Pas toujours facile d’être un enfant aux États-Unis ! Dans la première puissance mondiale, des milliers de mineurs sont, chaque année, échangés sur le Net comme de vulgaires marchandises. Ou initiés aux armes par leurs parents. Plongée dans l’Amérique de tous les excès avec deux documentaires inédits.
De prime abord, on se croirait devant l’un de ces innombrables et pathétiques défilés d’enfants dont les Américains sont si friands. À l’exception près que celui-ci se déroule dans une église. Très vite, on se rend compte, avec effroi, que les gamins qui se déhanchent sur le tapis, maquillés et habillés pour l’occasion, s’efforcent de se montrer sous leur meilleur jour pour trouver un acquéreur. Ou plutôt un parent. À Topton, en Pennsylvanie, une association organise annuellement un événement similaire pour proposer des garçons et des filles à l’adoption. Dans la salle, des adultes choisissent parmi les candidats, qui en sont parfois à leur troisième ou quatrième famille. Aux États-Unis, on peut adopter un enfant, puis s’en « débarrasser » en publiant simplement une petite annonce sur Internet. C’est ce qu’on appelle le « rehoming », la réadoption. 25 000 mineurs, soit un quart des adoptés, en font les frais chaque année.
L’adoption low cost
Jack (son prénom a été modifié), 14 ans, est l’un d’entre eux. Abandonné à la naissance, il est accueilli, à l’âge de 8 ans, par une famille qui décide de s’en séparer quatre ans plus tard. Placé depuis dans un foyer, il revient, avec une résignation glaçante, sur son expérience : « Il y avait de la violence domestique […], mais j’aurais voulu rester et trouver une solution. Ils n’ont pas voulu. Après, j’étais détruit (car) j’ai été séparé de ma sœur, la dernière personne de mon sang avec qui j’étais en contact. Le fait qu’ils m’éjectent comme ça… J’ai touché le fond pendant longtemps. » Aujourd’hui, Jack veut croire que Tom, un enseignant célibataire venu pour le rencontrer une deuxième fois, acceptera de devenir son nouveau père.
Pour aller au bout de la réadoption, Tom doit débourser 5 000 dollars, deux fois moins que lors d’une procédure classique. Et il a même droit à une période d’essai. Malheureusement pour l’adolescent, la cohabitation ne se passe pas bien : « problème d’incompatibilité ». Six mois plus tard, il est de retour au foyer. L’histoire de Jack est celle de milliers de petits Américains.
Un ballottage indécent et traumatisant
Souvent, les annonces sont publiées par des agences reconnues par l’État qui, moyennant finances (environ 3 700 dollars), se chargent des questions administratives et juridiques. Pour être légale, une réadoption doit être validée par un juge. Il existe donc, en principe, un certain contrôle. Mais la procédure nécessite du temps et de l’argent… Alors, certains n’hésitent pas à se tourner vers des réseaux parallèles. Des sites où les échanges se font avec un simple clic. Pas d’enquêtes et pas de règles sur ce véritable marché de l’enfant d’occasion.
Nita, 19 ans, connaît bien le système : « Cinq fois, j’ai été donnée à d’autres. Chacune de ces expériences a été terrible ; j’avais peur, pas la moindre idée d’où j’allais atterrir, ni dans quelle ville. J’étais envoyée comme ça chez n’importe qui comme un colis par la poste. » À chaque incident, Nita retourne chez ses parents légaux : ceux qui l’ont adoptée dans un orphelinat à Haïti. Dans sa dernière famille d’accueil, la jeune fille doit soutenir ses nouvelles sœurs, agressées sexuellement par leur père adoptif. Sommée de se taire par la mère, elle finira par les dénoncer à la police, presque malgré elle : « J’avais connu tellement d’endroits qu’étrangement je ne voulais pas partir […], mais je ne supportais plus la situation. » Aujourd’hui majeure, Nita a malgré tout pardonné à ceux qu’elle considère toujours comme ses parents.
Une issue parfois heureuse
Heureusement, la réadoption permet parfois de former une vraie famille. À l’instar de celle de Megan, qui reflète à elle seule le paradoxe du système. Il y a onze ans, la jeune Américaine répond à une annonce sur le Web et accueille un petit Chinois rejeté par sa mère adoptive en raison de ses « grandes oreilles ». Pour en aider d’autres à connaître le même bonheur, Megan rejoint un groupe de discussion, où elle joue rapidement les intermédiaires. En 2007, le service des fraudes sur Internet l’alerte sur le profil inquiétant d’une participante à qui elle a confié une fillette quinze jours auparavant. Bouleversés, Megan et son mari traversent le pays pour aller la récupérer. La petite, qu’ils sortent de l’enfer, est devenue leur fille, Poppy. La jolie adolescente de 16 ans a tenu à témoigner lors du procès de ses ex-parents pour agression sexuelle sur mineur. « Ils ne feront plus de mal à des enfants, je me sens soulagée… »
Beatriz Loiseau
Documentaire
Durée 52 min
Réalisation Sophie Przychodny
Production Babel Doc, avec la participation de France Télévisions
Année 2016
#LMEF