Professeur d’art dramatique pendant de longues années, Joanna Scanlan a débuté sa carrière professionnelle à 30 ans passés. Aperçue au cinéma aux côtés de Scarlett Johansson (La Jeune fille à la perle, Deux sœurs pour un roi) ou de Ralph Fiennes (The Invisible Woman, encore inédit en France), elle se fait surtout remarquer à la télévision anglaise pour ses rôles comiques (The Thick of It). Elle est également scénariste de la série à succès de BBC 4, Getting On.
Quelle a été votre réaction en obtenant le rôle de Vivienne Deering ?
Un mouvement de panique ! Mon agent m’avait fait parvenir les scénarios : « Voici un rôle qui te correspond… » À la lecture, je n’ai pas du tout été de son avis : Vivienne Deering est bien trop grande pour moi ! Je suis plus souvent habituée à des personnages en retrait, qui font profil bas et, là, ce commandant est tout l’inverse : frontale, fonceuse, forte tête. Je craignais qu’elle ne fasse pas partie de mon répertoire et j’imaginais que, de toute façon, la production préfèrerait une actrice plus connue… Mais, le temps passant, mon agent insistait et insistait. « Passe au moins un essai. » J’ai fini par accepter sans conviction et… j’ai eu le rôle ! Comme quoi, mon agent me connaît mieux que moi-même.
Comment vous êtes-vous approprié ce rôle « trop grand » ?
Il faut d’abord se faire aux dialogues : tout un travail ! Paul Abbott n’écrit vraiment pas comme tout le monde. Ses mots, parfaitement pesés, ont quelque chose d’à la fois poétique et urbain, sans jamais avoir l’air d’être « surécrits ». Regardez les interrogatoires : chaque mot compte et, délicatement, finit par donner sens à la scène, à la structurer. En plus, souvent, Paul Abbott ajoute un élément un peu… bizarre ! Par exemple, une de mes séquences préférées est celle de la discussion, en voiture, entre Vivienne et Dinah. Elles sont à l’arrêt, en pleine campagne et, sans déflorer l’intrigue, elles prennent une décision moralement contestable et qui ne sera pas sans conséquence. La conversation est tendue, nerveuse, éprouvante. Et soudain, il y a ce poney qui passe la tête par la fenêtre ouverte. En soi, sa présence incongrue fait retomber la tension. Mais surtout, implicitement, les deux femmes voient dans le poney une figure paternelle qui, pour Vivienne, représente une forme de conscience morale. Tout est très subtil, un brin surréaliste sans jamais quitter la réalité concrète, terre à terre à laquelle les deux femmes sont confrontées. Pour une actrice, une telle matière est passionnante mais nécessite beaucoup de répétition. Peu à peu, j’ai compris que le plus efficace était de « jouer » le moins possible, de laisser les dialogues parler pour eux-mêmes, par eux-mêmes, tels quels, sans fioritures.
Au-delà des dialogues, Vivienne Deering est avant tout une présence, que vous imposez d’emblée. Comment l’avez-vous abordée ?
Je me suis beaucoup inspirée des femmes de mon enfance, notamment mes grands-mères. Ma famille est originaire du Lancashire, la région de Manchester où se situe l’action de No Offence, et j’ai de nombreux souvenirs de ces femmes fortes du Nord, matriarcales, droites, avec un sens inné de ce qui est juste. Je me souviens aussi du soin qu’apportait quotidiennement ma grand-mère à son apparence. Toujours bien coiffée, les ongles vernis et la tenue impeccable en toute circonstance. Je m’en suis servi pour Vivienne Deering.
Autre trait de sa personnalité : son leadership…
Oui, Vivienne est une meneuse. Elle croit au travail d’équipe et au travail de son équipe en particulier. Et, en bonne dirigeante et malgré son caractère très maternant, elle sait que la contrepartie est d’accepter de ne pas être aimée de tous – ou pas tout le temps. Mais elle sait mettre son ego de côté : sa priorité, ce sont les victimes. Elle peut être ambiguë. Il lui arrive même – et on le voit bien au terme de cette première saison – de ne pas agir de façon très morale. Mais elle ne servira jamais son intérêt personnel. Elle est plutôt prête à sacrifier son propre bonheur pour ce qu’elle estime être bon. Je la vois comme une sorte d’ange vengeur – un peu barré, certes, pas forcément irréprochable, mais toujours guidée par un combat juste.
No Offence fait la part belle aux femmes…
Je n’y vois pas une dimension politique ni militante. Vivienne n’est pas féministe. Elle n’en a pas après les hommes. Simplement, elle est consciente de son pouvoir féminin – c’est-à-dire de ce que son pouvoir a de spécifiquement féminin. J’en reviens aux femmes de mon enfance : des figures matriarcales, issues des classes populaires, au caractère bien trempé. En ce sens, Vivienne est plutôt vieux jeu…
Chose rare dans ce métier, vous avez commencé votre carrière à la trentaine. Vous attendiez-vous à être un jour la tête d’affiche d’une série comme No Offence ?
Autant de richesses, de subtilités, de choses à défendre : ça n’arrive qu’une fois dans une vie, c’est sûr ! Je mesure la chance que j’ai de me voir offrir de tels rôles à mon âge. Ma carrière est encore relativement jeune – même si, moi, je ne le suis plus tout à fait. Peut-être que si j’avais commencé plus tôt, on se serait lassé plus vite de moi ! Surtout, je suis persuadée que la cinquantaine-soixantaine est l’âge le plus excitant de la vie. L’expérience s’est accumulée, comme une forme de sagesse, et, en même temps, on est encore plein d’énergie et de passion. Je suis bien plus heureuse maintenant que dans ma jeunesse. Je ne fais pas partie de ces femmes qui se lamentent : « Oh, je vieillis, j’ai des rides, je perds mon pouvoir de séduction… » Je vois chaque année passée comme un gain, non comme une perte.
Qu’attendez-vous de la diffusion de la série en France ?
Je suis curieuse de l’accueil que le public français va nous réserver. No Offence a tout de même quelque chose de très anglais. Est-ce que vous y serez réceptifs ? En revanche, je ne doute pas que, une fois que la série vous aura accrochés, il sera impossible de la lâcher. Je me suis surprise, moi qui n’aime pas du tout me revoir à l’écran, à regarder No Offence de bout en bout lors de sa diffusion. Chaque semaine, à 9 heures tapantes, je branchais Channel 4 pour connaître la suite de l’intrigue – alors que, bon, je la connais tout de même par cœur, l’intrigue !
Propos recueillis par Cyrille Latour
Pour en savoir plus, notre site dédié : No Offence
Épisode 5 : Coupable un jour...
Réalisé par Catherine Morshead et David Kerr. Scénario de Paul Abbott.
La police tend un piège au suspect numéro 1 des meurtres en série, mais une fuite révélant la nouvelle identité d’un tueur d’enfants notoire compromet sérieusement leur plan.
Épisode 6 : Esclavage moderne
Réalisé par Misha Manson-Smith. Scénario de Mark Greig.
L'étau se resserre autour du tueur en série, et Deering mène une chasse à l'homme dans tout Manchester. Quant à Joy et Spike, ils découvrent une sombre affaire d'esclavage moderne à la suite d'une violente agression sur un jeune SDF.
Épisode 7 : Le Deuxième Homme
Réalisé par Harry Bradbeer. Scénario de Paul Tomalin.
Le meurtre par balles d’un chirurgien respecté met la police sur les traces d’un suspect inattendu, tandis que Dinah and Deering découvrent des éléments qui pourraient bien relancer l’enquête sur les meurtres en série.
Épisode 8 : Entorse au règlement
Réalisé par Harry Bradbeer. Scénario de Paul Abbott.
Dinah entre en conflit avec Deering, ce qui déclenche une chaîne d’événements irréversibles, tandis que les efforts pour sauver la vie d’une mère et de son bébé tournent au cauchemar…
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Créateur et showrunner : Paul Abbott
Compositeur : Vince Pope
Producteurs exécutifs : Paul Abbott et Martin Carr
Produit par AbbottVision
Avec Joanna Scanlan (Vivenne Deering), Elaine Cassidy (Dinah Kowalska), Alexandra Roach (Joy Freers), Will Mellor (Spike Tanner), Paul Ritter (Randolph Miller), Colin Salmon (Detective Superintendent Darren Maclaren), Saira Choudhry (Tegan Thompson), Tom Varey (Stuart O'Connell), Ste Johnson (Jonah Mitchell), Neet Mohan (Taz Ahmed).
« M'attacher aux points faibles de mes personnages »
Découverte en jeune domestique muette aux côtés de Nicole Kidman dans Les Autres d’Alejandro Amenábar, Elaine Cassidy a débuté sa carrière à l’âge de 5 ans. Connue du public anglais pour ses participations aux adaptations littéraires de la BBC, elle a également tenu le rôle principal de la série américaine Harper’s Island.
Quelle a été votre réaction à la lecture du scénario de No Offence ?
Une grande excitation et une grande fierté. Paul Abbott est un des rares scénaristes dont le grand public connaît le nom. On attend toujours avec impatience sa prochaine création, un peu comme une rock star dont on guetterait le nouveau disque. No Offence est le dernier album de Paul Abbott et… je joue dedans ! Ensuite, c’est là que le travail commence. Car on ne peut pas se contenter d’une seule lecture quand on reçoit le scénario. L’écriture est si dense, si unique, et les intrigues si complexes qu’il faut y revenir plusieurs fois, lentement, patiemment, pour bien s’en imprégner. Le rythme est tellement soutenu qu’on peut craindre de perdre des informations en cours de route.
C’est d’ailleurs ce qui fait tout le charme et toute la force de cette série : sa façon de respecter l’intelligence du spectateur. Le public n’est pas infantilisé comme dans tant d’autres séries, où il est littéralement nourri à la petite cuillère, dialogue après dialogue. Là, les épisodes filent à toute allure, mais Paul Abbott fait toujours en sorte que le public suive l’intrigue.
Les dialogues en eux-mêmes sont riches et complexes. Comment vous les êtes-vous appropriés ?
D’abord, il faut savoir que, basée à Manchester, la série reprend beaucoup de codes du Lancashire – ne serait-ce que l’accent typique du coin, qu’il m’a fallu ingérer. Mon mari (l’acteur Stephen Lord, qui a joué dans Shameless, NDLR) vient de cette partie de l’Angleterre, donc je n’étais pas totalement dépaysée. Ensuite, Paul Abbott a une écriture totalement singulière. On sait, en lisant les scénarios, qu’on est dans un autre monde. Les phrases ont leur rythme, leur logique propres, qui n’ont rien à voir avec tout ce que j’ai pu jouer jusque-là. Les dialogues ont à la fois quelque chose de très terre à terre et d’authentique mais aussi un je-ne-sais-quoi de lyrique, voire de surréaliste. J’ai dû beaucoup les travailler – lire, relire, apprendre, oublier, relire encore – jusqu’à faire disparaître ce travail justement, pour qu’ils sortent le plus naturellement possible et éviter toute forme de caricature ou de sur-jeu.
Comment avez-vous construit votre personnage ?
Le scénario donne quelques indices sur son parcours. Mais il y a toujours des blancs à combler, des petites histoires que je me raconte pour moi-même, qui me nourrissent et que j’intègre afin de jouer ensuite le plus instinctivement possible… Contrairement à la vie réelle où l’on a plutôt tendance à masquer ses défauts, j’aime m’attacher aux points faibles de mes personnages. Ce qu’il y a de frappant chez Dinah, c’est son engagement, littéralement corps et âme, au sein de l’équipe de Deering. Ce qu’elle est dans son travail ne fait qu’un avec ce qu’elle est dans la vie : passionnée, rebelle, combattive, prête à tout, absolue, tête brûlée. La vie n’a pas été juste avec elle (un père violent, une fille qu’elle élève seule). Aussi a-t-elle soif de justice et de réparation pour les autres. Mais cette manière d’agir est certainement une fuite pour ne pas avoir à soigner ses propres blessures. Il y a tant de choses, tant de subtilités, de non-dits, à explorer chez elle.
Quel regard portez-vous sur le caractère féminin de la série ?
Le fait que les trois personnages principaux de No Offence soient des femmes n’est pas quelque chose d’anodin à une époque où la plupart des séries réservent encore les premiers rôles aux hommes. Mais, pour être tout à fait honnête, cet aspect-là n’était pas le plus important pour moi. Je n’ai pas l’habitude de considérer les choses sous l’angle du genre ou du féminisme. Je juge avant tout un projet par rapport à l’écriture et au rôle – et là, j’étais comblée.
Vous attendiez-vous à ce que la série rencontre un tel succès ?
Comme je vous le disais, No Offence, le « dernier Paul Abbott », était très attendu. Et comme pour toute rock star, un nouvel album prend toujours le risque de décevoir les fans ! Heureusement, ça n’a pas été le cas. Moi, très égoïstement, je me suis contentée de jouer ma modeste partie – le mieux possible – au sein d’une partition plus vaste. La suite ne m’appartient pas. Si le public regarde, c’est un bonus. S’il aime, c’est un bonus supplémentaire. Mais ça m’échappe totalement…
Et vous attendiez-vous à ce que la série s’exporte en France ?
J’aime tellement le cinéma français ! Il y a tant de vérité, de véracité dans vos films – je pense par exemple à ceux de Jacques Audiard que j’admire particulièrement. Je me sens, à ce titre, très honorée que No Offence soit diffusé à un public so smart !
Propos recueillis par Cyrille Latour