À l'occasion du Salon international de l'agriculture qui se tiendra du 26 février au 6 mars à Paris, outremer.ledoc vous transporte sur les traces du café calédonien, à travers l’histoire d’Erick Goujon. Ce Calédonien de 40 ans travaille à mélanger son savoir-faire acquis à l’international à celui des anciens, afin de produire et d’exporter un café très haut de gamme.
Erick Goujon a grandi dans les cerises de café de ses grands-parents dans la vallée de Tchamba, en Nouvelle-Calédonie. Lors des événements qui secouent la Calédonie, entre 1984 et 1988, sa famille est contrainte d'abandonner sa plantation. À sa majorité, il quitte le Caillou pour faire des études et voyager à travers le monde. Mais la passion pour la culture du café ne le quitte pas. De retour en Calédonie avec une solide formation en caféiculture et en transformation de ce grain précieux, Erick Goujon décide de rallumer le flambeau de ses anciens et de créer un café d'excellence exportable – le café est la marchandise la plus échangée au monde, après le pétrole – dans des pays comme les États-Unis ou les Émirats arabes unis.
Ce documentaire inédit d'outremer.ledoc est le récit de cette véritable aventure humaine.
Un voyage chez les acteurs du café d’hier et d’aujourd’hui.
Dans ce film, Erick part à la rencontre des producteurs en brousse et en tribu, sur les traces de ceux qui ont été les acteurs majeurs d’une filière locale plébiscitée dans le monde. Il entreprend également un voyage initiatique à travers ses origines, lui qui descend à la fois de colons caféiculteurs et de cultivateurs kanaks. Le titre du film, Café calédonien, l'alchimie d'un pays, n’est d’ailleurs pas un hasard. Il se fait l’écho de ce respect des anciens, ancré dans la culture calédonienne et kanak, inhérente à l’éducation d’Erick. « Ce film, c’est aussi rendre hommage au travail des anciens, perpétuer la culture café qu’ils ont initiée tout en l’adaptant à notre société contemporaine industrialisée, connectée et mondialisée », indique Aurélie Macedo, la réalisatrice du documentaire.
« Comme moi, mon grand-père, mon arrière et mon arrière-arrière-grand-père étaient agriculteurs. J’ai grandi les mains dans la terre, les pieds dans la paille, et quelle fierté serait-ce un jour de valoriser leurs cultures, leurs terres, et de partir en quête initiatique », comme l’ambitionne Erick.
Erick Goujon pose un regard contemporain sur cette culture ancestrale qui n’a pas encore dit son dernier mot grâce à l’engagement d’une nouvelle génération de producteurs prête à prendre la relève. Car, à l’heure où l’on parle d’autosuffisance alimentaire dans le pays, en matière de fruits et de céréales, comment ne pas penser au café, l’une des denrées les plus consommées dans le monde, y compris par les Calédoniens ?
Ce film est également l’occasion d’effectuer un voyage dans l’histoire de la Calédonie à travers un angle original. De l’introduction du café sur la Grande Terre qui remonte en effet aux origines mêmes de la colonisation – beaucoup de Calédoniens ignorent que leurs ancêtres ont peut-être débarqué en Calédonie pour planter du café – au café favori de Winston Churchill qui a gagné de nombreux prix internationaux dans les années 1920 et 1930, les angles économique et agricole du café calédonien seront soulevés.
Ayant observé les désastres sur l'environnement et sur la santé humaine dus aux excès de l’agriculture moderne et de la transformation alimentaire, Erick Goujon travaille à faire revivre sur son île les produits d’exception comme le café, le cacao, la vanille ou le poivre, plantés sous ombrage d’une forêt régénératrice. Il redonne vie aux méthodes de culture naturelles basées sur le bon développement de l’écologie et des populations locales et tribales bercées par l’histoire du café depuis plus d’un siècle et demi. Nous lui avons posé trois questions.
3 questions à Erick Goujon
Quelle est l'histoire du café en Nouvelle-Calédonie ?
Erick Goujon : Le café fait partie intégrante de l’histoire et de la culture du pays.
Les premiers pieds sont arrivés dès 1856 par les pères maristes, puis vingt ans plus tard, ce sont les Réunionnais qui apportent les variétés d’exception comme les bourbons.
Les plus réputées étant le bourbon pointu, ou café Leroy, et les bourbons rouges ou jaunes.
Au début du XXe siècle, le café calédonien planté sous ombrage remporte des concours de qualité à l’échelle mondiale et atteint son pic de production en 1939 avec plus de 2 350 tonnes produites, dont 2 000 tonnes exportées au Havre, puis dans le monde.
À la fin des années 1960 (1969), c’est le boom du nickel, lors duquel un tiers de la population se tourne vers les mines, ce qui entraîne une chute drastique de la production de café : on passe à moins de 1 000 tonnes.
Une relance de cette filière sera tentée à la fin des années 1970 avec l’opération « café soleil » qui durera dix ans (1978-1988). On rase les plantations sous ombrage des forêts pour mettre en place cette politique de production intensive qui exige un apport d’eau et d’intrants important, ce qui facilite l’arrivée d’invasifs et nécessite de replanter tous les quinze ans.
Les producteurs alors mal rémunérés se retrouvent dans l’endettement et finissent par se décourager. On parle d’aberration écologique et sociale, et la production descend en dix ans aux alentours des 100 tonnes.
La production continue de chuter jusqu’à atteindre moins de 3 tonnes en 2020.
Le peu de caféries jadis plantées sous ombrages par les anciens ayant survécu à la déforestation pour la mise en place du café soleil sont toujours debout ! Elles ne demandent aucun intrant et continuent, après cinquante ans, de donner des grains de qualité qui sont prêts à être récoltés.
Aujourd’hui, le pays se relance dans l’agroforesterie et dans la rémunération plus équitable de ses producteurs de café. Les petites exploitations naturelles voient peu à peu le jour.
L’Atelier des Alchimistes s’attelle à restaurer dans un premier temps les parcelles sous ombrage mises en place par nos anciens pour petit à petit relancer de nouvelles parcelles et remettre au goût du jour cette culture quasiment perdue.
Les anciens m’expliquent souvent que le destin commun entre les populations n’a pas commencé en politique mais qu’il vient bien des plantations de caférie d’où est issu le premier métissage calédonien ; où plusieurs ethnies se sont rencontrées, mélangées et aujourd’hui continuent de marcher ensemble à l’encontre des politiques et de leurs ségrégations raciales.
Pouvez-vous nous expliquer ce qu'est « l'alchimie du café calédonien » ?
E. G. : Avec la volonté de transformer le plomb en or, l’alchimiste se base sur une analyse scientifique méticuleuse des mécanismes de la nature, afin de la comprendre et d’en obtenir le meilleur.
Il suit la théorie de la « sympathie universelle », selon laquelle la nature forme un tout bien lié et cohérent et qu'il n'existe pas mieux que bien dans l’univers. Ainsi le but de toute technique doit être la mimésis de la nature : « faire nature », pourrait-on dire.
On aime aussi comparer la torréfaction, étape clé dans la confection d’un café de haute qualité, à la société calédonienne. La torréfaction est la délicate alchimie de la formation des arômes, l’étape la plus complexe de la chaîne de transformation du café. Le travail du torréfacteur est le bon développement de chaque grain unique pour que chacun puisse révéler ses secrets. Au même titre, la société calédonienne se constitue d’un métissage magnifique qui, par l’unicité de chaque culture, de chaque connaissance, de chaque personne, arrive à apporter à l’ensemble une plus grande richesse.
Comment redynamiser cette filière en Nouvelle-Calédonie ? Ce nouvel or noir peut-il faire redémarrer l'économie de l'archipel ?
E. G. : Afin de redynamiser cette filière, un seul mot d’ordre, la haute qualité, c’est-à-dire le café de spécialité.
C’est une mouvance qui nous vient des États-Unis, dont L’Atelier des Alchimistes s’inspire beaucoup et qui révèle deux piliers fondamentaux que sont la qualité et la transparence.
La qualité pour un respect de notre environnement (pas de café soleil, donc pas d’intrants, que du naturel en agroforesterie) et de la santé humaine, mais aussi pour le plaisir des grands dégustateurs de café de ce monde.
La transparence pour une meilleure rémunération des producteurs, mais surtout réduire l’abus des intermédiaires inutiles de ce monde, ce qui permettrait de recréer un lien de confiance entre le consommateur et le producteur.
L’unicité du terroir calédonien permet d’avoir de très grands crus dans les produits d’exception tels que le café, le cacao, la vanille, le poivre, le santal et d’autres essences pour la grande parfumerie ou encore les plantes médicinales.
Il faudrait que le gouvernement calédonien bannisse cette mafia agroalimentaire que sont les gros lobbies, qui campent dans cette méthode de production destructive pour l’environnement et la santé humaine, et ainsi favoriser une agriculture de bon sens qui est naturelle et donc en phase avec notre environnement et notre santé.
Cet or noir à lui seul en monoculture ne peut pas faire redémarrer l’économie d’un pays. Cependant, étant l’un des leviers les plus puissants de l’agriculture mondiale (économique car deuxième commodité du monde après le pétrole, sociale, culturelle et historique), il permet d’actionner le pilier de l’économie de la biodiversité qui pourrait se substituer à l’économie dévastatrice du nickel.
Dans une caférie sous ombrage d’une forêt régénératrice, on doit augmenter au maximum la biodiversité et ainsi mettre beaucoup de produits d’exception comme des essences de bois noble pour la parfumerie ou la construction, café, cacao, vanille et poivre, santal, des plantes médicinales, etc. ; mais on peut et l’on doit même diversifier avec de l’alimentaire comme du vivrier, des fruitiers ou autres plantes nourricières.
Propos recueillis par Sophie Desquesses
La case « outremer.ledoc » de France Télévisions outremer.ledoc raconte un Outre-mer contemporain. Au travers d’histoires d’hommes et de femmes. Des histoires particulières qui viennent en miroir des sociétés ultramarines actuelles. Des films qui mettent en lumière des Ultramarins d’ici et de là-bas. Un regard porté de l’intérieur sur les Outre-mer, à la croisée de leurs histoires, de leurs cultures, de leurs croyances et de leurs enjeux. |
Réalisation
Aurélie Macedo
Coproduction
Latitude 21 Pacific
France Télévisions
52 min
Inédit
2021