Notre espion chez Hitler

Sorti en salles l’année dernière, Imitation Game racontait l’incroyable histoire du mathématicien Alan Turing, chargé, en 1940, par le gouvernement britannique, de percer le mystère de la machine de cryptage allemande Enigma, considérée comme inviolable. Mais le travail du scientifique anglais n’aurait pas été possible sans un autre homme, parfaitement inconnu aujourd’hui. En 1931, Hans-Thilo Schmidt, né au sein de la haute bourgeoisie allemande, habite Berlin. Chômeur comme 25 % de la population alors, il trouve un emploi au service du chiffre de la Reichswehr, mis en place, à la fin des années 1920, par son frère aîné Rudolf, officier des transmissions militaires. Ce département, où sont codées et décodées toutes les communications, dispose d’un appareil unique qui rend indéchiffrables les messages transmis par radio : Enigma.

Asche, mon nom est Asche

Grand amateur de femmes, fêtard, joueur, le jeune ingénieur, qui a constamment besoin d’argent, songe à l’intérêt que la machine pourrait représenter pour une puissance étrangère. En juin 1931, il rencontre à l’ambassade de France à Berlin Maurice Dejean, qui, sous la couverture de chef du service de presse, est en fait un agent des services spéciaux. Recontacté en novembre par Rodolphe Lemoine, un Allemand naturalisé français, Hans-Thilo Schmidt propose de révéler les secrets d’Enigma contre 10 000 marks. Quelques jours plus tard, devenu espion pour le compte des Français sous le nom de Asche, il leur apporte des photos et le mode d’emploi de la machine. Mais Enigma est d’une grande complexité et la connaissance des principes de son fonctionnement ne suffit pas pour décrypter les messages, d’autant plus que les Allemands changent les codes chaque jour. Officier du renseignement, le capitaine Bertrand, qui n’a pas réussi à obtenir de l’état-major les moyens nécessaires pour exploiter l’appareil, décide de se tourner vers les services secrets polonais, très concernés par la menace allemande. Pendant un an, ces derniers piétinent, jusqu’à ce que Marian Rejewski, un mathématicien spécialisé en statistiques et en cryptographie, réussisse à décrypter les premiers messages. Il finit par reconstituer la machine, dont il fait fabriquer dix-sept exemplaires, et met au point un procédé pour scruter les centaines de millions de combinaisons possibles et découvrir la clé du jour. Enfin, les transmissions de la Wehrmacht, de la Luftwaffe et de la marine de guerre deviennent intelligibles.

Percer les secrets d’Enigma

Parallèlement, Asche continue de fournir des informations précieuses aux services secrets français sur les intentions et les manœuvres d’Hitler. Sans que le gouvernement ou les autorités militaires réagissent. Il annonce avec précision, cartes et dates à l’appui, l’Anschluss, l’annexion des Sudètes, l’invasion de la Pologne, de la Belgique, de la France, des Pays-Bas, et s’étonne de la passivité de ses contacts. En mars 1940, il révèle que le Führer a décidé de pénétrer dans l’Hexagone à travers les Ardennes, ce que le général Gamelin, chef de l’état-major, estime impossible… De l’autre côté de la Manche, Churchill charge une équipe, installée à la campagne dans le plus grand secret, de percer le mystère d’Enigma, dont les Allemands ont compliqué la procédure de codage. Après avoir rencontré Rejewski et échangé sur leurs travaux respectifs en janvier 1940, Alan Turing s’attelle à la tâche. Avec succès. Les renseignements fournis par le mathématicien permettent aux Britanniques de remporter de nombreuses victoires pendant la guerre. Plus de 18 000 messages par jour ont ainsi été décryptés. Arrêté par la Gestapo en 1943, Asche s’est suicidé au cyanure dans sa cellule, emportant avec lui les véritables raisons de sa trahison.

Beatriz Loiseau