Plusieurs mois durant, des centaines de personnes gravement malades — des évacués sanitaires communément appelés « évasanés » — quittent leur patrie, la Nouvelle-Calédonie, pour rejoindre l’Australie, contraints et forcés. Éloignés de leurs proches, tous ces malades connaissent des moments difficiles dus à l’isolement et à leur pathologie. Rencontres et témoignages à Sydney.
Dans la banlieue de Sydney, la pension Beautemps-Beaupré accueille toute l’année des centaines de malades de Nouvelle-Calédonie atteints de pathologies graves qu’on ne sait pas traiter sur le territoire.
Exilés forcés, parachutés dans un monde qui leur est totalement inconnu — une grande ville, moderne, anglo-saxonne —, les « évasanés », pour « évacués sanitaires », vivent éloignés de leur famille, parfois pendant plusieurs mois. Ils se retrouvent d’autre part confrontés à une conception de la médecine très différente de celle pratiquée par le médecin calédonien ou par le guérisseur kanak.
Jour après jour, le Caillou revit en pays étranger, une Calédonie « modèle » où les barrières ethniques se sont envolées et où l’humain prend le dessus. Petit à petit des liens de solidarité et d’amitié se créent. Le temps oscille entre l’urgence de l’arrivée en Évasan, puis s’étire ou se fige lors de la vie à la pension.
Le film se déroule en grande partie au sein de la pension Beautemps-Beaupré, où le quotidien de deux ou trois de ses pensionnaires est mis en lumière.
Documentaire de création
Durée : 52 min
Auteur-réalisateur : Olivier Gresse
Production : Les Films de la Pluie et Duol Productions, avec la participation de France Télévisions, Lyon Capitale TV et Ânûû-rû Âboro
Année : 2016
Connu comme réalisateur mais aussi comme producteur (notamment De chair et de fer), Olivier Gresse a choisi cette fois-ci le thème de l’exil, et en particulier celui des malades. Le film aborde une question essentielle : comment se reconstruit-on loin de sa famille, de ses repères, de son pays, lorsqu’on est « évasané » ?
Comment est né le projet ?
Olivier Gresse : J’ai commencé à y réfléchir au cours d’une formation à l’écriture de documentaire de création, à la résidence Ânûû-rû Âboro, en 2014. J’y ai rencontré une productrice intéressée par le projet et on a continué à l’écrire à quatre mains. Et puis, lorsque je suis à 20 000 kilomètres de mon pays, j’ai une crainte dont je n’arrive pas à me défaire : celle de la maladie et de l’accident. C’est pour cela que j’ai eu envie de savoir comment ça se passait pour les évacués sanitaires. Comment les Calédoniens étaient-ils accueillis ? Et je voulais être le témoin des liens de solidarité qui se tissent dans ces moments-là entre les personnes. Comment le destin commun voit le jour là-bas, alors que ce n’est pas le cas ici. Peut-être faut-il souligner aussi que, dans ce film, il n’y a ni voix ni interview. Je ne suis pas journaliste, je ne fais pas d’enquête. Donc j’ai fait le choix de mettre l’humain au premier plan.
Comment avez-vous choisi les personnages ?
O. G. : Je les ai choisis en fonction des liens qu’ils arrivaient à créer avec les autres. J’ai suivi aussi bien les patients que leurs accompagnants pour évoquer les différents moments de la vie en Évasan. Sur certaines séquences du film, je me suis senti très mal à l’aise, de filmer dans l’intimité des gens, même s’ils étaient d’accord. Je ne voulais pas que ce soit du voyeurisme. J’ai filmé par exemple toute la gravité de l’annonce d’une tumeur d’un médecin à son patient. Je tiens d’ailleurs à remercier tous les hommes et les femmes qui m’ont laissé approcher d’aussi près leur intimité.
Combien de temps le tournage a-t-il duré ?
O. G. : Dix jours en février 2015, ce qui a nourri l’écriture du documentaire et je suis retourné à Sydney trois semaines en décembre. Généralement, les évacués sanitaires restent entre une semaine et un mois. Ça dépend de leurs pathologies.
Qu’est-ce qui vous a marqué dans ce film ?
O. G. : Outre la solidarité qui se crée entre les personnes, c’est également la différence d’approche entre la médecine française et australienne qui m’a étonné. Il y a une empathie de la part des infirmiers et des médecins qui est importante. Ils font la bise aux malades, ils les prennent dans leurs bras. Par exemple, dans le film, un des chirurgiens qui a réussi une opération verse une larme face à la femme d’un patient qui lui montre toute sa reconnaissance. Il y a vraiment un lien entre les patients et le personnel hospitalier. Peut-être aussi parce que ce sont des hôpitaux privés. Et puis le personnel se sent comme une grande famille.
Quels moyens sont mis à disposition des Calédoniens ?
O. G. : La Cafat facilite un bon nombre de démarches. Les patients ne sont pas livrés à eux-mêmes. Un interprète leur est fourni, leurs allers-retours en taxi de la pension à l’hôpital sont pris en charge. À la pension Beautemps-Beaupré, tout le monde parle français, on propose aux pensionnaires de la cuisine calédonienne. Quand j’y étais, j’ai filmé une préparation de bougna ! Cette pension est aux petits soins avec les évasanés.
Est-ce que ce film montre la confiance des Calédoniens en la médecine de leur pays ou en la médecine australienne ?
O. G. : Quelle est la meilleure médecine ? C’est une question qui est souvent revenue dans le film. Mais il faut d’abord dire que les Calédoniens font énormément confiance à la médecine australienne. On ne peut pas dire que la médecine calédonienne soit moins bonne, bien au contraire. Simplement, les Australiens ont plus de technologie, plus de spécialistes, parce qu’il y a un plus grand nombre d’opérations. Alors qu’en Nouvelle-Calédonie, on « paye » notre insularité et notre faible population. On ne peut pas avoir des spécialistes dans tous les domaines, parce qu’il n’y a pas assez de volume. En revanche, les Australiens sont beaucoup plus francs que les Français sur la pathologie du patient. S’ils sont plus empathiques lorsqu’il s’agit d’assister le patient, ils ne prennent pourtant pas de gants lorsqu’ils révèlent le diagnostic.