Enfin un film sans tabou sur l’obésité. Les réalisateurs ont fait le choix d’appeler un gros, un gros. Entouré de plusieurs médecins spécialistes, le film explique l’origine de l’obésité en Polynésie et les différents fléaux qui accentuent cette maladie. A travers différents portraits de calédoniens et de polynésiens, immersion dans le monde des gros.
L'obésité est partout ou presque dans les îles du Pacifique. Le Dr Viliami Puloka, à la tête du Healty Pacific Lifestyle du Secrétariat général de la Communauté du Pacifique Sud, que nous avons rencontré pour préparer ce film et auquel nous demandions quels pays étaient intéressants à filmer pour ce sujet, nous a répondu : «Prenez une pièce de monnaie, lancez-la au-dessus d’une carte du Pacifique et là où elle retombera vous pouvez tourner. L’obésité s’est répandue sur toutes nos îles. » Avec une moyenne de 50 % de sa population en surpoids, beaucoup choisissent d'en rire, le sujet n'est pas tabou. Pourtant, il est difficile de comprendre les causes qui donnent à ces petits pays isolés de si tristes records. Avec ce documentaire, nous avons décidé d'abord de comprendre pourquoi, entre le moment où arrivent les premiers navigateurs et aujourd'hui, le physique des Océaniens a tant évolué. En cela, fidèles à notre ligne éditoriale, nous nous attacherons à « revisiter » le cliché de la vahiné, qui est aujourd’hui loin des réalités océaniennes.
Parmi les peuples du Pacifique, l’ethnie polynésienne remporte la palme. En Polynésie française 40,4 % de la population est obèse, à Wallis-et-Futuna, 59,2 % de la population serait en surcharge pondérale. Les Samoans américains, détenteurs du record mondial d’obésité, seraient, eux, 94 %. Tahiti détient un taux d’obésité infantile parmi les plus élevés du monde : 34 % des enfants âgés de 5 à 14 ans sont obèses. Les peuples de Micronésie ou de Mélanésie n’échappent pas à la tendance. En Nouvelle-Calédonie par exemple, 26, 5% de la population est obèse et 51 % est en surpoids…
Le Pacifique est encore une des seules régions au monde où les personnes en surpoids ne sont pas stigmatisées par la société. Etre gros est devenu banal. Certains et notamment les Polynésiens, ont une vision positive de la personne en surcharge pondérale…
un film écrit par
NATHALIE DARRICAU
SILVY DESCHAMPS
produit par
CATHERINE MARCONNET
réalisé par
LAURENT JACQUEMIN
DENIS PINSON
Durée :
52 minutes
Histoire et morphologie
A l’origine, les peuples océaniens sont loin d’être gros. Les Polynésiens, grands voyageurs, formaient une population solide, résistante, de forte constitution, mais les individus n’étaient pas gros.
Pourtant, « Big is beautiful… » Les navigateurs nous ont rapporté que sur toute la Polynésie, les fortes et très fortes corpulences étaient très appréciées et recherchées car signe de puissance. Mais il s’agissait souvent des chefs et de leur famille. Les festins communautaires dont ont pu témoigner les premiers Européens étaient pantagruéliques. Ces festins étaient organisés par les chefs et leur famille, la surabondance alimentaire lors de ces repas exceptionnels positionnait le chef, c’était la démonstration de sa prospérité et de son pouvoir. « Il fallait manger et plus encore » ! En dehors des périodes d’abondance, le quotidien alimentaire de la communauté était d’une grande uniformité voire monotonie, ce qui n’empêchait pas les individus d’ingurgiter de grosses portions de nourriture, tubercules, uru, bananes. A Tahiti, il existait un véritable principe d’engraissement le « Ha’apori ». Des jeunes filles et femmes de sang royal, ainsi que certains aînés, étaient engraissés à l’ombre, pendant plusieurs mois et tout mouvement était proscrit. A la sortie, ils représentaient par leur morphologie toute l’opulence et la puissance du chef. Chez les « Arioi », une élite qui honorait le culte de l’abondance, de la sexualité et de la fertilité, un principe d’engraissage volontaire était nécessaire pour entrer dans la confrérie.
La théorie du gène de l’épargne
Depuis quelques années, l’hypothèse d’un facteur génétique, le « gène de l’épargne », est avancé comme un des facteurs expliquant la pandémie de l’obésité dans le Pacifique. Cette théorie n’est pas récente, elle a été développée par le généticien James Neel en 1962. Elle argue du fait que les longs voyages, les famines répétées, les épisodes climatiques violents et l’isolement des insulaires ont favorisé la sélection des hommes dont le métabolisme était économe en énergie, voire apte à stocker. Ce génotype transmis de génération en génération serait aujourd’hui un désavantage pour les Océaniens vivant désormais selon un mode vie occidentalisé.
Une théorie bien confortable, répondent ses détracteurs, qui permet surtout au monde politique de se déresponsabiliser en ne prenant pas de mesures… souvent impopulaires.
Sleeve or not sleeve ?
Certains pays en sont arrivés à des méthodes draconiennes pour stopper l’obésité. En Nouvelle-Calédonie, la sleeve, opération chirurgicale qui réduit la capacité gastrique d’environ 2/3 est couramment pratiquée, c’est 4 fois plus qu’en métropole ! Pour certaines professions médicales confrontées au fléau de l’obésité, le remboursement par la Cafat est incompréhensible. Surtout si l’on considère que les consultations chez un diététicien ne le sont pas.
Manger bien, c’est manger beaucoup
Pour beaucoup de Tahitiens et notamment dans les catégories sociales les plus démunies, bien manger, c’est manger tant qu’il y a à manger. Cette façon de procéder (« je mange beaucoup... parce que ça va finir ») rappelle l’expression samoane « Le polo e naea mea mata » (« Mange tant que tu vois la nourriture ») : c’est la disponibilité en aliment qui guide le mangeur. Et quand la disponibilité est régulière, « Je mange tant qu’il y’en a »… À Tahi, en matière alimentaire, bien manger signifie manger beaucoup et réciproquement : c’est le volume ingéré, ressentir la sensationon de répétition, l’impression physique de plaisir que procure la sa été d’un estomac bien rempli, qui guident le mode d’alimentation.
En Polynésie comme en Mélanésie, il paraît difficile – sous peine d’isolement social - de ne pas se rendre aux fêtes de famille, mariages coutumiers ou aux deuils, où traditionnellement la nourriture est abondante et où les rassemblements durent plusieurs jours d’affilée.
Différence de taille : les périodes d’abondance n’alternent plus avec des périodes de disette longtemps imposées par le rythme des saisons comme ce fut le cas traditionnellement dans les Etats insulaires du Pacifique. Désormais se rajoutent aux plats traditionnels, les sodas et autres produits importés qui sont devenus la base de l’alimentation.
Le coût de l’obésité
Plus la courbe de l’obésité augmente, plus les maladies associées dites maladies non transmissibles sont en hausse. Quatre principaux types de MNT sont répertoriés : les accidents cardiovasculaires, les cancers, les maladies respiratoires chroniques et le diabète. Selon l’OMS, trois décès sur quatre sont imputables aux maladies non transmissibles en Océanie.
Cette situation se traduit par une charge croissante pour les services de santé de chaque pays : des fins de vies lentes, douloureuses, prématurées… et onéreuses. Les conséquences économiques sont considérables pour les Etats, les conséquences sociales aussi. Les incidences des MNT compromettent le potentiel économique des pays de la région en raison de leur influence sur les quatre grands moteurs de l’économie : la disponibilité de la main d’œuvre, la productivité, l’investissement et l’éducation.