions fidèles, mais des réinterprétations du réel, des créations nourries de références occidentales, africaines et réunionnaises.
De retour dans l’île à 26 ans, Mathieu collabore en tant que technicien lay out (2D, 3D) au long métrage d’animation Adama et à la série d’animation Cairo's Tales produits par le studio Pipangaï au Port. En parallèle, il travaille avec l’association Zolizimaz et réalise des reportages sur des habitants de l’île et sur leur mode de vie (Rakont anou). Il intervient également dans des établissements scolaires de l’Est pour faire des initiations à la vidéo et au cinéma d’animation. Dann zardin Pépé, est son premier documentaire de création, imaginé depuis plusieurs années, mûri à la résidence d’écriture de l’association DOC OI et actuellement en développement avec Jean-Marie Gigon de SaNoSi Production.
Je ressens depuis plusieurs années le besoin de filmer et de photographier ce qui se passe dans mon pays, La Réunion. J'ai grandi dans le quartier de L'Éperon et c'est là que se trouve la maison de mes grands-parents. C'est devenu aujourd'hui la maison de mon oncle Bèlbèl. Émotionnellement, cette maison nous appartient, elle a une âme car elle a été témoin de notre enfance. Elle cache en elle une mémoire, des récits de vie, des secrets, les trésors de ma famille. Aujourd'hui, tel un déclencheur de souvenirs, elle nous rappelle des moments de joies et de souffrances. Les dimanches et les mercredis de liberté passés à explorer la cour pour échapper à la rigueur de l'école. Les interminables vacances d'été, les cadeaux pour Noël, nos premiers anniversaires, les décès aussi. Une mémoire collective est née. Un lien entre nous, les cousins de générations différentes, les oncles et tantes. Cette maison pilier sera le point central de ce film.
Malheureusement un vaste plan de « Résorption de l'Habitat Insalubre » est aujourd'hui en place dans le quartier de l'Éperon. La maison de mes grands-parents est concernée par ce RHI. Les cases traditionnelles avec les habitations en tôle, les animaux de bassecour, les arbres fruitiers, sont jugés insalubres par la Loi. Elles sont donc destinées à la destruction. L’Éperon est devenu une zone où l'exploitation foncière est très lucrative. Une ségrégation spatiale y est apparue au fil des années. La construction d’énormes villas individuelles dans des zones résidentielles est réservée aux classes moyennes et supérieures, et les logements sociaux aux personnes modestes. En effaçant le lien social entre les habitants du quartier, leurs repères territoriaux, c'est l'être réunionnais dans son entier qu'on inhibe.
À la Réunion, traditionnellement, on devenait propriétaire par héritage familial acté de façon orale. D'autres s'emparaient de lopins de terre inexploités pour y vivre. Ces permanences historiques ont résisté pendant plusieurs décennies à la départementalisation.
Un terme issu de l'époque coloniale hante l'imaginaire collectif réunionnais : le « Papa », le « Monsieur. » Cette appellation désignait principalement toutes les figures tutélaires, comme le patron, le contremaître, le dirigeant politique, le fonctionnaire colonial.
Mes grands-parents vivaient à Sainte Suzanne, sur la côte est de l'île, ils travaillaient pour un certain M. Martin, directeur de la sucrerie de Bourbon. C’était l'une des entreprises emblèmes du passé colonial agricole de l'île. Mes grands-parents étaient employés sur la propriété de ce M. Martin, ma grand-mère était femme de ménage et mon grand-père son jardinier personnel. Dans les années 1950, M. Martin s'est installé sur la côte balnéaire, à l'Ouest de l'île. Il fit construire une maison de travailleurs pour ma famille, à proximité de sa villa. Ma famille vécut là-bas au service de M. Martin durant une dizaine d'années, jusqu'au moment où la parcelle occupée par ma famille fut vendue. Par son statut M. Martin avait accès à de nombreuses propriétés, il relogea donc ma famille dans l'actuelle maison de l'Éperon, elle dû tout reconstruire. L'éternel recommencement.
Notre destin fut écrit au bon gré des décisions de ce M. Martin.
On connaît très peu l'histoire personnelle de mes grands-parents. Ma grand-mère était une kafrine (descendante de Malgaches et d'Africains) elle allait à l'église et au temple. Mon grand-père était un malbar (personne d'origine indienne), il pratiquait le « samblani » (un des cultes aux ancêtres pratiqués à la Réunion). Ces traditions sont héritées de ces derniers venus d'Inde au moment de « l'engagisme » (Indiens, Chinois, Comoriens qui sont venus travailler, à la fin de l’esclavage). Mon grand-père fit construire dans notre cour familiale un koïlou, temple dédié aux divinités indiennes qu'on retrouve chez de nombreuses familles de la Réunion.
Chaque année, ma famille se réunit dans la maison de l'Éperon pour perpétuer ces cultes, ce sont des moments chargés de sens, beaucoup d'histoires se racontent, et beaucoup de souvenirs familiaux sont évoqués.
Je trouve absurde et complètement fou que des personnes qui habitent des maisons, depuis plus de 50 ans, se retrouvent dépossédées du jour au lendemain de tout ce qu'ils ont construit. En échange, on leur propose une nouvelle maison en béton, basée sur un modèle d'habitat occidental, qu'ils devront payer par un crédit, pour devenir propriétaire d'une habitation qu'ils possédaient déjà !
Nombre de Réunionnais ont appris depuis longtemps à baisser la tête, et bien que cela m'attriste, je le comprends du fait de notre histoire coloniale. L’assimilation aux valeurs occidentales se fait très tranquillement et petit à petit sans réaction des Réunionnais. Nous avons appris avec le temps à nous déprécier, au profit de tout ce qui vient de l’extérieur. Les anciens en semblent également convaincus quand je vois les réticences qu'ils ont à nous parler de leurs vies.
D’où vient cette incapacité actuelle pour bon nombre de Réunionnais, de décider par eux- mêmes et pour eux-mêmes ? M. Martin n'a-t-il pas incarné cette figure de « Papa » de « Monsieur » pour mes grands-parents ? Ne continue-t-il pas de hanter l'imaginaire de ma famille ? Comme un héritage qui conditionne l'inaction et la fuite de ma famille