L'Énigme du grand menhir

Il mesure 21 mètres et pèse 330 tonnes. Érigé 4 500 ans avant Jésus-Christ, il a fait partie d’un ensemble architectural au néolithique. Le grand menhir est aujourd’hui à terre, sur la presqu’île de Locmariaquer, dans le golfe du Morbihan. Pendant près de deux mille ans, l’ouest de l’Europe a vu se développer la plus forte concentration de ces mégalithes. Ces constructions ont été l’objet de nombreuses interprétations et les signes qui y sont gravés continuent d’intriguer les scientifiques.

Chercheur au CNRS, Serge Cassen s’est intéressé de très près à ces inscriptions, commençant par l’étude de deux monuments de la région : le dolmen de la Table-des-Marchands et le cairn de l’île de Gavrinis, qui compte un grand nombre de gravures. Le premier est constitué de nombreuses stèles, issues des alignements de Carnac. Sur ces deux mégalithes, on voit un élément fréquent : la crosse, arme des premiers chasseurs-cueilleurs. On retrouve également des représentations de haches et d’animaux : caprin et bovin avec des cornes en forme de crosse.

Une civilisation tournée vers la mer

Autres dessins emblématiques : les arcs concentriques, qui rappellent immanquablement les mouvements de l’eau. Les fluctuations maritimes étaient particulièrement importantes au cinquième millénaire, comme en témoigne la géographe Agnès Baltzer : « On sait qu’on a eu de grosses périodes de tempêtes enregistrées dans tout l’Atlantique Nord, avec une avancée sensible du niveau marin. » Les alignements immergés retrouvés dans la baie de Quiberon en sont la preuve. Pour Serge Cassen, « une grande part de ces arcs radiés peuvent renvoyer à l’élément marin. Mais d’autres s’organisent en doubles arcs radiés, et là je pense plutôt que c’est la représentation d’un phénomène atmosphérique : celui de l’arc-en-ciel, l’élément par excellence de la médiation ». Celle du passage vers un autre monde : la mer ou l’au-delà.

Les premiers conquérants de l'océan

L’archéologue travaille de concert avec l’architecte Laurent Lescop, qui lui permet d’obtenir, grâce une technologie 3D, « des points de vue impossibles, là où la caméra et l’œil humain ne peuvent pas aller ». Les représentations de la vie quotidienne laissent entrevoir un récit historié, et celles d’embarcations, la preuve de circulations maritimes. Les lames de hache en jade provenant de carrières situées à plus de mille kilomètres de là démontrent l’existence de réseaux d’échanges commerciaux bien plus étendus qu’on peut l’imaginer. D’autres, transformées en Bretagne et retrouvées en Galice, ouvrent « l’hypothèse d’une voie maritime directe entre les hommes du néolithique breton et ceux du nord-ouest de la péninsule Ibérique ».

Grâce à Serge Cassen, le grand menhir a finalement dévoilé l’importance de la mer pour les hommes qui l’ont sculpté. L’interprétation par l’archéologue de la hache-charrue, figure dominante longtemps demeurée mystérieuse, ouvre de nouvelles perspectives : elle représenterait un cachalot, comme le symbole d’une société tournée vers l’océan…

Anne-Laure Fournier