Des Bushmen en Europe

« Vous vous souvenez du temps où nous chassions et la loi n’existait pas encore ? Les girafes et les koudous venaient près de nos huttes… » « Oui, et les parents nous faisaient taire, sinon la nourriture partait, s’envolait. » En ramassant des baies près de leur village dans le désert du Kalahari où ils ont grandi, Kxore et ses amis se rappellent avec nostalgie d’une époque définitivement révolue. Depuis que le gouvernement namibien leur a interdit de tuer les animaux sauvages, les Ju/’hoansi, peuple de chasseurs-cueilleurs, ont dû renoncer à leur mode de vie ancestral. Pour survivre, ils se tournent de plus en plus vers les touristes, qu’ils accueillent avec une fatalité non feinte. Comme le dit une jeune femme : « On fait de l’artisanat que les gens achètent, pour gagner un peu d’argent. Dans le temps, tout était gratuit, nous mangions de la viande, on pouvait faire ce qu’on voulait. Maintenant, tout a changé. » Partageant le même avis, /Uisa ajoute : « C’est le seul moyen d’avoir un peu de nourriture pour les enfants. » Alors, face à l’afflux régulier d’étrangers en quête d’exotisme, les Ju/’hoansi se prêtent au jeu, dansent, chantent, montrent comment faire du feu ou chasser avec un arc. Aussi curieux que leurs nombreux visiteurs, ils se gaussent du manque d’adresse de ces hommes blancs qu’ils prenaient au départ pour des fantômes et s’interrogent sur leur « monde bizarre ». L’occasion de connaître la lointaine Europe se présente six mois plus tard. Une fondation allemande invite quatre membres de la tribu dans le cadre d’un projet éducatif. Au cours de leur voyage, qui les emmène également en Italie et au Danemark, !Gao, Chau, /Xoan et Tci!xo vont découvrir une société aux antipodes de la leur, qu’ils jugent avec pertinence et humour.

Beatriz Loiseau

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EXTRAITS

• « Je pense que c’est bien pour moi d’aller en Europe. Je peux peut-être devenir riche, et après revenir vers ma famille. »
  (Dans le métro) « Les gens ne se connaissent pas, sont trop nombreux, tous étrangers. C’est totalement différent de chez nous. »
  (À Francfort) « Comment les gens peuvent-il imaginer construire de telles choses ? L’Allemagne, c’est trop grand pour nous. » /Xoan

• « J’ai vu des Blancs assis par terre dans la rue, mendiant. Les Blancs peuvent aussi être pauvres. C’est une nouveauté pour nous. »
  « Leurs villes ne sont pas bonnes pour moi, il y a trop de véhicules et de gens partout. Je suis content d’être venu pour voir à quoi ça ressemble, mais je ne veux pas rester ici. J’appartiens au bush, à un espace ouvert où je peux marcher librement, sans me heurter à quelqu’un… Dans notre culture, c’est bien d’être silencieux et calme. »
  « Ces gens sont étranges, difficiles à comprendre. Tout le monde à des plans, des idées et des désirs différents ; un jour, ils ont une chose en tête, le lendemain une autre ; ils veulent tout. Cette société me semble totalement folle. » Chau

• « Ils sont fous, les Blancs. Ils veulent trop de choses et travaillent trop. Ils semblent ne jamais dormir. Ils rentrent à la maison, ils sont fatigués, mais ne se reposent pas. […] C’est pour ça qu’ils ont besoin de se reposer quand ils viennent en Namibie. Dans le bush, ils ne veulent pas de bruit, parce qu’ici il y en a trop tout le temps. »
  « Tant de magasins, mais pour quoi faire ? Quand l’électricité s’arrête ici, tout s’arrête. Cet endroit est vraiment bizarre, si notre peuple pouvait voir ça… » !Gao

• « Je pensais qu’on pourrait rapporter quelque chose à la maison de sympa, pour aider nos familles. Notre peuple va nous demander pourquoi on n’a pas pris un peu de la richesse de l’Europe pour eux. Sans argent, on ne peut rien faire ici ; même pour aller aux toilettes, il faut payer. »
  « Je suis très contente que les jeunes apprennent avec moi. Ils regardent attentivement, et après ils essayent de faire seuls. Je suis très fière que l’école nous ait invités pour travailler avec les élèves. » Tci!xo