yam quand l'igname raconte les hommes

Yam quand l'igname raconte les hommes

Documentaire - Itinéraires - Mardi 12 juillet 2016 à 20h00 - NC 1ère

"Yam: Quand l'igname raconte les Hommes" est le premier film documentaire du Réseau de télévisions de la Mélanésie. Ce réseau  a été initié à Maré en juillet 2014 par les directeurs des chaînes de télévision des différents pays de la Mélanésie.

Dans ce film, l’igname raconte… Elle nous parle des hommes à travers sa propre histoire et laisse les hommes parler d’elle à travers leur histoire… De la Nouvelle-Calédonie, à la Papouasie Nouvelle-Guinée, en passant par les Îles Salomon et le Vanuatu, elle nous raconte les chemins coutumiers qui tissent les liens entre les peuples de la Mélanésie. Elle nous parle d’hier, d’aujourd’hui et des questionnements sur demain… Elle nous fait appréhender ce lien intrinsèque qui l’unit aux mélanésiens dans un cycle de vie qu’il faut perpétuellement renouveler…

Je suis l’Igname.

Depuis la nuit des temps, je rythme la vie des femmes et des hommes de la Mélanésie. De la Papouasie Nouvelle-Guinée aux Îles Salomon, du Vanuatu à la Nouvelle-Calédonie, les légendes et les chants racontent les chemins que j’ai empruntés.

Je suis l’Igname.

Comme l’homme, je passe neuf mois dans la ventre de ma mère, dans les profondeurs de la terre, avant de voir le jour.

Je suis le jumeau de l’Homme.

Je me nourris de sa sueur et il se nourrit de ma chair.

Ensemble, nous perpétuons le cycle de la vie. 

L'union fait la force. NC 1ère collabore une fois de plus avec les deux réalisatrices Dominique Roberjot et Christine Della-Maggiora de Latitude 21 Pacific. Une coopération collégiale dont le fruit "Yam, quand l'igname raconte les hommes" est le projet pilote du premier film documentaire d'un nouveau Réseau de télévisions. Explications...

  • Comment est né le projet du film ?

Le projet de ce film documentaire est né suite à la création du Réseau de Télévisions de la Mélanésie en 2014 à Maré. Les directeurs des chaînes de télévisions de la région de la Mélanésie s’étaient alors réunis à l’occasion du FIFO Hors les Murs et avaient évoqué leur désir de développer des projets communs en termes de production et de diffusion. Dans le cadre du film documentaire, ils avaient besoin d’un projet pilote afin de tester la faisabilité d’un tel projet et de poser la première pierre de ce nouveau Réseau de Télévisions par une coproduction.

Les sujets qui font miroir entre les pays de la Mélanésie sont nombreux, que ce soit dans le domaine économique, social, environnemental, culturel etc…. Toutefois, l’igname s’est immédiatement imposée comme étant « LE » sujet à traiter… En effet, l’igname est le socle commun des identités mélanésiennes. Elle tisse les liens entre les clans, entre les îles. C’est, comme l’a formulé Monsieur Wallès Kotra, « la racine qui voyage ». Aussi, faire un film sur l’igname est une manière symbolique d’attacher ces premiers liens que le Réseau de Télévisions de la Mélanésie a voulu tisser. C’est aussi le symbole du début d’un nouveau cycle… Un cycle de création et de diffusion commune à travers la Mélanésie en terme audiovisuel…

Avec Dominique, nous pensons que l’on construit sa réalité et que nous sommes tous des faiseurs de rêves. Alors, lorsque Monsieur Wallès Kotra nous a parlé de ce projet… De ce rêve de partage des savoirs, nous sommes montées dans sa pirogue… Nous avons relevé le défi, même si au départ, nous ne savions pas comment aborder un sujet si vaste tant dans sa dimension coutumière, spirituelle, et symbolique, que dans sa dimension géographique. Il a fallu qu’on réfléchisse à un angle d’écriture pour tisser du lien et raconter une histoire.

  • Pourquoi avoir fait parler l’igname ?

Très souvent et tout particulièrement dans les sociétés occidentales, l’Homme porte un regard sur le monde comme s’il était le seul à voir et ressentir le monde. De là viennent d’ailleurs toutes les problématiques environnementales que nous rencontrons aujourd’hui et ce déni de notre planète avec laquelle nous avons arrêté de communiquer pour lui imposer notre vision du monde.

Dans de nombreuses sociétés à travers le monde, il existe une réelle communication entre les Hommes et le monde végétal. Ces plantes qui parlent aux Hommes sont appelées « les plantes maîtresses » en Amazonie. Ce sont des plantes qui ont une dimension sacrée et qui accompagnent l’Homme tout au long de sa vie. Ici, dans le Pacifique, il existe plusieurs plantes maîtresses comme le Kava et l’igname. Alors dans ce film, nous avons voulu donner la parole à l’igname. Nous avons décidé, en terme de réalisation, de poser ce regard en nous posant la question : que dirait l’igname de l’Homme Mélanésien si elle pouvait s’exprimer avec des mots. Lorsque nous avons discuté de cette proposition avec les personnes que nous avons filmées, elles ont trouvé cela naturel… En Papouasie Nouvelle-Guinée par exemple, les hommes parlent à l’igname. Aux îles Salomon, ils la considèrent comme un enfant… Ici, en Nouvelle-Calédonie, nous avons retenu cette phrase de Jean-Marie Tjibaou : « L’igname est le jumeau de l’Homme »…  Alors, si nous les humains savions ouvrir notre cœur plutôt que nos oreilles pour écouter les plantes, peut-être pourrions-nous communiquer et restaurer des liens qui se perdent au fil des décennies. C’est ce lien que nous avons essayé de tisser et de mettre en lumière dans l’écriture filmique...

  •  Qui sont les membres du Réseau de Télévisions de la Mélanésie ?

Les membres du Réseau de Télévisions de la Mélanésie sont les chaînes de télévisions de la Mélanésie, ce qui inclue le Vanuatu, la Papouasie Nouvelle-Guinée, les Îles Salomon, la Nouvelle-Calédonie et Fidji.

Pour ce premier film, nous avons travaillé avec la SRTV du Vanuatu, Kundu TV de Papouasie Nouvelle-Guinée, One News Limited des Îles Salomon et NC1ère pour la Nouvelle-Calédonie.

  • Comment s’organise un film entre 4 pays ?

Ce film a demandé beaucoup de travail en amont. C’est un film qui a nécessité un budget important car il a demandé de nombreux déplacements et beaucoup de temps. La difficulté quand on travaille sur la zone mélanésienne est que les pays concernés ont des ressources économiques très différentes. Aussi, réunir les fonds pour la production a été un véritable challenge. La Nouvelle-Calédonie a pris à cœur le projet et sans les financements calédoniens, ce film n’aurait jamais pu voir le jour. Nous voulons tout particulièrement remercier le Gouvernement, son Service de Coopération Régionale et la Province Sud qui ont vraiment permis à ce projet pilote de prendre son envol. Nous avons également été soutenues par la Province Nord, la Province des Îles et la Maison de la Nouvelle-Calédonie.

Dans les pays concernés par le film, nous avons signé des accords de coproduction avec les chaînes locales. Cela s’est traduit par de l’aide en industrie, comme nous fournir un preneur de son ou bien couvrir certains frais de déplacement ou de logement durant les tournages. Les services culturels des différents pays ont également pris le projet à cœur et nous ont facilité les droits de tournage dans les différents pays et lieux. Ils ont également été très actifs dans la préparation des tournages en établissant les premiers contacts pour préparer notre venue avec les villages concernés pas les tournages.

  •  Que retenez vous du tournage ?

Tant de choses… D’abord l’immense implication des personnes que nous avons filmées dans chaque pays et qui ont vraiment pris à cœur le projet car ils étaient enchantés qu’un film parle de la valeur de l’igname. On sentait d’un pays à l’autre que la connexion était là… Les personnes nous menaient dans les champs ou bien dans leurs cérémonies traditionnelles avec toujours en tête l’idée que d’autres mélanésiens, d’autres pays allaient voir leur manière de vivre avec l’igname.

Nous avons beaucoup appris sur la valeur sacrée de l’igname. Ce travail  a été très chargé émotionnellement car les gens nous ont fait confiance et nous ont ouvert leur cœur. L’igname, ce n’est pas juste un tubercule… Par moment, nous avions le sentiment que c’était plus une bible ancestrale…Chaque pays la lit à sa manière mais les lois sacrées sont les même : l’amour, le partage, la paix… C’est vraiment une magnifique plante maîtresse.

On retient aussi les galères. À Santa Catalina, nous étions en période de disette. Pendant 3 semaines, nous n’avons pu nous nourrir que de lait de coco et de riz blanc (les ignames étaient préservées pour les coutumes). Du coup, on manquait d’énergie pour les tournages. Heureusement on a pris le carburant local : « la bettle nut » !

On retient aussi des grands moments d’émotion comme lorsqu’après 3 semaines dans le Sepik, le village entier est venu nous dire au revoir en pleurant. Nous avons vu la Maison des Esprits et les villageois disparaître au loin nous même les yeux pleins de larmes… Ce lien qui s’était instauré avec les habitant d’Apangai était tellement fort, c’était bouleversant. Ils nous avaient tout donné d’eux… Nous leur avions aussi tout donné de nous… Et ça grâce à l’igname.

  • D’où vient la coutume de l’igname ?

Difficile de répondre à cette question. Comment ce lien sacré s’est construit entre l’Homme et l’Igname… Bien sûr, l’igname est la nourriture de base de la Mélanésie. Mais, est-ce suffisant pour expliquer la force de ce lien...

Il y a un livre magnifique à lire : « L’intelligence dans la nature : En quête du savoir » de Jeremy Narby. Dans ce livre Jeremy Narby écoute aussi la parole des plantes et émet une hypothèse fort intéressante. L’Homme depuis la nuit des temps utilise les plantes pour survivre… Mais peut être n’a t-il pas conscience que les plantes ont également leur stratégies de survie et qu’elles utilisent l’Homme pour survivre et se répandre dans le monde…

L’homme et l’igname ont scellé leur destin en Mélanésie. Ils ont voyagé ensemble sur les pirogues, d’îles en îles… Ils ont peuplé ensemble le Pacifique… Certains disent que cette histoire commune aurait commencé en Papouasie Nouvelle-Guinée… Les chemins de l’igname sont un peu comme les chemins du Temps du Rêve des Aborigènes… Ils se croisent… Ils sont complexes… C’est ce qui fait toute leur magie.

  • Les peuples de la Mélanésie ont-ils tous le même rapport avec l’igname ?

On peut dire que les principes sont les mêmes. L’amour, le respect de la terre, la paix entre les Hommes, le lien, le sacré…

Nous disions tout à l’heure que l’igname nous faisait penser quelque part à une bible… En effet, il y a les principes fondamentaux, et puis ensuite, les Hommes ont instauré leurs propres règles d’un pays à l’autre pour suivre ces principes.

Par exemple, ce qui nous a interpellées, nous, en tant que femmes, c’est que dans la plupart des pays, les femmes n’ont pas le droit de récolter les ignames, ce sont les hommes qui ont cette tache. Pourtant, aux Îles Salomon, la donne s’inverse… Seules les femmes peuvent récolter l’igname, les hommes peuvent la consommer mais ne doivent pas la récolter.  Nous trouvons cela magnifique car cela montre que ce sont les Hommes qui ont, dans leur structuration sociale, posé leurs propres règles… Mais l’igname elle n’a pas de sexe…

Cette notion de différentiation des sexes dans le rapport à l’igname est d’ailleurs fort intéressante. En Papouasie Nouvelle-Guinée, l’igname Waapi représente la force de l’homme. Elle symbolise la sexualité de l’homme, elle est associée au pénis… Aux îles Salomon, elle représente la force créatrice des femmes. Elle est associée au vagin. C’est là toute la force de l’igname. Comme de nombreuses divinités, elle a dépassé la dualité Homme/femme. Elle est le masculin et le féminin unifié… D’où sa dimension sacrée.

  • La tradition se perpétue-t-elle encore aujourd’hui ?

La tradition se perpétue, mais elle doit combattre sans arrêt un mouvement du monde qui tend vers une pensée unifiée. Aujourd’hui tout le monde doit manger pareil, prier pareil, penser pareil… C’est le rouleau compresseur de la mondialisation. L’igname a d’abord été attaquée par les religions. En Papouasie Nouvelle-Guinée, entre les années 70 et 2 000 des dizaines de Maison des Esprits ont été incendiées par des extrémistes religieux.

Et puis il y a l’arrivée de produits comme le riz, les nouilles chinoises qui ont porté un coup terrible à l’igname.. Les gens en parlent dans le film.

Il y a une véritable nécessité pour les peuples de la Mélanésie de rester dans le mouvement du monde, d’avancer avec le reste de l’humanité tout en préservant l’igname et ses valeurs. C’est un immense défi.

  • Le film va lui aussi voyager…

Oui, l’igname va monter dans sa pirogue et traverser les mers. Dans le cadre du Réseau de Télévisions de la Mélanésie, nous avons produit une version française et une version anglaise du film. Dans un premier temps, il y a l’idée de la restitution. Le film sera diffusé sur les chaînes du Réseau de Télévisions de la Mélanésie et sera donc vu en Papouasie Nouvelle-Guinée, au Vanuatu, à Fidji… Ensuite nous espérons qu’il pourra voyager encore plus loin à travers d’autres diffuseurs. Il est déjà programmé sur France Ô pour le mois de septembre. Et puis il y a les Festivals et l’exposition YAM qui va elle aussi voyager et sera un espace de plus pour la diffusion du film dans des lieux culturels.

 

Yam quand l'igname raconte les hommes

Dominique Roberjot et Christine Della-Maggiora sont les deux fondatrices de la maison Latitude 21 Pacific. Elles travaillent depuis 15 ans avec les Peuples Premiers d’Afrique, du Pacifique et d’Amérique Latine pour donner la parole aux communautés isolées et parler de la diversité culturelle. C’est en organisant l’exposition «rencontres sur la même latitude» qu’elles se rencontrent. Cette exposition itinérante a été présentée dans les écoles, villages, centres culturels de nombreuses communautés autochtones à travers le monde et à l’UNESCO au Paraguay.  Elles se lancent  dans la réalisation en 2003 d’abord dans le cadre de leur association «Dekomane» (en nengone «il n’y a pas d’argent», puis avec leur société de production Latitude 21 Pacific. A ce jour une dizaine de collaborations, ont déjà été réalisées avec les 1ère et France Ô.