C’est une porteuse d’histoires. Elle épouse tous les genres, tous les univers, tous les personnages avec une sensibilité et une intelligence qui la rendent inoubliable et incontournable. Virginie Efira habite le cinéma européen, qu’il soit d’auteur ou grand public. Elle est la maîtresse de cérémonie de la 75e édition du Festival de Cannes. Rencontre.
Le rôle de maîtresse de cérémonie ne consacre-t-il pas votre parcours de comédienne, qui a su allier le cinéma d’auteur et grand public ?
La question est davantage de savoir pourquoi j’ai accepté ! (Rires.) Il y a un hiatus entre ma timidité et l’exercice requis. Mais c’est vraiment gentil de me l’avoir proposé ! J’ai beaucoup suivi le Festival de Cannes à la télévision et maintenant je vais me retrouver dans l’image que je regardais, un peu comme Mia Farrow dans La rose pourpre du Caire. Heureusement, ce n’est pas un paquebot comme les César où la cérémonie dure deux heures trente et je n’ai pas à faire un numéro personnel, ce qui tombe bien car je ne suis ni Édouard Baer ni Valérie Lemercier, qui ont une drôlerie exceptionnelle. Faut faire avec ce que l’on est ! (Rires.)
Vous allez être la maîtresse de cérémonie d’un Festival pas comme les autres…
C’est un Festival particulier puisqu’il vient après la pandémie de covid, alors qu’une guerre se déroule aux frontières de l’Europe.
La création du Festival a été dès le départ politique. Le cinéma est politique. Il doit être un lieu de compréhension du monde, un espace où l’on peut faire, penser collectif. Dans le contexte actuel, trouble, fragile, il est fondamental que le Festival de Cannes apporte sa créativité, sa densité et les regards de tous ses cinéastes. Préserve un endroit du beau ; dise l’importance de la culture et des récits. À qui appartiennent les récits, comment sont-ils racontés ? Tout cela influe sur notre esprit, sur notre manière de penser les autres et le monde. Je fais ce métier parce qu’à 15 ans, outre le plaisir d’être spectatrice, j’ai senti tout cela. Combien le cinéma me faisait sortir de mon pré carré.
À 15 ans, vous étiez très cinéphile ?
J’aimais profondément le cinéma et j’essayais de voir le maximum de films. Mais je n’étais pas pointue, j’avais une culture cinématographique populaire. Dans les années 1990, en Belgique, passaient avant tout des films américains. Je pense les avoir tous vus ! Lorsque c’était mon anniversaire, même s’il tombait en pleine semaine, j’avais le droit d’aller au cinéma. C’était aussi excitant pour moi qu’un aller-retour à New York. Un jour, ma tante m’a traînée voir Épouses et concubines ; une révélation. En vacances, la sœur d’une amie, qui lisait Les cahiers du cinéma, m’a montré Le locataire de Polanski. Petit à petit, j’ai découvert un monde.
« La création du Festival a été dès le départ politique. Le cinéma est politique. Il doit être un lieu de compréhension du monde, un espace où l’on peut faire, penser collectif. Dans le contexte actuel, peu discernable, fragile, il est fondamental que le Festival de Cannes apporte sa créativité, sa densité et tous les regards des cinéastes. Préserve un endroit du beau ; dise l’importance de la culture et des récits. »
Justement, vous « épousez » à travers vos rôles et films des mondes et des cinémas très différents. Les choisissez-vous en faisant attention à ne pas vous laisser enfermer dans un genre, dans un type de personnage ?
Je ne me pose pas cette question-là mais la question du lien. Le lien avec le personnage, mais plus encore celui avec la personne qui va raconter l’histoire. C’est cela qui me touche, là où je trouve du sens. Depuis Victoria, j’ai la possibilité de choisir mes films – je ne sais pas pour combien de temps –, mais pour l’instant, j’en profite ! Lorsque l’on me propose des films, je m’attache à la façon dont est racontée l’histoire, à ce que je perçois de sensibilité dans le fil narratif. Je sais alors que je vais pouvoir faire un travail « honnête », laisser grâce à cela un témoignage de ce que c’est d’être un être humain sur cette Terre, avec ses contradictions, sa beauté et sa fragilité. Retrouver des résonances entre des personnages ne me dérange pas. À un moment, j’ai joué beaucoup de filles qui auraient beaucoup gagné à faire des psychanalyses très poussées ! (Rires.) Mais la façon chaque fois différente dont on raconte une humanité engendre un tout autre personnage.
« Cannes reste un endroit de résistance à l’homogénéité du regard. On fait des films pour cela, pour transmettre et partager cette liberté d’expression, ce regard personnel sur le monde. »
En 2016, vous étiez à Cannes pour la première fois car vous figuriez au générique de deux films, Elle et Victoria, qui ont marqué un tournant dans votre carrière, comment avez-vous vécu la cérémonie et qu’a-t-elle représenté pour vous ?
Dans Elle, j’avais un petit rôle et j’ignorais alors qu’un autre film avec Verhoeven allait suivre quelques années plus tard (ndlr : elle tient le rôle principal dans son dernier film, Benedetta, sorti en 2021).
Je me souviens avant tout du coup de fil de Justine Triet m’annonçant que Victoria avait été choisi comme film d’ouverture de la Semaine de la critique de Cannes. Justine, c’est une personne importante dans mon parcours professionnel et ma vie personnelle. Lorsque je l’ai rencontrée, on a immédiatement travaillé ensemble sur le film. Je sentais à ce moment-là, de manière profonde, que quelque chose se produisait, quelque chose de spécial dans le rapport entre un acteur et un metteur en scène ; il y avait une intimité que je n’avais pas eue avant, une possibilité d’agrandir les horizons.
Le fait que Victoria ait été choisi comme film d’ouverture validait ce sentiment particulier que j’avais éprouvé, qui me tenait à cœur et qui n’a rien à voir avec la reconnaissance. C’était une nouvelle très joyeuse ! Cela racontait qu’un cinéma que j’avais voulu faire, que j’avais tant aimé dès mes 15 ans, qui n’était pas un cinéma normé mais singulier, intime, avait été vu. Cannes reste un endroit de résistance à l’homogénéité du regard. On fait des films pour cela, pour transmettre et partager cette liberté d’expression, ce regard personnel sur le monde.
Quel était alors votre regard sur le Festival de Cannes ?
Le regard sur Cannes est très différent selon que vous « appartenez » au Festival ou non. Lorsque, animatrice de télévision, je n’en faisais pas du tout, du tout partie, que je me faisais un peu jeter des soirées, le Festival représentait un endroit où émergeaient les films que j’allais voir au cinéma. Pour moi qui, enfant, écrivais des critiques de films dans mon cahier, c’était énorme, un lieu fantasmagorique, et totalement sacralisé.
Lorsqu’on a le « droit d’entrée », on ne peut plus le sacraliser ; le monde impénétrable est pénétré. On cherche comment relativiser, comment ne pas prendre l’événement trop au sérieux, pour ne pas se croire important – ce qui serait une erreur fatale – et pour ne pas perdre le plaisir.
On sait bien aussi qu’à partir de sa projection, un film ne nous appartient plus du tout, qu’il plaise ou non. Le moment où l’on éprouve le plus de joie, c’est lorsque l’on fait les choses.
Vous êtes revenue à Cannes après 2016, notamment avec Le grand bain…
Avec Sibyl (ndlr : en 2019, son deuxième film avec Justine Triet) et Benedetta. J’ai eu trois fois des films en compétition. La compétition officielle, c’est plus sérieux, il y a plus de presse. Contrairement à nombre d’acteurs, j’aime bien les interviews où l’on se confronte à des journalistes qui se passionnent pour le cinéma. Leurs articles me permettent de retrouver ce plaisir de spectatrice ; en lisant les critiques après une séance, je prolonge le film, je mets mon ressenti en résonance avec le leur. J’ai toujours adoré discuter des films après les avoir vus. J’aime cet échange car l’intérêt principal, lorsque l’on fait ou regarde un film, réside dans le lien que l’on tisse ainsi avec les autres.
Propos recueillis par Amélie De Vriese
Son actualité
Virginie Efira présentera sur France 2 la cérémonie d’ouverture du 75e Festival de Cannes, mardi 17 mai à 19.00, et la cérémonie du palmarès, samedi 28 mai.
Virginie Efira sera à l’affiche le 23 mai du nouveau film de Serge Bozon, Don Juan, présenté à Cannes Première ; elle sera aussi cette année à la Quinzaine des Réalisateurs dans Revoir Paris, réalisé par Alice Winocour. Elle tourne actuellement des jumelles sous l’emprise d’un homme dans L’amour et les forêts de Valérie Donzelli. Elle interprète une femme à qui l’on retire la garde de son enfant dans le film de Delphine Deloget, Rodéo, et enfin on la retrouvera en septembre dans le nouveau film de Rebecca Zlotowski, Les enfants des autres.
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