POUR QUELQUES HECTARES DE PLUS
Le Monde en face

… et pour quelques hectares de plus

Documentaire - Mardi 6 décembre 2016 à 20.45

Chaque année en France, 60 000 hectares de terres agricoles disparaissent sous du béton. Un phénomène qui a tendance à s’accélérer et dont les impacts sociaux, économiques et environnementaux sont loin d’être négligeables. Marina Carrère d’Encausse propose de faire le tour de la question avec un documentaire suivi d’un débat avec des experts.

Labourage et pâturage, les deux mamelles de la France ? Qu’il est loin ce pays essentiellement agricole vanté par le duc de Sully, le célèbre ministre d’Henri IV. Depuis une cinquantaine d’années, les champs d’autrefois font progressivement place aux infrastructures et aux constructions les plus diverses. À 20 kilomètres à peine de Paris, Dominique Plet, le dernier agriculteur de Gonesse, se désole de la menace qui pèse sur les terres cultivées par sa famille depuis quatre générations et les espaces naturels environnants. C’est là que le groupe Auchan compte bâtir EuropaCity, un énorme centre commercial, au milieu d’un nouveau quartier d’affaires qui s’étendra à terme sur 280 hectares. Une absurdité pour Dominique, qui souligne l’existence de deux autres centres semblables, dont un « à 4 kilomètres à vol d’oiseau […]. Entre les deux, ils vont nous mettre ici 500 boutiques de luxe et une piste de ski, c’est complètement fou ». Ce type de projets fleurit un peu partout à travers l’Hexagone, au point que chaque année 60 000 hectares de surface agricole disparaissent au profit du béton, soit 20 mètres carrés par seconde !

Des projets pharaoniques

Pour mesurer l’ampleur du phénomène, ses enjeux et ses conséquences, le journaliste Nicolas Vescovacci, auteur du documentaire, est parti sur les routes de France six mois durant. Son enquête commence au bord du canal d’Orléans, à Saint-Jean-de-Braye, où Decathlon entend construire un « village », un concept imaginé autour d’un magasin, de commerces, de bureaux, de restos et d’espaces de jeux en plein air. Le tout sur 16 hectares de prairies et de bois qui constituent actuellement, selon Laurent Richard, spécialiste des sols et opposé au projet, « un espace de respiration de la ville ». Pis, il s’y trouve « une zone humide qui assure une fonction d’épuration et de régulation des flux […]. Il y a des inondations parce qu’on les supprime partout. Malgré cela, nos décideurs continuent à vouloir bétonner et supprimer ces zones humides, qui sont fondamentales ». Pour la mairie, la priorité va à l’emploi, et elle est donc prête à toutes les concessions. Y compris à céder les terrains à un prix défiant toute concurrence. Comment ? Par un tour de passe-passe qui peut sembler contestable bien que parfaitement légal : ces derniers sont estimés par France Domaine (ce qui est obligatoire) alors qu’ils sont inconstructibles, puis, une fois la promesse de vente établie, il ne reste plus qu’à modifier le PLU (plan local d’urbanisme) pour les rendre constructibles !

Même cas de figure à Lyon, où élus et industriels se sont entendus pour favoriser les intérêts privés. Toujours au nom de la création d’emplois. Le tout nouveau grand stade de l’OL, dont le président du club est l’actionnaire majoritaire, a été érigé sur des terrains communaux achetés quatre fois moins cher que ceux acquis postérieurement à un particulier. Le sénateur-maire de Lyon a même réussi à ce que ce projet 100 % privé soit reconnu d’intérêt général et engagé les finances publiques dans la construction d’infrastructures d’accès au stade. 

Une disparition inexorable

Officiellement, le gouvernement souhaite diviser par deux la consommation de terres agricoles d’ici à 2020. Dans la réalité, rien n’est fait pour protéger ce foncier qui disparaît inexorablement. Le bouleversement est de taille. Selon Frédéric Denhez, spécialiste du monde rural, « ça nous amène vers une augmentation du prix des terres. […] Il n’y aura plus de jeunes agriculteurs, si ce n’est ceux qui seront soutenus ou qui serviront de prête-noms à des groupes financiers qui, eux seuls, auront des moyens d’acheter la terre et qui en retour demanderont à ce que ça crache du bénéfice ». L’agro-business se développe déjà depuis quelques années avec pour modèle la ferme-usine, à l’instar de celle des 1 000 vaches. Les opposants à ce type d’exploitations dénoncent les conditions d’élevage et les risques pour l’environnement. Pour David Carcaud, éleveur bio, c’est tout un monde qui s’écroule : « Depuis cinquante ans, l’agriculture moderne productiviste a progressivement détruit la paysannerie, un mode de vie qui est à l’origine de nos paysages, de l’âme de la France […]. Petit à petit, on va plus loin : fermes toujours plus grosses, produire toujours à prix plus bas, tout nous pousse vers ça. Alors peut-être qu’il faudra aller dans le mur pour s’en rendre compte… »

Beatriz Loiseau

POUR QUELQUES HECTARES DE PLUS

Documentaire

Durée 72 min

Auteur-réalisateur Nicolas Vescovacci

Production BrainWorks, avec la participation de France Télevisions

Année 2016

 

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