Temps fort SEM 06
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De l’enrôlement forcé de millions d’enfants et d'adolescents de toutes classes sociales sous la bannière à croix gammée au destin d’une bourgeoise ambitieuse devenue nazie fanatique puis mère infanticide : deux documentaristes, David Korn-Brzoza et Antoine Vitkine, s’interrogent sur les mécanismes d’adhésion à une idéologie totalitaire et criminelle.
Interview de David Korn-Brzoza, réalisateur de « Jeunesses hitlériennes »
Vous avez réalisé un certain nombre de documentaires sur la Seconde Guerre mondiale. L’idée de consacrer un film aux Jeunesses hitlériennes est-elle née au cours de ces précédents projets ?
Pas du tout. Parfois, les bons sujets sont devant vous et vous ne les voyez pas. J’avais une photographie de Churchill sur mon bureau depuis l’adolescence et je n’avais jamais songé à lui consacrer un film avant qu’on me le propose. Cette fois, c’est le producteur Manuel Catteau, de ZED, qui m’a suggéré l’idée d’une enquête sur les Jeunesses hitlériennes, il y a un peu plus de deux ans. Mais bien sûr ! Pourquoi ne l’avait-on pas fait avant ? Raconter le IIIe Reich du point de vue des enfants et des adolescents allemands ; comprendre comment un régime a pu endoctriner et fanatiser une population, à commencer par ceux qui en étaient la part la plus vulnérable, la vitrine et l’avenir. Très vite, la question, a été celle de la forme : film d’archives ou bien film d’archives et de témoignages ? Ça a fait l’objet d’un débat. Certes, il y a suffisamment d’archives pour raconter cette histoire mais j’ai insisté pour pouvoir la raconter aussi à travers des récits à la première personne. Je crois qu’il y a une parole qui est en train de se perdre et qu’il faut absolument recueillir avant qu’il ne soit trop tard. Nous avons donc pris le risque – en termes de temps et de moyens – de rechercher des témoins. Nous en avons trouvé dix-sept. Dix ont finalement été retenus dans le film, ce qui est un assez bon ratio. Mais tout cela a été assez compliqué. De nombreuses conditions s’additionnaient.
Quelles étaient-elles ?
Il fallait bien entendu trouver des survivants, qui acceptent de parler, qui soient encore capables de le faire et qui aient quelque chose d’intéressant à raconter. J’ajoute : qui aient mené un travail – conscient ou non – de réflexion sur leur expérience. Il y avait enfin une autre donnée incontournable : les hommes nés en 1920 ont généralement disparu. Ceux de 1935 sont nés trop tard pour notre propos. Cela laissait une fenêtre assez étroite, et qui se referme d’année en année. Nos témoins sont donc nés entre 1925 et 1929. Au cours de la guerre, ils ont entre 10 et 20 ans. C’est-à-dire qu’ils commencent à appréhender le monde avec, pour seul horizon, l’univers cloisonné, verrouillé du IIIe Reich. Certains de nos témoins étaient connus : Hans Werk témoigne depuis des années dans les écoles, Erhard Eppler est un ancien ministre de RFA, Salomon Perel a écrit ses Mémoires, d’autres étaient totalement anonymes.
Était-il difficile de recueillir cette parole ?
Tous les entretiens ont duré en moyenne quatre heures, ce qui est inhabituel. Ce temps était nécessaire d’abord pour qu’ils se sentent en confiance, qu’ils comprennent que nous n’étions pas là pour faire un film à charge, pour les juger mais pour comprendre comment on pouvait être enfant sous le nazisme, ce qui amenait, à l’âge de 15, 16 ou 17 ans, à ressentir une admiration aveugle pour Hitler, à haïr les Juifs et les communistes et à désirer participer à la guerre. Nécessaire aussi pour les aider à se replonger dans une époque lointaine, à retrouver ce qu’ils ont éprouvé il y a plus de soixante-dix ans et parfois leur permettre d’évoquer des souvenirs très douloureux. C’était une émotion très forte pour moi et pour toute l’équipe de recueillir ces témoignages, l’impression de toucher l’histoire et surtout de recevoir un relais.
Ce qui est à la fois émouvant et troublant, c’est que les années passées, la prise de conscience, le travail de réflexion, la mise à distance, etc., n’ont pas éteint chez eux une lueur d’émerveillement à l’évocation de certaines des activités de plein air des Jeunesses hitlériennes.
Être enfant ou adolescent dans l’Allemagne nazie des années 30 pouvait avoir des côtés très plaisants. À condition, évidemment, de n’être ni Juif ni communiste. Peu de régimes ont mis à ce point l’accent sur la jeunesse. Les images de jeunes qui défilent au pas et en uniforme font, bien sûr, froid dans le dos. Mais celles où les mêmes jeunes partent en randonnée, font du bateau, du planeur, tirent à la carabine, chantent autour de feux de camps, etc., pourraient être sympathiques... si on oubliait ce qui en était l’envers. Bien sûr, à travers tout cela, il était question d’idéologie. Il s’agissait d’inculquer de façon ludique l’esprit de groupe, la discipline, le culte de la force, le sentiment de supériorité, la haine de l’autre, et de former militairement et à leur insu ces gamins, de les endoctriner peu à peu pour en faire les nazis de demain.
Vous montrez d’ailleurs l’irrésistible progression numérique des Jeunesses hitlériennes et la manière dont le régime leur assure rapidement le monopole exclusif de l’encadrement des jeunes Allemands.
La politique de réarmement ne suffit pas. Fabriquer des avions et des chars ne sert à rien si vous n’avez pas les guerriers pour les manipuler et si vous n’éduquez pas toute une nation à combattre, à conquérir, à regagner son « espace vital ». Et qui tient la jeunesse, tient l’avenir. Hitler l’avait parfaitement compris. Cela passe donc par l’enrôlement obligatoire des jeunes entre 10 et 18 ans et par le contrôle de tout ce qui pourrait contrebalancer l’influence des Jeunesses hitlériennes : la famille, les Églises, l’école... Ne pas envoyer ses enfants aux Jeunesses hitlériennes, c’est s’exposer à des problèmes sérieux, tout comme ne pas faire le salut nazi ou ne pas mettre un drapeau à croix gammée à sa fenêtre. Le régime utilise la surveillance de tous par tous et la peur de chacun d’être dénoncé. On peut imaginer que beaucoup d’Allemands simulent l’adhésion au régime pour ne pas paraître en reste vis-à-vis de leurs voisins. Pour d’autres – et qui ne sont pas forcément acquis aux idées nazies –, n’oublions pas que Hitler, en 1939, est un héros qui a rendu sa fierté à une Allemagne exsangue et humiliée une décennie plus tôt. Certes, c’est un leader charismatique, raciste, vociférant, etc., mais il multiplie les coups d’éclat et les réussites économiques et bientôt militaires. Alors, certains sont prêts à fermer les yeux sur les autodafés et les magasins juifs incendiés. Nous ne sommes pas encore en 1942, 1943, les camps d’extermination et les chambres à gaz n’existent pas encore... Dans ce climat d’adhésion généralisée – plus ou moins sincère –, les adultes peuvent tant bien que mal se débrouiller avec leur conscience, ruser, certains parvenant à conserver en secret une intime conviction. Mais que peuvent bien faire des enfants, des adolescents, nés pratiquement avec le Reich, qui vivent les choses avec intensité et qui sont surtout privés désormais de l’éducation leur permettant de discuter le monde qui les entoure ? On leur a promis un rêve, ils vivront un cauchemar.
Les Jeunesses hitlériennes sont-elles bien documentées dans les archives ?
Je savais qu’il y avait énormément d’images, en tout cas d’un certain genre : des défilés de jeunes à n’en plus finir. Le régime nazi les a tellement mis en scène que ce n’est guère étonnant. Je souhaitais trouver de nouvelles archives moins connues. Ce sont d’abord les scènes d’activités et d’entraînements des Jeunesses, comme ces images de « tribus » de gamins, torses nus, s’affrontant pour un territoire, dans le décor des îles du nord de l’Allemagne. Leur caractère d’images de propagande n’enlève rien à leur pouvoir de fascination. Visages radieux, joie de vivre… Et puis, on dirait qu’il fait toujours beau en Allemagne ! Dans les archives de la guerre du Reich, il est plus difficile de trouver des jeunes combattants, ils sont rarement filmés de face ou d’assez près. Mais nous avons cherché, fait des arrêts sur images, scruté... et finalement trouvé des gamins très jeunes dans plusieurs bobines. Autre découverte, ces images étonnantes : des GI américains, à la fin de la guerre, viennent de mettre la main sur un groupe de Jeunes hitlériens encore à l’entraînement avant d’aller combattre, ils interrogent l’un d’eux... il a 12 ans. Enfin, comme toujours, il y a la quête d’archives rares. Nous avons trouvé des bobines de civils allemands sous les bombes. Images jamais diffusées à l’époque car elles desservaient le régime. Nous avons recherché également des films amateurs comme par exemple ces scènes familiales montrant de tout jeunes enfants qui tendent le bras et font le salut nazi pour leur père qui les filme dans le jardin de la maison. Six ou sept ans, et déjà un sac sur le dos, un fusil en bois... Cela aussi en dit long sur la militarisation de l’enfance.
D’où proviennent ces images ?
Elles sont très dispersées – Allemagne, États-Unis, Canada, France, Australie, Russie – parce que les Alliés, en envahissant l’Allemagne, ont saisi beaucoup de matériel. Les plus difficiles à exploiter sont les archives russes, à cause de la langue et parce qu’elles ne sont pas numérisées. Mais nous y avons trouvé des images de la libération des prisonniers de guerre allemands qui correspondent exactement au récit de nos témoins.
C’est votre quatrième collaboration avec Vincent Lindon, qui dit le commentaire de ce film. Pourquoi cette fidélité ?
En plus d’être quelqu’un que j’apprécie humainement pour son caractère entier, Vincent est quelqu’un avec qui j’aime travailler. Il a une voix d’ancien fumeur, cassée, brisée, une voix qui n’est pas consensuelle, journalistique, clinique. Après Churchill, La Chute du Reich, Après Hitler, nous commençons à nous connaître. Nous sommes tous les deux assez perfectionnistes et nous avons plaisir à chercher ensemble ce ton juste, cette ligne assez fine où le récit parvient à concilier la neutralité et l’empathie. Pour moi, c’est une vraie voix de cinéma, qui vit les choses en en faisant le récit. Il a un talent formidable et il apporte une texture supplémentaire à chaque film, une véritable teinte sonore.
Propos recueillis par Christophe Kechroud-Gibassier
Berlin, avril 1945. Le IIIe Reich vit ses derniers jours. Parmi les ultimes combattants du Führer, des adolescents, dont certains n’ont pas 15 ans. Qui sont ces enfants-soldats prêts à se sacrifier pour Hitler ? Comment le régime s’est-il assuré leur loyauté sans faille ?
À travers des témoignages inédits d’anciens des Jeunesses hitlériennes et des images d’archives restaurées et colorisées, ce documentaire retrace l’endoctrinement d’une nation.
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110 min
Écrit et réalisé par David Korn-Brzoza
Raconté par Vincent Lindon
Conseiller historique : Johann Chapoutot
Documentaliste : Deborah Ford-Gribaudi
Colorisation : Samuel François-Steininger / Composite Films
Graphisme : Ronan Jupin
Musique originale : Laurent Parisi
Chef monteur : Jean-Paul Le Grouyer
Production : ZED / Gaëlle Guyader et Manuel Catteau
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Le Mot de Johann Chapoutot
« Le mode d’expression premier, et principal, de l’historien est le livre. Par amour de l’objet, par tradition également, mais aussi parce que le livre est le lieu le plus approprié à l’expression de la nuance. J’ai découvert, depuis quelques années, tout le bonheur qu’il y a aussi à travailler pour et avec la télévision. J’étais, après tout, un spectateur attentif des documentaires historiques, trouvant dans les images et dans les sons des sources d’inspiration, sinon d’information. Travailler avec David Korn-Brzoza a été une chance, car j’avais vu les excellents films qu’il avait signés avec Olivier Wieviorka. J’ai trouvé en David un auteur rigoureux, attentif au moindre détail, soucieux de véracité jusqu’à l’extrême, relisant et vérifiant sans relâche – et très éclairant sur la mise en image de l’histoire. J’ai d’abord été conseiller historique, puis coauteur du commentaire de son film sur les Jeunesses hitlériennes : bien des idées qui me semblaient lumineuses ont été délicatement accompagnées vers la sortie par David qui avait l’œil du documentariste et savait ce qui « passait » à l’image ou non. Nous avons eu des dialogues très francs et très ouverts, l’un sachant se rendre aux raisons de l’autre, et inversement. Le résultat est un film que, en tant que spectateur comme en tant qu’historien, j’aurais eu plaisir à découvrir sur l’antenne de France Télévisions. En connaître le script par cœur ne m’a même pas gâché le plaisir du visionnage pour dernière et ultime vérification. »
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Une Websérie sur francetvéducation
Comment de jeunes adolescents sont pris, malgré eux, dans l’étau de l’endoctrinement, dans tous les aspects de leur vie quotidienne ? C’est tout le propos de cette websérie documentaire proposée par la plateforme éducative de France Télévisions, francetveducation.fr , dans le cadre de la diffusion de Jeunesses hitlériennes sur France 2. Sept modules, sept thématiques propres à l’adolescence explorent la subtilité des techniques d’endoctrinement utilisées au sein des Jeunesses hitlériennes. Elles feront basculer ces jeunes du rêve au cauchemar, de l’illusion à la réalité. Une websérie qui résonne étrangement aujourd’hui.
Wilfried Contzen
Né en 1929 à Cologne, il a grandi dans une famille aisée et éloignée de la politique, jusqu’à ce que son père, apothicaire, devienne membre du Parti nazi en 1934. Le « Heil Hitler » devient obligatoire à la maison, et il accompagne ses parents à Francfort pour assister à la visite du Führer. Comme beaucoup d’Allemands, il subit les bombardements alliés. Il s’occupe de l’accueil des réfugiés qui fuient les destructions. En février 1944, il reçoit une formation militaire et apprend à manipuler des armes. D’octobre à décembre 1944, il est envoyé avec 300 autres de ses camarades sur la ligne Siegfried, reconstruite à la hâte après le débarquement en Normandie, pour creuser des tranchées.
Erhard Eppler
Né en 1926 à Ulm, quatrième de sept enfants, il intègre les Jeunesses hitlériennes en 1937 et y serait allé même si la loi ne l’y avait pas obligé. Au cours d’une compétition sportive, il apprend le début des affrontements avec la Russie. Pendant la guerre, il est envoyé au service du travail obligatoire dans des conditions particulièrement difficiles. Par un oncle qui revient du front Est, il entend parler du massacre des Juifs par les SS. Il se porte volontaire en 1944 pour entrer dans la Wehrmacht et éviter ainsi la Waffen-SS. Après la guerre, il participe à la création d’un parti pacifiste, entre au Parti socialdémocrate allemand et devient ministre fédéral de la coopération économique de 1968 à 1974.
Hermann Graml
Né en 1928 au sein d’une famille monarchiste qui ne parle jamais de politique, il affirme n’avoir jamais cru en l’idéologie nationale-socialiste mais reconnaît l’importance des idoles et des modèles : le leader local des Jeunesses hitlériennes fut pour lui presque un demi-dieu, et Hitler, un objet de dévotion. Il se retrouve rapidement au sein de la Flak* et reste persuadé, comme ses camarades, de la victoire allemande. Lors des combats, ses amis meurent autour de lui. Il est fait prisonnier de guerre par les Américains. Après la guerre, il devient historien du IIIe Reich. Il a publié ses Mémoires d’enfance en 1992.
Herbert Hartmann
Né en 1929 à Breslau, en Prusse (aujourd’hui Wroclaw en Pologne), il est enchanté de rejoindre les Jeunesses hitlériennes pour suivre un camarade. Le 1er septembre 1939, il est occupé à construire un abri antiaérien quand la guerre éclate. Promu au rang de chef, il supervise plus d’une centaine de jeunes garçons du mouvement. Il prend conscience du tournant de la guerre quand des camarades meurent ou que des proches sont gravement blessés. Comme pour beaucoup, la capitulation est un immense choc et quand il découvre les crimes nazis, il ne veut pas y croire.
Hans-Detlef Heller
Né en 1927, il grandit à Berlin avec ses demi-frères et soeurs nés d’un premier mariage paternel avec une femme juive. Il intègre les Jeunesses hitlériennes à l’âge de 8 ans lorsque de jeunes militants viennent en salle de classe recruter de nouveaux membres. Il garde un magnifique souvenir des camps d’été entre 1936 et 1939. Lors des immenses rassemblements, il est heureux car il n’y a pas école. Il aperçoit Hitler, son demi-dieu, à plusieurs reprises. Il rejoint avec enthousiasme la Flak en février 1943 et s’illustre au combat. Il abat plusieurs avions ennemis, mais finit par être capturé par les Américains sur le front italien. Il sera prisonnier de guerre en Italie pendant deux ans.
Hans Müncheberg
Né en 1929, il intègre une Napola, école d’élite du Reich, en 1940, à Potsdam. Bercé par les récits de héros de la Première Guerre mondiale, il rêve de devenir pilote de chasse mais est trop chétif. Peu à l’aise dans les groupes de garçons de la Napola, il veut quitter l’école mais son père fait pression et le prévient que cela équivaudrait à une désertion. En avril 1945, il est jugé apte à partir pour Berlin participer aux derniers combats du Reich contre les soviétiques et reste persuadé que des armes miracles sauveront le régime. Il est sévèrement blessé par un tank russe le 2 mai 1945 mais parvient à s’échapper sans être fait prisonnier. Peu après la capitulation, il est accueilli une nuit chez des villageois polonais. Sa vision du monde va changer.
Salomon Perel
Né en 1925 au sein d’une famille allemande de confession juive, il quitte l’Allemagne avec sa famille et part pour Lodz, en Pologne, lorsque Hitler devient chancelier en 1934 et que les lois raciales sont édictées. En 1939, après l’invasion de la Pologne, il fuit en Biélorussie. Mais, en 1941, l’Allemagne envahit l’Union soviétique, Salomon est arrêté par une unité allemande. Ayant menti sur son identité, il est rapatrié en Allemagne et rejoint les Jeunesses hitlériennes où il se fait appeler Josef Perjell jusqu’à la fin de la guerre. Ses parents et ses soeurs sont victimes des exactions nazies. Il cache son aventure pendant des décennies. Dans les années 90, il écrit ses Mémoires qui sont adaptés au cinéma.
Alfons Rujner
Il naît en 1927 dans une famille pauvre de l’ancienne Prusse (Pologne actuelle). Ses années aux Jeunesses hitlériennes sont consacrées aux jeux d’espions, aux randonnées et aux chansons. Comme la majorité des jeunes Allemands, il adhère tout à fait à l’idéologie nazie. À 15 ans, il intègre une unité civile d’aide aux victimes, participe à l’extinction des incendies causés par les bombardements ennemis et sort les corps des décombres. Il se porte volontaire pour devenir soldat dans les dernières semaines de la guerre. Il est fait prisonnier par les troupes soviétiques et libéré en 1948.
Hans Werk
Né en 1927, il intègre les Jeunesses hitlériennes dès l’âge de 10 ans et obtient rapidement un poste de leader. Jeune hitlérien convaincu, il veut intégrer l’école Adolf Hitler, mais son père s’y oppose fermement. Ses parents, qui écoutent parfois la BBC, ont peur de lui. L’attaque contre la Pologne est pour lui un événement formidable. Il intègre la défense antiaérienne, puis se porte volontaire pour entrer dans la Waffen-SS en 1944, ce qui provoque la colère de son père. Il est blessé lors d’une attaque aérienne et fait prisonnier par les Américains en 1945. Ce n’est qu’en 1951 qu’il se détourne de l’idéologie nazie. Il rejoint le Parti social-démocrate allemand en 1953. À la retraite, il se rend dans les écoles pour témoigner.
Wilhelm Küpper
Né en 1926, il a d’abord connu les camps scouts avant qu’ils ne soient interdits. En 1936, un officier présente les Jeunesses hitlériennes en classe : les camps, les activités sportives lui font envie et ses parents ne s’opposent pas à son adhésion. En 1943, il intègre la défense antiaérienne pendant trois mois : il sort les cadavres des décombres et participe à la reconstruction d’habitations détruites. En 1944, il se porte volontaire pour intégrer la Luftwaffe et échapper ainsi au recrutement des SS, qu’il craint par-dessus tout. Il reçoit un entraînement militaire avant d’être envoyé sur le front à proximité de Cologne. Il est fait prisonnier en 1945 et travaille dans des mines en Belgique. Il est libéré en 1947.
* Flak : la défense antiaérienne.
Interview d'Antoine Vitkine, réalisateur de « Magda »
Vous êtes l’auteur de documentaires sur quelques figures « monstrueuses » de l’histoire passée (Mein Kampf, c’était écrit pour Arte) et contemporaine (Kadhafi, notre meilleur ennemi pour France 5 ou Bachar Al-Assad, moi ou le chaos pour France 3). Comment s’inscrit, dans votre parcours, ce nouveau film consacré à Magda Goebbels, nazie fanatique et mère infanticide ?
Ces documentaires ont en commun de se confronter à la question du mal, d’une manière ou d’une autre, en portant l’attention sur le rôle des individus. Je crois beaucoup au poids des intentions. Je m’attache d’abord aux trajectoires personnelles, aux raisons psychologiques, aux idées qui conduisent des individus – dictateurs ou autres – à faire tel ou tel choix, au moins autant qu’aux contextes dans lesquels ils se trouvent. J’ai abordé la figure de Magda Goebbels dans cet esprit-là...
Pourquoi s’intéresser aujourd’hui à la femme de Joseph Goebbels ?
Contrairement à son mari, elle n’est pas une actrice majeure de l’Histoire. En ce sens, sa trajectoire, proprement tragique, a quelque chose de révélateur. Certes, elle adhère totalement au nazisme et participe entièrement de ce régime, mais elle n’est pas une figure politique décisionnaire. D’une certaine manière, Magda Goebbels est l’Allemagne – c’est-à-dire l’Allemagne ordinaire –, embarquée petit à petit dans une dérive criminelle de grande ampleur qui va en plus la conduire, elle, au meurtre de ses six enfants. Comprendre son parcours permet d’éclairer l’histoire du nazisme et de s’interroger sur les mécanismes qui conduisent un individu à épouser une idéologie totalitaire et criminelle. Cette question trouve évidemment des échos aujourd’hui, et c’est cela qui a motivé mon intérêt : il y a, dans l’attrait de Magda Goebbels pour « l’aventure politique » proposée par le nazisme, dans ses fractures identitaires qui la conduit à chercher dans le nazisme une famille politique de substitution, dans sa froide détermination quand elle commet son crime final et dans son fanatisme, quelque chose qui n’est pas sans nous rappeler le djihadisme. Enfin, Magda Goebbels, c’est aussi une membre d’une élite allemande éclairée qui en vient, par conviction – mais aussi par ambition – à rallier un parti fasciste et raciste alors en pleine ascension vers le pouvoir. Cette dimension également a des résonances qui vont au-delà de la période nazie.
« Éclairer l’histoire » : cela passe-t-il par le fait d’adopter un point de vue féminin ?
Il y avait cette volonté-là, en effet : s’intéresser à la place des femmes dans le régime nazi, mais aussi mettre en lumière le rôle historique joué par Magda Goebbels, l’extirper d’un relatif oubli de l’histoire, par rapport à la maîtresse d’Hitler, Eva Braun. Si cette dernière a fait l’objet de nombreux documentaires et si, dans l’imaginaire collectif, elle incarne la figure féminine par excellence du IIIe Reich, elle était en fait inconnue des Allemands de l’époque. La vraie « première dame » était bel et bien Magda Goebbels, ne serait-ce que par la façon dont le régime l’a mise en scène et utilisée.
Femme d’ambition participant pleinement à l’arrivée au pouvoir des nazis, Magda Goebbels va finalement être reléguée, en quelques années, à son seul rôle d’épouse et de mère…
Oui, et son parcours montre bien que ce système politique en plus d’être raciste et criminel, était aussi profondément misogyne. Les femmes n’avaient pas voix au chapitre. Cela ajoute au caractère tragique, à l’ironie cruelle, de son destin. Elle s’est compromise en espérant un rôle éminent et elle fut ramenée, par Hitler dont elle était pourtant très proche, à sa condition de femme, de génitrice d’enfants pour le Reich. C’est la raison pour laquelle j’ai pris le parti de l’appeler parfois simplement « Magda », non pas tant pour créer une proximité – imaginerait-on un documentaire qui parlerait par exemple « d’Adolf » ? – mais pour la détacher de la figure de son mari Joseph Goebbels, de son statut de « femme de… ». Le sujet de ce film n’est pas madame Goebbels mais, pleinement, Magda. Qui avant de s’appeler Goebbels porta trois autres noms...
Votre film cerne la personnalité de Magda Goebbels à travers les écrits de son mari, de sa mère et de sa meilleure amie…
Ce portrait ne peut être qu’une interprétation de sa trajectoire, de ses intentions, de sa vision du monde car Magda Goebbels n’a laissé aucun témoignage. Aussi, pour essayer de cerner son parcours et de la comprendre, nous avons mené avec mon équipe un vaste travail de recherche pour retrouver les témoignages directs de ceux qui l’avaient connue, parents, amis ou proches.
Vous exhumez également de nombreuses archives, tournées au cœur même de l’intimité familiale de Magda Goebbels, que vous montez en parallèle d’images montrant l’atrocité nazie. Pourquoi ce choix ?
Ce parallèle s’impose de lui-même. Car ces images issues de la propagande constituent une sorte de monde parallèle. Elles dévoilent la vie familiale de Magda Goebbels idéale et bucolique, comme une vitrine du nazisme, tandis qu’autour, les pires crimes étaient commis. Il fallait déjouer ces archives, ne se laisser piéger ni par leur contenu ni par leur beauté cinématographique. Ce jeu de montage parallèle permettait, il me semble, de respecter un effet de réel.
Le film s’appuie enfin sur l’analyse d’historiens et, chose rare pour un documentaire historique, d’un ethnopsychiatre (Tobie Nathan) et d’un sociologue (Gérald Bronner)…
Je voulais essayer de comprendre le parcours de Magda Goebbels sous différents angles, pour lui donner du sens – c’est-à-dire tout à la fois l’inscrire dans une perspective historique mais aussi lui donner une signification, une résonance actuelle. D’où le choix de faire appel à des historiens français et allemands spécialistes du IIIe Reich, mais aussi de proposer à deux penseurs issus d’autres disciplines de se pencher sur le « cas Magda ». En plus d’être psychiatre, Tobie Nathan est aussi l’auteur de Qui a tué Arlozoroff ? (Grasset, 2010), roman consacré à l’amant juif de Magda Goebbels ; il était tout désigné pour apporter son éclairage. Quant à Gérald Bronner, sociologue spécialiste de l’extrémisme et de la radicalisation, il a notamment écrit une enquête passionnante intitulée La Pensée extrême (Denoël, 2009), dont le sous-titre pourrait s’appliquer à Magda Goebbels : Comment des hommes ordinaires deviennent des fanatiques.
Magda Goebbels… est programmé en commun avec Jeunesses hitlériennes… D’un documentaire à l’autre, on passe de l’endoctrinement des élites à celui du peuple. À chaque fois, on suit des parcours qui semblent reléguer la question de l’idéologie au second plan. Pourquoi ?
La conviction, l’idéologie, restent centrales, j’en suis persuadé, mais l’endoctrinement n’intervient que dans un second temps – une fois que la bascule a opéré. Ce qui m’a intéressé ici, avec Magda Goebbels, c’est justement le premier temps, le temps du « devenir » : comment est-ce qu’une femme aisée et moderne, parfaitement insérée socialement, issue d’un milieu cosmopolite, est attirée par le nazisme ? Quels sont les ressorts de ce basculement ? De quelle histoire individuelle, psychique et collective est-elle le produit ?
En 2014, dans Populisme, l’Europe en danger (Arte), vous mettiez l’accent sur le caractère profondément opportuniste du populisme. En quoi le parcours de Magda Goebbels fait-il écho à cette analyse ?
En travaillant sur Magda Goebbels, j’ai été frappé par une similarité. Pour le documentaire que vous citez, j’avais notamment enquêté en Finlande. Ce pays est une démocratie stable, dont le système politique fonctionne très bien, qui ne connaît ni crise économique majeure ni flux migratoires à même de créer un sentiment d’insécurité identitaire. Autrement dit, le pays ne possède aucune des variables que l’on associe d’ordinaire à la montée de l’extrême droite. Pourtant, le vote populiste existe. Et, pour justifier leur adhésion, plusieurs électeurs rencontrés me disaient : « Le système marche trop bien, on s’ennuie… » Ça a fait « tilt » lorsque j’ai lu que la mère de Magda Goebbels disait de sa fille, comme explication à son basculement vers le nazisme : « Elle s’ennuyait, craignait de devenir une jeune dame inutile et frivole. » L’historien Johann Chapoutot parle aussi de son engagement comme « une manière de tromper la morosité » de la société de consommation. Tout ça est très actuel quand on y pense : cette insoutenable légèreté de l’être démocratique, en somme, qui conduit certains à chercher des aventures politiques radicales, exaltantes et violentes.
Rappeler aujourd’hui l’endoctrinement de Magda Goebbels est-il une façon de tirer les leçons de l’histoire ?
Il faut faire attention à ne pas tirer de conclusions trop hâtives ou dresser de trop prompts parallèles entre notre époque et l’Europe des années 1930. Le propre de l’Histoire est qu’elle prend sans cesse des formes nouvelles. Si l’on se contente de voir les événements à travers le prisme du passé, on se condamne à passer à côté de leurs nouveautés et de leurs singularités. Pour autant, on peut tenter de repérer – d’analyser et de comprendre – des invariants entre différentes périodes, qui peuvent nous alerter.
Propos recueillis par Cyrille Latour
Le 1er mai 1945, dans le bunker d’Adolf Hitler enterré sous Berlin, Magda Goebbels empoisonne ses six enfants. Avant de se donner elle-même la mort, elle justifie son geste dans une lettre : « La vie sans Adolf Hitler ne vaut pas d’être vécue. » Comment Magda Goebbels est-elle devenue cette fanatique-là ? Au fil d’une enquête historique mêlant témoignages des proches et interviews de spécialistes, s’appuyant sur des images d’archives exceptionnelles, le documentariste Antoine Vitkine nous fait entrer dans l’intimité de celle qui fut la véritable première dame du IIIe Reich.
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58 min
Un film écrit et réalisé par Antoine Vitkine
Musique originale : Julien Deguines
Conseiller historique : Fabrice D’Almeida
Avec la voix de Christian Gonon, de la Comédie-Française
Production : Compagnie des Phares et Balises
Productrice : Anne Labr
Propos de Fabrice d'Almeida, historien
Pourquoi Magda Goebbels adhère-t-elle au Parti nazi ?
Dans les années 20-30, un parti est une communauté de vie. On y va souvent, plusieurs fois par semaine. On mange, on chante, on danse avec le parti. On est dans un petit groupe, une petite unité avec laquelle on partage une expérience vitale. Pour quelqu’un qui s’ennuie, dont la vie n’a pas encore de sens, c’est crucial. Dans ces années-là, on peut imaginer que l’adhésion à une idéologie constitue la nouvelle aventure. Magda va ainsi sortir de son train-train quotidien.
Comment passe-t-on de militante à fanatique ?
Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, Hitler ne parle pas seulement aux femmes en tant que mères de famille, il les traite en partenaire idéologique. C’est crucial car cela signifie qu’il les mobilise, qu’il en fait des agents du mouvement, sur le plan idéologique et sur le plan politique. La rencontre avec Hitler représente une expérience vitale pour Magda Goebbels ; elle la transforme en militante, en « fanatique » – le mot de l’époque, un mot alors positif. Magda est fanatique ; elle adore la doctrine nazie, elle adore Hitler, elle est prête à se brûler pour le Parti. C’est toute la force d’Hitler : à la fois il touche l’être pensant, ses émotions et, en même temps, il a cette espèce de gentillesse, de proximité dignes d’un ami.
Propos de Tobie Nathan, ethnopsychiatre
Vous connaissez le parcours de Magda Goebbels… Comment a-t-elle pu en venir à tuer ses six enfants ?
On peut dire qu’il s’agit d’un suicide mélancolique et d’un suicide politique. Politique, car elle fait une déclaration politique en laissant une lettre, des documents où elle écrit : « Je ne veux pas laisser mes enfants dans un monde qui n’est pas nazi. » En même temps, elle dit sauver ses enfants en les emmenant avec elle… Donc, c’est aussi un suicide mélancolique. Selon moi, Magda, à la fin de sa vie, est très atteinte psychologiquement. La situation empire ; la détresse devient totale ; il n’y a aucune issue. Cela sonne la faillite de son projet de vie. Au fond, elle est cohérente ; c’est un suicide cohérent. Mais on peut aller au-delà, s’intéresser à la mise en scène du suicide et encore plus à celle du meurtre des enfants. Elle les habille en blanc. C’est très important, elle veut signifier qu’ils sont purs, qu’ils s’en vont purs. Et là, cela ressemble quelque peu à des suicides sectaires avec le rituel de la prière avant la mort.
Qu’est-ce qui a conduit Magda Goebbels à adhérer au système idéologique nazi ?
Un élément en particulier a attiré mon attention. Magda est une immigrée. Elle est une orpheline de père, puisque le père ne l’a pas reconnue. Elle change trois fois de nom, ce qui révèle un problème de filiation. Ensuite, on la place en pension en Belgique, où, encore une fois, on lui donne un nouveau nom. Le changement de langue, de milieu, de perception du monde est extrêmement important. Les gens qui éprouvent cela considèrent que le monde est contingent : il s’est transformé une fois, il peut se transformer encore. C’est, je pense, un élément fondamental puisque cette expérience et cette appréhension du monde poussent à chercher quelque chose de solide à quoi se raccrocher. C’est peut-être ce que Magda a éprouvé à l’égard de l’idéologie nazie. Elle s’est dit : « Je ne savais pas ce que je cherchais, mais c’était ça, en fait. »