Communiqué de presse
Mustang raconte l'histoire d'une famille avec cinq adolescentes qui suscitent la convoitise des garçons alentours et que l’on essaie de mettre sous cloche...
C’est le début de l’été.
Dans un village reculé de Turquie, Lale et ses quatre sœurs rentrent de l’école en jouant avec des garçons et déclenchent un scandale aux conséquences inattendues.
La maison familiale se transforme progressivement en prison, les cours de pratiques ménagères remplacent l’école et les mariages commencent à s’arranger.
Les cinq sœurs, animées par un même désir de liberté, détournent les limites qui leur sont imposées.
Seul le regard posé sur ces filles est perverti mais pas elles...
Un film de Deniz Gamze Ergûven
(94' - 2015)
Nationalité France/Allemagne/Turquie/Quatar
Avec Günes Nezihe Sensoy (Lale), Doga Zeynep Doguslu (Nur), Elit Iscan (Ece), Tugba Sunguroglu (Selma), Ilayda Akdogan (Sonay), Nihal Koldas (La grand-mère)
Vous êtes née à Ankara mais vous avez surtout vécu en France. Pourquoi avoir tourné en Turquie votre premier film ?
La majeure partie de ma famille réside toujours en Turquie et j’ai passé ma vie à faire des allers-retours entre les deux pays. Je suis d’autant plus préoccupée par les histoires qui se déroulent en Turquie que c’est une région en pleine effervescence, où tout bouge. Depuis quelques temps, le pays a pris une tournure plus conservatrice mais on y ressent toujours une force, une fougue. On a le sentiment d’être au cœur de quelque chose, que tout peut vriller à tout moment, partir dans n’importe quelle direction. C’est aussi un réservoir à fiction incroyable.
Tout comme votre court-métrage de fin d’études, « Mustang » est le récit d’une émancipation. Quelle est la genèse de cette histoire?
Je voulais raconter ce que c’est que d’être une fille, une femme dans la Turquie contemporaine. Un pays où la condition féminine est plus que jamais au centre du débat public. Sans doute le fait d’avoir un effet de dézoomage en quittant fréquemment la Turquie pour la France a eu son importance. À chaque fois que je retourne là-bas, je ressens une forme de corsetage qui me surprend. Tout ce qui a trait à la féminité est sans cesse ramené à la sexualité. C’est comme si chaque geste des femmes, et même des jeunes filles, avait une charge sexuelle. Par exemple, il y a ces histoires de directeurs d’écoles qui décident d’interdire aux filles et aux garçons de monter en classe par les mêmes escaliers. Ils vont jusqu’à aller construire des escaliers séparés pour chacun. Ça prête une grande charge érotique aux gestes les plus anodins. C’est toute l’absurdité de ce genre de conservatisme: tout est sexuel. On en arrive à parler de sexe sans cesse. Et on voit émerger une idée de société qui positionne les femmes comme des machines à faire des enfants, bonnes à rester à la maison. On est l’une des premières nations à avoir obtenu le droit de vote dans les années 30 et on se retrouve aujourd’hui à défendre des choses aussi élémentaires que l’avortement. C’est triste.
Pourquoi ce titre à la sonorité anglo-saxonne « Mustang »?
Le Mustang est un cheval sauvage qui symbolise parfaitement mes cinq héroïnes, leur tempérament indomptable, fougueux. Et même visuellement, leurs chevelures ressemblent à des crinières, leurs cavales à travers le village ont tout d’une troupe de mustangs... Et l’histoire avance vite, parfois à tambours battants. C’est cette énergie qui est pour moi le cœur du film à l’image de ce mustang qui lui a donné son nom.
Qu’y-a-t-il de vous dans le film ?
Le petit scandale que les filles déclenchent en grimpant sur les épaules des garçons avant de se faire violemment réprimander au début du film m’est réellement arrivé à l’adolescence. Sauf que moi, ma réaction à l’époque n’a pas du tout été de répondre aux remontrances qui m’étaient faites. J’ai commencé par baisser les yeux, honteuse. Ça m’a pris des années pour commencer à ne serait-ce que m’indigner un peu. Je tenais à faire de mes personnages des héroïnes. Et il fallait absolument que leur courage paye, qu’elles gagnent à la fin, et ce de la manière la plus jubilatoire possible. Je vois ces cinq filles comme un monstre à cinq têtes qui perdrait des morceaux de lui-même, à chaque fois qu’une des filles sort de l’histoire. Mais le dernier morceau subsisterait et réussirait à s’en sortir. C’est parce que ses aînées sont tombées dans des pièges que Lale, la cadette, n’a pas envie du même destin. Elle est un condensé de tout ce que je rêve d’être.
Vous semblez affirmer que la seule issue est l’éducation?
La déscolarisation des filles et la réaction que cela suscite chez elles a, l’air de rien, un impact déterminant sur l’histoire. Mais je n’approche pas les choses de manière militante. On ne fait pas un film comme un discours politique. Romain Gary disait qu’il n’allait pas manifester car il avait une étagère entière de livres qui le faisaient à sa place. Il y a de ça : le film exprime les choses de manière beaucoup plus sensible et puissante que je ne pourrais le faire. Je l’envisage vraiment comme un conte avec des motifs mythologiques comme celui du Minotaure, du dédale, de l’Hydre de Lerne - le corps à cinq têtes que constituent les filles - et du bal, remplacé ici par un match de foot auquel les filles rêvent d’assister.
Le choix du village reculé d’Inébolu à 600km au nord d’Istanbul, sur la côte de la Mer Noire, n’est pas anodin ? Il participe à l’oppression ressentie par le spectateur...
Oui, le sentiment d’être au bout du monde est exacerbé par le décor. C’était d’abord un choix esthétique, avec ses paysages qu’on croirait tout droit sortis d’un conte, ses rubans de route en bord de mer et ses forêts un peu inquiétantes.
La région était difficile d’accès. Quelques mois avant mon premier passage, il n’y avait pas d’aéroport. Et aucun film n’avait été tourné là-bas. J’y ressentais réellement le sentiment d’être sous cloche. Dans les villages plus reculés, non seulement les nouvelles n’arrivent que par les canaux officiels, mais il y a en plus dans chaque maison des sacs de charbon, cadeaux de l’époque du Premier Ministre, aujourd’hui Président. Les gens ont un sentiment de proximité, presque familial avec le pouvoir qui leur chuchote littéralement à l’oreille via les médias. Il y avait peu d’endroits sans une télé allumée avec les plus grands dignitaires du pays en train de parler. Depuis le tournage, un aéroport s’est ouvert à 90 km des lieux où l’on a tourné, avec un vol par jour. J’avais l’impression qu’une brèche s’était ouverte. Il y avait un peu d’air frais qui rentrait.
Parlez-nous du tournage de Mustang
C’était une opération commando. J’étais pile à la moitié de ma grossesse lorsqu’on a fini et on tournait 12 heures par jour, 6 jours par semaine.... Ça me mettait dans la même position de fragilité que les filles, ce qui n’était pas plus mal car on était tous dans le même bateau.
À trois semaines du premier clap, la productrice initiale s’est retirée du projet alors que tout était prêt. C’est comme si le pilote de l’avion s’était débiné en plein vol. Le film était planté. L’équipe a commencé à se détricoter.
Tout ce que j’avais mis en place passait à travers le feu. Puis on a rattrapé les commandes avec un nouveau producteur… Mais le fait d’avoir été à deux doigts de tout perdre n’a fait qu’exacerber notre désir. Ce qu’il s’est passé à ce moment-là était tellement dramatique, que ça a donné à tout le monde l’envie de se dépasser pour sauver le film. Chaque plan est devenu une question de vie ou de mort et les enjeux étaient cruciaux.
Les gens prennent des postures exceptionnelles en temps de crise. On fabriquait littéralement ce qu’on allait tourner le jour même : les éléments de décor, les trucages, les cascades. C’était une aventure extrêmement intense où tout se jouait au cheveu près. Une sorte de miracle permanent.
Pour la musique, vous avez fait appel à Warren Ellis, membre de Nick Cave and the Bad Seeds...
La musique de Warren Ellis a une force narrative évidente. Quand Warren joue du violon, on a le sentiment d’entendre une voix qui raconte une histoire. Et ses orchestrations sont bouleversantes. Il y avait une évidence esthétique dans cette rencontre, une cohérence entre les décors du film - la grande maison en bois, les paysages de la Mer Noire… - et le choix de ses instruments. Avant même de le rencontrer, j’avais posé ses musiques sur les images et cette évidence était déjà là. Notre première rencontre a été très forte mais il n’était pas disponible. Il a fallu que je l’attrape, que je lui tourne autour. J’apprécie d’autant plus notre alliance et notre curiosité l’un pour l’autre, qu’elle crée un carrefour entre nos deux cultures et nos deux pays qui sont aussi éloignés que l’Australie et la Turquie.
César 2016 (Edition 41)
César de la Meilleure première œuvre : Deniz Gamze Ergüven
César du Meilleur montage : Mathilde Van de Moortel
César du Meilleur scénario original : Alice Winocour, Deniz Gamze Ergüven
César de la Meilleure musique : Warren Ellis
Lumières de la presse étrangère 2016 (Edition 21)
Meilleur film : Deniz Gamze Ergüven
Révélation féminine de l'année : Tuğba Sunguroğlu, Doğa Zeynep Doğuşlu,Güneş Nezihe Şensoy, Elit İşcan, İlayda Akdoğan
Meilleure photographie
David Chizallet
Goya 2016 (Edition 30)
Goya du meilleur film européen
European Film Awards - Prix du cinéma européen 2015 (Edition 28)
Prix FIPRESCI - Découverte européenne : Deniz Gamze Ergüven
Quinzaine des Réalisateurs 2015 (Edition 47)
Label Europa Cinema : Deniz Gamze Ergüven