Sur les traces de Virginia Woolf. Écrivaine de génie, critique littéraire et éditrice, elle a fasciné ses contemporains par sa créativité d’avant-garde. Son inspiration artistique coule au rythme de ses pas dans le jardin de délices de Monk’s House. Son lieu à elle…
En 1919, l’écrivaine Virginia Woolf (1882-1941) achète, avec son mari Leonard, un petit cottage du nom de Monk’s House à Rodmell, un village situé dans le comté de Sussex, au sud de l’Angleterre. Virginia est enthousiaste et peut à loisir se consacrer à l’écriture, sa passion. « Elle va vivre une vie complètement monacale, dédiée à l’écriture. C’est donc dans cette maison qu’elle va écrire ses plus beaux livres, notamment Mrs Dalloway et La Promenade au phare », raconte sa biographe, Alexandra Lemasson.
L’inspiration créatrice
La demeure est sans prétention, très basique, emplie de toiles peintes par sa sœur, Vanessa Bell. Les conditions sont précaires mais plaisent ainsi au couple : Leonard peut assouvir sa passion pour les jardins et Virginia se reposer des tumultes de Londres. Virginia a son bureau au fond du jardin durant l’été. Chaque jour, elle s’astreint au même rituel. Elle prend son petit déjeuner, son bain… effectue sa marche matinale, importante pour la création, puis rédige le premier jet de ses romans. Plus tard dans la journée, elle tape à la machine ce qu’elle a écrit. « La sonorité des mots était très importante pour Virginia. Elle voulait toujours ressentir le son et le rythme de ce qu’elle avait écrit la veille. Elle récitait à voix haute ses textes », raconte Jonathan Zoob, ancien résident de Monk’s House. « Le rythme de la marche épouse celui de la phrase qu’elle a en tête », déclare encore Alexandra Lemasson. « Elle a besoin de marcher, de ce rythme, physique, de cette pulsation intérieure pour écrire, pour aussi parvenir à laisser le flot de la pensée la traverser », insiste Catherine Bernard, professeure de littérature anglaise.
Littérature avant-gardiste
Virginia crée sans relâche et rompt avec la tradition littéraire. « Notre travail est de voir ce que nous pouvons faire avec notre vieille langue anglaise telle qu’elle est ; comment allier les mots anciens dans un ordre nouveau afin qu’ils survivent, qu’ils créent la beauté, qu’ils disent la vérité », explique Virginia. « C’est un écrivain immense. Elle infuse la littérature, même si on ne l’a pas lue. Elle est là », déclare l'écrivaine Marie Darrieussecq.
« Écrivez ce que vous désirez écrire »
En 1917, Leonard fonde une imprimerie et une maison d’édition à l’enseigne de la Hogarth Press. Leonard et Virginia publient alors les œuvres de jeunes talents comme Katherine Mansfield. Mais aussi Freud. L’édition devient une sorte d’outil thérapeutique. Virginia peut développer sa sensibilité créatrice et s’intéresser de plus en plus au droit des femmes à créer selon leurs désirs. En 1929 paraît Un lieu à soi — chef-d’œuvre de la littérature féministe. Virginia rompt avec les codes imposés par la société et n’a que faire du qu’en-dira-t-on. Elle vit sa passion pour l’écrivaine Vita Sackville-West, rencontrée en 1922. La fascinante Vita qui devint le modèle pour le personnage androgyne d’Orlando. Innovatrice, libre dans ses choix de vie, ses amours.
« Je ne peux plus lutter »
Virginia Woolf est considérée comme l’une des plus grandes romancières du XXe siècle. Mais elle est aussi sujette à de nombreuses dépressions. Il y a la mort de sa mère en 1895, alors qu’elle avait 13 ans, et celle de sa demi-sœur, Stella, deux ans plus tard. En 1904, le décès de son père, celui de son frère Tommy. Et puis il y a aussi les attouchements de l’un de ses demi-frères, qu’elle relate dans ses Instants de vie… Et la guerre, enfin, qui vient rompre tout espoir de repos de l’âme. « L’aptitude à recevoir des chocs successifs a fait de moi un écrivain », déclare Virginia. Cette fois-ci, elle ne veut plus lutter. Elle ne trouve plus refuge dans l’écriture. « Elle avait des hauts et des bas, elle était ce que l’on appelle aujourd’hui maniaco-dépressive. Elle était parfois exaltée de manière irrationnelle, jusqu’à devenir incohérente, et elle tombait dans un coma qui pouvait durer plusieurs jours », raconte Leonard des années plus tard, en 1967. Leonard son mentor, son infirmier, son premier lecteur, son ami. L’être cher toujours là pour elle. « J’ai la certitude que je vais devenir folle à nouveau : je sens que nous ne pourrons pas supporter une fois de plus l’une de ces horribles périodes », lui écrit-elle. « Je ne peux plus lutter. » Virginia se suicide par noyade en 1941.
Françoise Jallot
Série documentaire
Durée 10 x 26 min
Auteurs Patrick Poivre d’Arvor et Isabelle Motrot
Réalisation Marie-Christine Gambart
Production A Prime Group, avec la participation de France Télévisions
Année 2017
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Les intervenants
Alexandra Lemasson, biographe de Virginia Woolf
Jonathan Zoob, ancien résident de Monk’s House
Marie Darrieussecq, écrivaine et traductrice d’Un lieu à soi en 2016
Catherine Bernard, professeure de littérature anglaise, Paris-Diderot
Extraits
• Orlando, mise en scène de Bob Wilson en 1993, avec Isabelle Huppert
• Entre les actes, 1941, lu par Larry Yates
• Entretien de Virginia Woolf à la BBC, le 29 avril 1937