S’il existe aux États-Unis de nombreux films de cinéma qui traitent de la question de l’esclavage, depuis La Case de l’oncle Tom (1903) en passant par Naissance d'une nation (1915) jusqu’à Antebellum (2020), en France, la plupart des spectateurs et téléspectateurs ne peuvent citer qu’un seul long-métrage français sur le sujet : Case Départ (2011). Comment expliquer un tel décalage ? Pourquoi existe-t-il si peu de films chez nous ? Pourquoi a-t-on tant de mal à représenter cette partie de notre passé ? Peut-on parler d’un « tabou » français ?
Même s'ils traversent toute l'histoire du cinéma, depuis la première adaptation pour le grand écran de La Case de l'Oncle Tom par le pionnier du cinéma Edwin S. Porter en 1903, force est de constater que rares sont les films à avoir expliqué avec profondeur les origines de l'esclavage et les luttes des esclaves. Plus rares encore ceux à avoir trouvé la distance adéquate pour mettre en images ce qui reste encore aujourd'hui l'un des tabous de la société américaine, tandis qu'en France le sujet est occulté par le 7e art français.
Aux Etats-Unis, le cinéma n'a jamais éludé la question mais a évolué. Le cinéma américain est passé de la position ouvertement raciste de D. W. Griffith dans Naissance d'une nation (1915) au ton paternaliste d'Autant en emporte le vent de Victor Fleming (1939) qui évoque de loin le thème de l'esclavage, mais dont le propos principal, sur fond de romance, est la guerre civile et la capacité du Sud à s'en relever. Il faut attendre L'Esclave libre de Raoul Walsh (1957), avec Sidney Poitier, figure de la communauté afro-américaine, pour que l'esclavage soit dénoncé. Ce n'est qu'au début des années 70, avec les luttes des Afro-Américains pour les droits civiques et le succès au cinéma de la blaxploitation qu'Hollywood reconsidère les modèles de représentation en adoptant le point de vue des esclaves. Des films comme Slaves d'Herbert J. Biberman (1969) ou Mandingo de Richard Fleischer (1975) mettent au jour la monstruosité du système esclavagiste. En 1977, la série Racines, adaptée du roman d'Alex Haley, offre au public américain les premières images de la traite négrière et de la traversée de l'Atlantique. Vingt ans plus tard, ce découpage narratif est repris par Steven Spielberg dans Amistad (1997).
Aujourd'hui, alors que depuis une quinzaine d'années les Etats-Unis font à nouveau face à une recrudescence des tensions interraciales, on considère que la filmographie sur le sujet traduit moins une volonté de faire un retour sur l'histoire que d'éclairer le contexte contemporain. Django Unchained, 12 Years a Slave ou plus récemment Naissance d'une nation de Nate Packer en disent plus sur le présent que sur le passé. Dès lors, compte tenu des résonances politiques et idéologiques que continue d'avoir la représentation contemporaine de l'esclavage, le sujet reste crucial pour le cinéma américain.
Qu'en est-il de la France ? La loi Taubira du 10 mai 2001 reconnaît la traite négrière et l'esclavage comme crimes contre l'humanité, mais le cinéma français s'est peu préoccupé du sujet. Il y a toutes les raisons de considérer qu'il s'agit là du dernier tabou du 7e art en France. Il faudra attendre presque un siècle après l'invention du cinéma par les frères Lumière pour que la France s'intéresse au sujet. Pionnier dans le genre, les films du réalisateur, scénariste et producteur Christian Lara Vivre libre ou mourir (1980), Sucre amer (1998), 1802, l'épopée guadeloupéenne (2006) sont peu distribués. En 1996, Les Caprices d'un fleuve réalisé par Bernard Giraudeau situe son action durant la Révolution française, dans l'actuel Sénégal. En 2001, le réalisateur martiniquais Guy Deslauriers dans Passage du milieu raconte l'horreur de la traite négrière à laquelle ont participé les grandes nations européennes entre le XVIe et le XIXe siècle.
Malgré des films notables tels que Bois d'ébène, le docu-fiction de Moussa Touré (2016), ou le film d'animation Sidi Kaba et la porte du retour de Rony Hotin (2022), lorsque l'on interroge les spectateurs français sur les films consacrés à la question de l'esclavage, la plupart ne peuvent citer qu’un seul long-métrage : Case Départ (2011) qui a suscité la polémique par son traitement comique.
Le cinéma, art populaire par excellence, a pour vocation d’être le vecteur parfait pour contribuer à la mémoire collective. Mais rares sont les films à avoir représenté l’esclavage. Dans ce documentaire, historiens, réalisateurs, producteurs et comédiens analysent et tentent d'expliquer l'invisibilité de cette histoire dans le cinéma français.
Intervenants
- Jean-Claude BARNY (réalisateur de la série Tropiques amers )
- Rokhaya DIALLO (réalisatrice du documentaire Où sont les Noirs ?)
- Fanny GLISSANT (coréalisatrice de la série documentaire Les Routes de l’esclavage)
- Philippe NIANG (réalisateur du téléfilm Toussaint Louverture)
- Sébastien ONOMO (producteur du docu-fiction Bois d’ébène)
- Frédéric REGENT (historien, auteur de La France et ses esclaves)
- Luc SAINT-ELOY (acteur dans 1802, l’épopée guadeloupéenne)
- Lionel STEKETEE (coréalisateur de Case Départ)
- Jocelyne BEROARD (chanteuse et membre du groupe Kassav', comédienne)
- Myriam COTTIAS (directrice du Centre international de Recherches sur les esclavages et post-esclavages - CIRESC, spécialiste de l'esclavage dans l'espace caribéen)
52 min
Avec la voix de
Jocelyne Beroard
Réalisation
Régis Dubois
Une coproduction
Esperanza Productions
Zycopolis Productions
TV5 Monde
Avec la participation de
France Télévisions
Martinique La 1ère
2022