Temps fort
Laurent Delahousse consacre un numéro d’Un jour, un destin à une icône post-moderne de la mode, Karl Lagerfeld. Un créateur hors du commun, féru de travail et d’innovation, à l’histoire perpétuellement romancée par ses soins.
Son phrasé est unique, rapide, précis. Une habitude prise enfant sur la requête de sa mère qui jugeait ses propos quelque peu dénués d’intérêt. Cette femme aussi stricte et directe qu’élégante et cultivée fut pour Karl Otto Lagerfeld un modèle. Né dans une famille bourgeoise allemande de l’entre-deux-guerres, il est tombé dans le dessin par obligation – l’activité étant considérée bien plus silencieuse que le piano – et s’est révélé fin caricaturiste. De son enfance, il conserve un goût pour les belles choses, la culture française et l’importance du paraître. Et aussi un original d’Adolph Von Menzel, La Table ronde de Frédéric II à Sans-Souci, qu’il possède depuis ses 6 ans et dont il ne se séparerait pour rien au monde.
« J’ai gommé ma propre histoire d’une certaine façon parce que je suis en train d’en réécrire une autre tous les jours. » Karl Lagerfeld
Sa vocation, rappelle Laurent Delahousse, remonte au 13 décembre 1949. Au côté de sa mère, il assiste au défilé du maître Christian Dior. Ce sera une révélation et le début de ses ambitions. Sa carrière, il choisit de la bâtir de l’autre côté de la frontière : en France. Ses parents le soutiennent financièrement et, le 25 novembre 1954, il remporte le concours du syndicat de la laine avec un croquis de manteau confectionné pour l’occasion. Une réussite qui lui ouvre, à 22 ans, les portes de Balmain. N’importe qui, aujourd’hui, trouverait cela prodigieux. Seulement, il n’est pas seul à avoir ébloui le jury. Dans la catégorie « Robe de soirée », un autre jeune homme, de 19 ans, Yves Saint Laurent, a raflé le prix et l’entrée chez Christian Dior. Mais à l’époque, l’animosité entre les deux personnages n’est pas de mise. Ils sont même les meilleurs amis du monde. Leur impossible réconciliation surviendra quelques années plus tard, et personne n’y pourra rien changer. Karl Lagerfeld, entre-temps, aura fait ses armes chez Balmain, Patou puis Chloé. Les couturières qui l’ont à l’époque fréquenté vantent sa gentillesse, sa simplicité, sa capacité à mettre les gens à l’aise et aussi le détail de ses dessins. Avec lui, le trait est précis et le croquis explicite. Il modernise la marque, collection après collection, comme il le fera dès le début des années 80 avec Chanel. Difficile d’imaginer qu’à cette époque-là, la marque aux deux « c » entrelacés est au bord du précipice. Pour la presse et les critiques, accepter ce poste de directeur artistique est pure folie… jusqu’au jour du premier défilé où les éloges sont unanimes. Karl Lagerfeld a ressuscité la maison de haute couture. Pour parvenir à un tel résultat et devenir le digne héritier de Coco Chanel, le couturier s’est documenté sur la genèse de la maison, a racheté de vieux magazines, passé des heures et des heures à dessiner, fréquenté Le Palace et choisi Inès de la Fressange comme égérie et muse. Lui faisant même signer, et c’est une première, un contrat d’exclusivité.
« C’est un homme qui s’est fabriqué et refabriqué. La plupart des gens suivent une pente en général descendante, lui pas du tout. Il m’a raconté que quand il se balade à Tokyo, les gens l’arrêtent dans la rue pour lui demander un autographe. Ça doit être pareil en Chine… Karl est une rock star. » Francis Veber
Son inspiration semble aussi inépuisable que sa mémoire. Il aime à multiplier les collaborations autant qu’il prend plaisir à mettre en scène son image publique. Aujourd’hui, Karl Lagerfeld est devenu une marque, au même titre que celles pour lesquelles il travaille. Cette théâtralisation masque le versant privé, qu’il s’est toujours gardé d’exposer au grand jour. Certes, Laurent Delahousse évoque ses parents, son enfance et Jacques de Bascher, qui fut son compagnon pendant dix-sept ans avant d’être emporté par le sida, en 1989. On découvre aussi certaines des demeures ou des appartements qu’il a amoureusement restaurés à la mode du XVIIIe ou dans l’esprit Art Déco. Autant de pièces d’un puzzle qui, mises bout à bout, offre le portrait d’un homme mué par un seul et unique désir : faire de ses rêves une réalité.
C. R.
Sur une idée originale de Laurent Delahousse
Un film de Laurent Allen-Caron
Rédaction en chef : Erwan L’Élouet et Fabien Boucheseiche
Direction artistique : Serge Khalfon
Produit par Magnéto Presse
Avec le soutien du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée
Avec la participation de France Télévisions