Accès à l’emploi, marché de l’immobilier, retraite… D’un côté, la génération des baby-boomers, de l’autre la génération Y. L’une aura connu tous les avantages, l’autre héritera de toutes les difficultés. L’Angle éco rejoue le conflit des générations dans un numéro qui résonne avec l’actualité et éclaire notre société. Explications de François Lenglet.
Pourquoi s’intéresser, dans un magazine d’économie, à la question des générations ?
Une économie basée sur un système de redistribution des richesses suppose un arbitrage entre diverses catégories. À ce titre, les générations représentent une catégorie d’étude – un « angle éco » – particulièrement éclairante pour regarder et comprendre la situation française, où la répartition est bien plus favorable aux baby-boomers qu’aux jeunes issus de ce qu’on appelle la génération Y. Les inégalités sont même très marquées. Inégalités, aujourd’hui, face à l’emploi et au logement et, demain, par rapport à la retraite. Après tout, qu’il y ait des conflits entre générations est un phénomène tout à fait classique, mais la proportion des inégalités actuelles a un impact déterminant sur notre pays, opposant une génération dorée à une génération sacrifiée.
Comment caractériser cette opposition ?
Absolument toutes les portes, à tous les âges, se sont ouvertes pour ceux nés dans les années 1940-1950. Jeunes, ils ont fait leur révolution (Mai 68), ont connu le plein emploi et ont pu acquérir un patrimoine immobilier qu’ils ont remboursé en monnaie de singe, compte tenu du taux d’inflation de l’époque. Puis, l’inflation baissant, ils ont pu faire fructifier leur patrimoine. Et maintenant qu’ils arrivent à la retraite, ils bénéficient d’un système des plus généreux, puisque toutes les réformes vont dans le sens d’un maintien de leur niveau de pension. En revanche, les jeunes d’aujourd’hui savent déjà que, à la retraite, leur niveau de vie sera bien moindre, avec une durée de cotisation en hausse et des prestations en baisse. Et tout cela après une vie marquée par le chômage, l’insécurité de l’emploi, l’élévation sans précédent du prix de l’immobilier et la baisse de l’inflation… La génération Y entre dans la vie active avec de sacrés sacs de sable sur le dos !
Comment expliquez-vous ces inégalités ?
Il ne faut pas crier au complot, mais il est sûr que la génération des baby-boomers est actuellement celle qui occupe les postes à responsabilité, qui fait les politiques, qui vote, bref, c’est la génération qui a le pouvoir. La volonté collective n’étant jamais que la somme des volontés individuelles, cette génération finit par orienter les choix de réformes et la répartition des richesses en sa faveur. Et l’on voit son ombre portée s’étendre sur l’avenir des jeunes.
Votre émission entre en résonnance avec le mouvement actuel de la jeunesse, opposé à la Loi travail…
Certes, mais c’est un sujet qui irrigue l’ensemble de nos préoccupations. Nous avions en partie abordé les inégalités entre générations dans notre numéro sur l’immobilier, intitulé « Cet immobilier qui nous ruine ». J’avais également articulé un chapitre de mon livre sur la crise de l’euro (*) autour de l’idée que cette crise avait été réglée au seul profit des rentiers, c’est-à-dire les détenteurs de patrimoine, autrement dit majoritairement les sexagénaires. Nous avons commencé à travailler sur ce sujet bien avant que ne soit mise en chantier la loi El-Khomri. Car, pour L’Angle éco, il s’agit justement de faire apparaître, sous l’actualité immédiate, les enjeux et les rapports de force qui ont une influence sur le long terme.
Le sociologue Louis Chauvel insiste sur la spécificité française des inégalités entre générations. Y a-t-il d’autres modèles dont on pourrait s’inspirer pour sortir de ce conflit ?
Au-delà du constat et des explications, le but de L’Angle éco est d’élargir le champ de vision à ce qui peut être proposé comme solutions. Par exemple le Canada est le seul pays de l’OCDE où le niveau de vie et le patrimoine des jeunes ont progressé ces dix dernières années. Nous sommes allés enquêter sur place, à la rencontre des jeunes qui portent un regard très positif sur la société.
On était habitué à vous voir commenter les courbes de l’OCDE sur le plateau de Des paroles et des actes. Depuis 2014, avec L’Angle éco, on vous découvre sous un autre jour, plus décontracté…
En fait, l’image que je renvoie là me ressemble bien plus que celle de l’homme en costume cravate intervenant quelques minutes sur un plateau. Même si j’aime mon rôle d’éditorialiste, je n’oublie pas que j’ai été, pendant vingt-cinq ans, un journaliste pour la presse écrite (L’Express, L’Expansion, La Tribune). L’Angle éco me permet de renouer avec le terrain et j’en suis ravi. Car il ne faut pas oublier que, derrière les chiffres et les courbes, l’économie est avant tout une histoire d’hommes et de femmes. D’où l’importance que nous accordons au témoignage, à la rencontre, à la parole…
Propos recueillis par Cyrille Latour
* Qui va payer la crise ?, 2012, Fayard