À l’occasion de la diffusion de l’émission Au fil du Tibre — un voyage de 400 kilomètres et trois mille ans d’histoire —, Patrick Charles présente ce numéro-événement et décrypte les racines du succès de cette marque de référence de la chaîne. Il était présent à la création du magazine. Quatre cents numéros et autant de succès plus tard, Patrick Charles occupe le fauteuil de directeur des magazines de France 3. De quoi lui permettre de conserver un regard exigeant et bienveillant sur le sien.
Parler du Tibre, c’est parler de Rome…
Patrick Charles : C’est une évidence puisque Rome est née du Tibre, mais le fleuve – sacré pour les Romains – a autant à offrir en amont et en aval. Partant de sa source en Émilie–Romagne, au mont Fumaiolo, le reportage descend son cours jusqu’à son embouchure, dans la mer Tyrrhénienne, là où fut bâti le port d’Ostie, au sud de la capitale. Pérouse, Monte Castello, Rome, Ostie, Portus… C’est un voyage de plus de 400 kilomètres, au fil de trois mille ans d’histoire, décliné en trois reportages. Travailler le long du fleuve implique que nous présentions tout ce qui relève du patrimoine culturel et artistique — et il est très riche en Italie — mais aussi du patrimoine naturel. Le troisième sujet traite justement de la redécouverte du Tibre par les Romains, comme les Parisiens ont redécouvert la Seine : le patrimoine est vivant. Le Tibre est un fleuve puissant, dangereux, ce qui avait poussé les autorités, au XIXe siècle, à construire de hauts murs pour protéger la ville des inondations.
Au fil du Tibre s’inscrit dans une collection « Au fil de », débutée avec Au fil du Danube (diffusé le 4 décembre 2013). Pourquoi choisir cet angle du fleuve ?
P. Ch. : Il s’agit d’une série que nous avons initiée il y a maintenant deux ans. Nous avions intitulé le premier numéro Au fil du Danube, et Carole Gaessler réalisait ses plateaux à Budapest où le Danube est très spectaculaire entre Buda et Pest. La collection s’est poursuivie l’année dernière avec Au fil du Rhin, où nous avions posé notre plateau depuis Strasbourg. Cette démarche s’inscrit dans le traitement plus global de la thématique des fleuves avec des magazines sur le Rhône, la Seine ou encore la Loire, mais aussi les affluents, puisque l’un des derniers numéros, Au fil de l’Allier, a très bien fonctionné (voir ci-contre). Pourquoi le fleuve ? Parce que les téléspectateurs de Des racines & des ailes sont très sensibles à ce qu’on leur raconte un parcours et, dans cette optique, les fleuves sont des vecteurs très porteurs. C’est aussi mettre en lumière l’importance stratégique de ces voies d’eau au cours des siècles.
Au fil du Tibre contient un grand nombre de reconstitutions en 3D. Comment assimilez-vous les nouvelles technologies (supports, formats, caméras, récit…) dans le cadre du magazine ?
P. Ch. : C’est une émission à grand spectacle, du fait de son positionnement en prime time, et parce que nous présentons des images et des séquences spectaculaires. Ce sera à nouveau le cas dans ce numéro, notamment à travers les plateaux présentés par Carole Gaessler, l’un depuis le château Saint-Ange, l’un des plus beaux points de vue sur le Tibre, l’autre depuis le palais Farnèse, l’ambassade de France, dont la galerie des Carrache a été restaurée – une autre manière de s’ancrer dans l’actualité. Les technologies d’aujourd’hui nous offrent des possibilités bien supérieures à ce que nous pouvions proposer auparavant. Dans le reportage « Une ville née du Tibre », nous procédons à un certain nombre de reconstitutions 3D, notamment autour du Circus maximus, un édifice prodigieux capable d’accueillir 250 000 spectateurs (à titre de comparaison, le Stade de France a une capacité de 80 000 places, NDLR). Pouvoir visualiser ces monuments, mais aussi le forum ou encore le port de Rome, offre une véritable plus-value à l’émission. Nous sommes tenus d’employer les outils les plus sophistiqués, ce que la chaîne nous permet de faire — à ce titre, nous sommes en train d’expérimenter des caméras à 360 degrés. Je tiens néanmoins à rappeler que les technologies doivent être mises au service du récit, sans quoi elles manquent leur effet.
DRDA fête son 400e numéro, avant ses vingt ans en 2017. Quelles évolutions avez-vous constatées depuis le premier numéro ?
P. Ch. : L’émission décline le patrimoine au présent. Nous ne sommes pas tournés vers le passé : tous nos personnages, qu’ils soient historiens, géographes, agriculteurs, vivent au XXIe siècle. Nous nous sommes ouverts il y a une dizaine d’années au patrimoine dans sa diversité, c’est-à-dire à la fois culturel et naturel. Historiquement le magazine portait surtout sur l’architecture et les arts et, au fur et à mesure, nous nous sommes rendu compte que le patrimoine naturel est tout aussi important, en plus de rejoindre les préoccupations de notre époque, illustrées récemment par la COP 21, à Paris. Il faut reconnaître que, au temps de notre premier numéro, nous n’imaginions pas réaliser une émission en prenant comme fil rouge un fleuve. C’est en mettant une émission à l’antenne que des pistes se dégagent, en fonction du goût des téléspectateurs et des sujets dont s’empare la société. C’est une des raisons du succès de l’émission au fil de ces quatre cents numéros, nous abordons l’histoire sous l’angle de sa résonance avec l’actualité et notre époque, dans un rapport passé-présent.
Comme d’autres programmes, l’émission fait appel à des experts. Quel est le profil de « l’expert DRDA » ?
P. Ch. : Je le dis souvent : il ne suffit pas d’être intelligent, il faut être intelligible, parce que l’émission est en première partie de soirée. Nous avons toujours eu le souci de produire un discours à forte valeur ajoutée tout en affirmant notre volonté de communiquer au plus grand nombre. De fait, le profil de l’expert doit correspondre à ce double enjeu. Nous travaillons en séquences et, pour ce faire, nous cherchons à immerger le téléspectateur. L’expert DRDA est nécessairement un expert in situ, de terrain, au contact. Nous avons établi un rapport de confiance avec les chercheurs, mais aussi avec les conservateurs et les institutions. C’est cette relation de confiance qui fait la force de l’émission parce qu’elle nous donne accès à des lieux d’exception, des lieux qui ne sont pas accessibles au public.
Un expert qui peut aussi être un simple citoyen comme par exemple Anne-Claire, une Française installée à Pérouse depuis vingt ans ?
P. Ch. : Bien sûr ! Et de plus en plus. Le patrimoine n’est pas qu’une affaire d’experts. Tout un chacun, à un moment donné, peut prendre en charge son histoire, son patrimoine. Nous aimons les acteurs de terrain. C’est aussi ce qui a prévalu à la collection « Passion Patrimoine », cette idée forte que le patrimoine est l’affaire de tous.
Propos recueillis par Sébastien Pouey
Depuis le début de la saison (sept. 2015-févr. 2016), quatorze numéros de Des racines & des ailes ont été diffusés avec une moyenne de trois millions de téléspectateurs pour 12,1 % de PdA. Des audiences qui en font le programme le plus fort sur la case du mercredi en prime.
Ces succès sont d’autant plus remarquables que le public de Des racines & des ailes est exigeant. Les bonnes audiences apparaissent dès lors comme un gage de la qualité et de l’exigence de ce magazine emblématique de France 3, en témoigne la note qualité de 8,3/10, l’une des meilleures de la chaîne (voir ci-contre).
Le top 5 en audience nationale depuis septembre :
- 14/10/2015 — Au fil du Tarn : 3,560 millions de téléspectateurs, soit 14,2% de PdA
- 30/09/2015 — Passion Patrimoine – Au fil de la Durance : 3,442 millions de téléspectateurs, soit 14,6% de PdA
- 17/02/2016 — Au fil de l’Allier : 3,3 millions de téléspectateurs, soit 12,8% de PdA
- 07/10/2015 — Rêves de pierre du domaine de Chambord : 3,091 millions de téléspectateurs, soit 12,8% de PdA
- 02/12/2015 — Des monts du Beaujolais aux monts d’Arde : 3,059 millions de téléspectateurs, soit 12,1% de PdA
Quelques trésors de ce numéro « Au fil du Tibre » :
- La ville de Pérouse, fondée par les Étrusques au Ve siècle, dont le palais abrite une salle décorée par Le Pérugin, considérée par la critique comme son chef-d’œuvre.
- Monte Castello di Vibio, plus petit théâtre à l’italienne du monde (99 sièges seulement), construit par les neuf familles les plus puissantes de la ville.
- Phénomène naturel remarquable : la rivière Velino, affluent du Tibre, augmente subitement de débit, et ses chutes – les plus hautes chutes artificielles du monde — deviennent impressionnantes (15 m3 d’eau/seconde) et ce, plusieurs fois par jour.
- Le Circus maximus, capable d’accueillir 250 000 spectateurs.
Si ce nom d’émission est très vite entré dans la tête des téléspectateurs de France 3 — qui lui ont aussitôt juré fidélité — jusqu’à devenir un acronyme bien pratique sur les réseaux sociaux, « DRDA », sa signification a pu échapper à certains. Patrick Charles livre les clés de l’énigme : « Savoir qui l’on est pour aller vers l’autre, imaginer et voyager, c’est l’idée des ailes, c’est se dire que quand on sait d’où l’on vient, il est plus facile de savoir où l’on va. »