Cinq personnalités politiques de premier plan ont accepté de livrer à Mireille Dumas la bande originale de leur vie. À travers les chansons de Georges Brassens, Jean Ferrat, Michel Sardou, Barbara, Stromae, Édith Piaf, etc., François Bayrou, Rachida Dati, Jean-Pierre Raffarin, Cécile Duflot et Jean-Luc Mélenchon racontent leur enfance, leurs amours, leur vision de la vie et de la politique. Interview de Mireille Dumas.
Pourquoi s’intéresser à ce rapport entre la chanson et les politiques ?
La chanson et la musique bercent nos vies depuis la naissance. On a tous dans le cœur des chansons qui nous rappellent des moments de notre existence, de véritables madeleines de Proust, des chansons qui nous ont émus, fait rêver, voyager, danser… Ces mélodies font ressurgir le souvenir avec une émotion presque intacte. Les politiques, comme tout le monde, partagent cet art populaire. Les faire parler à partir de cette émotion provoquée, c’est tout l’intérêt de ce documentaire et de ces entretiens, car ils se découvrent comme ils ne l’ont jamais fait. Depuis longtemps, j’avais envie de dresser des portraits de femmes et d’hommes politiques différents, sans langue de bois. Mettre en évidence ce qui les avait construits, ce qui les avait aussi conduits vers la politique. Partir de l’intime pour appréhender le personnage public. Les choix de leurs chansons peuvent étonner, surprendre ou conforter l’image que l’on a d’eux, bref, ce sont des moments de vérité auxquels ils ne peuvent se soustraire. Je pense que c’est une porte d’entrée distrayante et accessible au plus grand nombre pour les faire connaître autrement.
Pour les protagonistes interrogés, une chanson peut-elle transmettre un message politique ?
Ce n’était pas le but recherché a priori puisqu’il s’agissait avant tout d’évoquer leurs souvenirs personnels. Ils ont d’ailleurs joué le jeu de ne pas faire de discours politicien. Mais, bien entendu, certaines chansons peuvent transmettre un message politique. Selon leur éducation pendant l’enfance ou certaines périodes de leur vie, ils ont été touchés par certains textes qui sont à l’image de leur engagement, comme la magnifique chanson de Pierre Perret « Lily », pour Jean-Luc Mélenchon, qui lui rappelle son propre arrachement à sa terre natale, le Maroc, et l’exil de tant d’autres à travers le monde, particulièrement en ce moment avec cette crise migratoire sans précédent. Cécile Duflot a grandi, quant à elle, auprès de parents militants syndicalistes qui avaient une passion pour la chanteuse tiers-mondiste Mannick, qui l’a beaucoup influencée. Ce qui ne l’empêchait pas d’être accro aux chansons des années 80, comme celles de Desireless ou de Corynne Charby, et encore aujourd’hui !
Une chanson est-elle aussi un prétexte pour aborder des souvenirs ou des histoires plus intimes ?
Le but de ce documentaire est surtout d’amener ces personnalités à raconter leur parcours depuis l’enfance à travers leurs souvenirs personnels. La chanson est en effet un point de départ pour les questionner sur ce qu’ils ont vécu dans la joie ou la douleur, ce qu’ils ont dû dépasser et, au final, sur ce qui les a construits et ce à quoi ils croient. François Bayrou évoque pour la première fois, à partir de la chanson « I will survive », le bégaiement qui l’a frappé à l’âge de sept ans, à la suite d’un traumatisme, et sa lutte continuelle pour l’apprivoiser, avec de véritables défis de prise de parole comme l’enseignement et la politique. Jean-Luc Mélenchon n’hésite pas à parler de sa profonde dépression en 2002, au lendemain de la défaite de Lionel Jospin, au premier tour des présidentielles. Cécile Duflot est drôle et émouvante quand elle parle de ses quatre maternités et confie, non sans humour, que, parmi ses choix politiques, « le plus déterminant a été d’arrêter la pilule » ! Le récit de Jean-Pierre Raffarin sur sa nomination à Matignon et l’appel du président Jacques Chirac à sa mère est irrésistible. Tout comme Rachida Dati sur le machisme en politique ou ses souvenirs avec les artistes qu’elle aime. Tous reviennent sur leur enfance et leur famille avec beaucoup d’émotion.
Quelles personnalités se sont-elles livrées facilement ? Certaines ont-elles manifesté des réticences sur certains sujets ?
Ils savaient tous pourquoi ils venaient, et je crois que cet exercice les intriguait et leur plaisait dans le fond. Ils s’y sont prêtés sans esquive. Du coup, on les découvre tour à tour forts et fragiles à la fois, tous avec beaucoup d’esprit. On comprend mieux qui ils sont, leur parcours politique et leur engagement. Rachida Dati s’est livrée très facilement, avec une grande spontanéité. Une nature proche de celle de Jean-Pierre Raffarin. Cécile Duflot, qui évoquait sa vie pour la toute première fois, s’est vraiment détendue au fil des chansons et de l’entretien. Résultat, c’est une réelle découverte, tout comme Jean-Luc Mélenchon qui n’aborde jamais sa vie sentimentale et, au bout du compte, parle magnifiquement de l’amour et rend un bel hommage aux femmes ! Comme François Bayrou, il dit avoir été construit par les femmes. De manière générale, ils m’ont surprise par leur grande sincérité.
Propos recueillis pas Yannick Sado
Sur la politique
Jean-Pierre Raffarin
« L’entrée à Matignon est physiquement dur. Les premières nuits, je ne dormais pas. On se demande si on va être à la hauteur. Heureusement, il y a une grâce du pouvoir. On trouve des forces qu’on ne croyait pas avoir. »
Cécile Duflot
« Être ministre, jusque très tard, je ne savais pas que cette vie existait. Pour moi, être ministre, c’était dans le journal. Il n’y avait aucune ligne possible entre ma vie et cet univers. J’étais très loin de tout ça. »
Sur l’enfance
François Bayrou
« À 19 ans, un grand psychanalyste a dit à mon professeur d’art dramatique, il y a trois choses qu’il ne pourra jamais faire à cause de ce bégaiement : comédien, professeur, homme politique. Je me suis dit : Très bien, je vais faire les trois ! »
Rachida Dati
« Je me souviens qu’après avoir eu mon bac ma mère me disait : " Mais tu te rends compte d’où on vient, tu te rends compte ce que nous sommes ? Tu as le baccalauréat, c’est déjà pas mal, même si tout s’arrête aujourd’hui, tu as le baccalauréat ! " »
Jean-Luc Mélenchon
« En 1962, à 11 ans, en quittant le Maroc, mon pays natal, j’ai connu la souffrance de l’exilé. En arrivant en France, j’ai commencé une carrière intéressante de "bougnoul" et de "bicot". J’ai réglé quelques problèmes à coup de poing. »
Sur la vie privée
Jean-Luc Mélenchon
« Les femmes m’ont construit. Je suis assez lucide pour savoir ce que je leur dois. Il n’y a pas de trajectoire solide pour un homme comme moi sans le souvenir permanent de la contribution féminine, même si mon existence a été marquée par des ruptures. Aimer et être aimé, c’est quand même la grande affaire de la vie ! »
Cécile Duflot
« J’ai eu mes trois premiers enfants très jeune et, parmi les choix politiques que j’ai faits, arrêter la pilule a été le choix le plus déterminant ! (Rires) Mais c’est personnel, je ne fais pas de mythification de la maternité. »