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Apocalypse Verdun

Série documentaire - Inédit - Dimanche 21 février 2016 à 20.55

À partir d'un fonds de plus de 500 heures d'archives restaurées et mises en couleurs, Apocalypse Verdun offre une plongée terrible de 90 minutes au cœur d'une des plus grandes batailles de tous les temps. Entretien avec les auteurs-réalisateurs Isabelle Clarke et Daniel Costelle.

Après Apocalypse la 1ère Guerre Mondiale, puis Apocalypse Staline, vous voilà donc de retour en 14-18...
Isabelle Clarke :
J’y reviens pour la seconde fois. Mais, pour Daniel, figurez-vous que c’est la troisième...
Daniel Costelle : Privilège de l’âge, hasard de la vie... Il faut que je vous raconte cela. En 1965, le général de Gaulle a demandé à l’ORTF de préparer pour le cinquantenaire de Verdun, l’année suivante, un documentaire commémorant la bataille où il avait lui-même été blessé. Jean-Louis Guillaud, malheureusement décédé il y a quelques semaines, et Henri de Turenne ont été chargés d’écrire ce film... et m’ont demandé de le réaliser.

C’est extraordinaire. Vous faites donc partie de ceux qui ont travaillé à la fois sur la commémoration du cinquantenaire et sur celle du centenaire de Verdun. Qu’est-ce qui a changé dans la manière d’envisager le récit de cet événement ?
D.C. :
Il y a cinquante ans, la Première Guerre, et Verdun en particulier, appartenaient encore à un passé relativement proche. Le chef de l’État en était un protagoniste et les anciens combattants que nous avons interviewés étaient septuagénaires. Quand Guillaud et Turenne m’ont demandé comment j’envisageais ce film, j’ai pensé à Sergent York de Howard Hawks (j’étais cinéphile, je considérais – je considère toujours – Hawks comme un maître) où l’on voit Gary Cooper raconter au général Pershing (dans son propre rôle) ses faits d’armes sur les lieux mêmes où ils se sont déroulés. J’ai proposé ce procédé : filmer les témoins à Verdun, au mois de février, au milieu de la neige. C’est devenu le principe de la série « Les Grandes Batailles ». Dans ces films, les raccords entre passé et présent se faisaient donc par les lieux et les témoins. Avec la mort du dernier poilu, la Première Guerre est devenue un monde disparu mais qui peut être ramené à la vie grâce aux moyens modernes et à une écriture plus proche du cinéma, celle justement qu’Isabelle a imposée dans la série « Apocalypse ». Une écriture où les raccords opèrent entre les images, mises en couleurs, étalonnées, sonorisées, tandis que les témoignages sont intégrés à la narration.

Cette narration si particulière ponctuée de « Un tel dit... », « Un tel dit... »
I.C. :
C’est notre style. Il y a quelque chose d’un peu incantatoire, et en même temps une sorte de signal, un dialogue avec les témoins du passé. Mathieu Kassovitz, qui est notre voix dans « Apocalypse », dit ces « Il dit... » d’une manière très particulière qui nous a bouleversés la première fois que nous l’avons entendue. Nous avons senti que c’était exactement ce que nous recherchions. Et cela s’est affiné avec les années. Pendant l’enregistrement de Verdun, il nous a confié que c’était pour lui le plus beau film de la série.
D.C. : Cela peut paraître immodeste mais prenez-le comme une fierté d’artisans : nous revendiquons Apocalypse Verdun comme notre chef-d’œuvre.

Au moment où vous prépariez Apocalypse la 1ère Guerre Mondiale, aviez-vous prévu de consacrer un autre film à Verdun ?
I.C. :
Absolument pas. La direction des documentaires nous a commandé le film consacré à Verdun. D’ailleurs, la perspective de retourner à « nos » poilus, des personnages avec lesquels nous avions passé tant de temps, des années plus tôt, c’était comme des retrouvailles, nous en étions heureux, malgré l’aspect assez dramatique de cette histoire. Il y avait aussi un peu d’inquiétude de ma part. Je crois que je dis cela à chaque fois mais c’était particulièrement vrai. Nous consacrions 10 minutes à Verdun dans la série Apocalypse la 1ère Guerre Mondiale. Même en récupérant les images que nous avions dû écarter alors à regret (ces images d’ouverture de combattants traumatisés ou ces séquences sur l’utilisation des animaux pendant le conflit), comment bâtir un film de 90 minutes ? Kevin Accart et Mickaël Gamrasni ont rejoint l’équipe pour la réalisation de ce film et nous avons retrouvé notre directrice de recherche, Valérie Combard, nos deux fidèles monteuses de France Télévisions Sonia Roméro et Karine Bach, qui avaient une très bonne connaissance des fonds) et Frédéric Guelton, notre conseiller histoire. Nous avons fait un état des lieux et nous sommes repartis à la recherche d’archives, de manière d’autant plus efficace et rapide que nous savions plus précisément ce que nous cherchions que la première fois. Encore une fois, il y a eu des miracles et l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense (ÉCPAD) a trouvé des merveilles. Pour le reste, nous travaillons toujours de la même manière. On suit une piste, on cherche des témoins. Nous avons trouvé Clémence Martin, qui entendait les bombes de Verdun à 200 kilomètres de là. Nous voulions parler de la médecine (thème un peu sacrifié dans la série), cela nous a amenés au docteur Nicole Mangin, première femme médecin aux armées, etc. Retrouver des témoins, retrouver des visages, incarner, ramener à la vie. Les ayants droit d’Émile Driant nous ont même confié des photographies inédites. Et jusqu’à ce très émouvant chant des morts de l’armée impériale, à la fin du film, chanté par Paul Ettighoffer lui-même et recueilli par Daniel il y a 50 ans.

Résumons : la bataille de Verdun est une offensive allemande censée débloquer une guerre qui s’enlise et y mettre un terme rapide et victorieux. Ce ne sera pas le cas. Que représente alors cette bataille ?
D.C. :
Toutes les batailles de la Première Guerre ont été envisagées comme des batailles décisives, Le Chemin des Dames, l’Artois, etc. Aucune ne l’a été parce que les mêmes causes provoquent les mêmes effets. Vous balancez l’artillerie en pensant qu’il n’y aura plus personne, et ça ne marche pas. Le front, à Verdun, fait 20 kilomètres au maximum, le bois des Caures est grand comme le siège de France Télévisions. Un million d’obus dès le premier jour, imaginez ! Eh bien, il reste des soldats vivants ! C’est un condensé de l’horreur de 14-18. De la même façon que nous avons essayé de montrer dans notre série précédente que le goulag est l’image en miniature de cette grande prison qu’est l’URSS, je crois que Verdun est le concentré, l’expression, le résumé de cette prodigieuse, épouvantable et absurde histoire qu’est la Première Guerre mondiale.
I.C. : C’est une bataille décisive tout de même sur un point : c’est un virage dans le déroulement du conflit, l’entrée dans la guerre industrielle, dans la guerre totale. C’est un paroxysme – la guerre avale tout, hommes, usines, économies – et c’est le point névralgique de la France pendant des mois : il faut tenir là, sinon tout craquera. Comme Stalingrad pendant la Seconde Guerre. Alors, que représente Verdun ? Un symbole, après coup. Et un symbole ambigu. À la fois de l’horreur absolue et de la résistance d’une nation. C’est une victoire française (sans aide extérieure), peut-être la dernière grande victoire, et la démonstration de l’unité d’un peuple. C’est l’idée du « tourniquet » développée par Philippe Pétain : tous les régiments passeront par là, et il sera difficile, après la guerre, de trouver un ancien combattant qui ne soit pas « monté » à Verdun. C’est une décimation monstrueuse. Mais aussi l’esprit des soldats de l’an II et la fraternité.

Peut-être est-ce à cause de ce symbole national, en tout cas on sent chez vous moins d’accents, disons un peu rapidement antimilitaristes que dans la série Apocalypse la 1ère Guerre mondiale...
D.C. :
Je ne me définis pas comme antimilitariste, quoiqu’on ait pu parfois me le reprocher. Les armes ne tirent pas toutes seules et les guerres sont rarement décidées par les militaires. Je suis beaucoup plus choqué par l’attitude des hommes politiques à la veille et pendant la guerre. Quand il y avait, après quelques mois de conflit, des centaines de milliers de morts, il fallait arrêter ça, trouver une solution diplomatique. L’Alsace et la Lorraine méritaient-elle que deux millions de jeunes gens soient tués ?
I.C. : Mais l’objet de ce film n’était pas de refaire le procès des hommes politiques européens et des états-majors parfois bornés, nous l’avons déjà fait dans la série. Il était plus simplement de mêler l’évocation du terrain conquis ou repris à des témoignages, à la profondeur de l’expérience humaine dans chaque camp. Et à travers cela, bien évidemment, de rendre hommage à ces combattants, des deux côtés des tranchées. De prendre le temps de montrer leurs visages (et merci encore à la chaîne de nous avoir donné ce temps). Ces jeunes gens qui sourient à la caméra, qui chahutent, qui sont solidaires, qui sont timides ou gauches (c’est nouveau, le procédé cinématographique). Bien sûr que ces images n’ont pas été faites pour rien, qu’elles servent la propagande, qu’ils n’ont pas tellement le choix de ce qu’ils peuvent montrer. Mais il y a une vérité qui passe, qui nous touche, une humanité que cette guerre inhumaine ne leur a pas enlevée, même quand elle les a tués.
D.C. : C’est la clé de ce film. Je dois avouer qu’au mixage, alors que j’avais déjà vu ces images des dizaines de fois, j’ai éprouvé un sentiment extraordinaire de proximité et d’empathie : ces jeunes hommes, ces gamins, parfois, ces morts en sursis, j’ai tremblé pour eux, cent ans après...

Propos recueillis par Christophe Kechroud Gibassier

APOCALYPSE

Février 1916. La Première Guerre mondiale dure depuis deux ans. Elle a déjà fait plus de 3 millions de morts. Et pourtant, aucun des belligérants ne parvient à prendre l’ascendant sur l’autre. 
À partir d’un fonds de plus de 500 heures d’archives restaurées et mises en couleurs, Apocalypse Verdun, d’Isabelle Clarke et Daniel Costelle, nous offre une plongée terrible de 90 minutes au coeur d’une des plus grandes batailles de tous les temps. 

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90 min
Écrit et réalisé par Isabelle Clarke et Daniel Costelle
Avec la voix de Mathieu Kassovitz
Produit par Louis Vaudeville
Une coproduction CC&C Clarke Costelle et Cie et ECPAD
Avec la participation de France Télévisions, la RTBF, Planète + et TV5 Québec Canada
Avec le soutien du CNC, de la Région Lorraine, du département de la Meuse, de la Fondation Carac, de la Ville de Verdun et de la Mission du Centenaire de la Première Guerre mondiale
Unité de programmes documentaires de France 2 : Fabrice Puchault et Barbara Hurel

La rédaction se mobilise pour une spéciale Apocalypse Verdun, présentée par Marie Drucker, dont le plateau sera installé dans la nef de l’ossuaire de Douaumont. Pourquoi la bataille de Verdun est-elle LA bataille de la Grande Guerre ? Qu’en reste-t-il dans les têtes et les cœurs, des deux côtés du Rhin et sur le terrain ? Au programme : reportages, réalité augmentée, débat en compagnie d’historiens et de passionnés. Également, en invité, le réalisateur Volker Schlöndorf, qui mettra en scène la grande cérémonie franco-allemande du 29 mai prochain.

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