Deuxième et dernière partie pour cette fiction, inspirée de faits réels. Dans les années 1970, Samuel et Doris, chacun de leur côté, doivent affronter de nouvelles épreuves et faire de nouveaux choix. Mais leur amour l’un pour l’autre n’a pas faibli… Une saga à la fois romanesque et sociale sur fond de Bumidom.
Entretien avec Aïssa Maïga
« Le rêve français », c’est celui qu’on a voulu vendre à des milliers d’habitants d’Outre-mer. Que saviez-vous de ce sujet méconnu ?
Aïssa Maïga : Certaines personnes de mon entourage avaient l’occasion de retourner aux Antilles par le Bumidom (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer), avec des billets d’avion gratuits, une fois tous les quatre ans. On présentait ce système comme une faveur faite aux Antillais pour leur permettre de venir travailler en France, avec un droit au retour récurrent. C’était donc très éloigné de la réalité que j’ai découverte avec le scénario. Le sentiment de honte qui s’est développé a déposé une telle chape que les personnes qui en bénéficiaient, la plupart défavorisées, avaient l’impression d’être des parias. Le gouvernement français avait besoin de créer une réserve d’employés pour les services publics, et la désinformation est telle qu’on en est venu à penser que c’était cette population qui en avait besoin. Pour moi, c’est la manifestation du conflit non réglé entre les anciens propriétaires d’esclaves et les descendants d’esclaves. Le rêve français est aussi celui que racontaient ceux qui partaient en France et revenaient en vacances chez eux. J’ai vu comment les gens enjolivaient ce qu’ils vivaient réellement.
Comment pouvez-vous nous présenter le personnage de Doris, que vous interprétez ?
A. M. : Ce personnage m’a bouleversée à la lecture du scénario. Il y a quelque chose de tragique dans sa condition féminine, banale à cette époque : elle essaie de conquérir sa liberté mais n’en a pas les moyens. Elle est amoureuse d’un jeune homme trop noir et trop pauvre pour sa famille. Son père rêve d’un grand mariage, et lorsqu’un jeune blanc à qui tout semble sourire tombe amoureux d’elle, il encourage bien sûr cette relation. Elle devient fille-mère, car le père de l’enfant ne le reconnaîtra pas. Cette jeune femme part alors en France – son rêve – pour y travailler, en laissant son fils dont elle n’a pas les moyens de s’en occuper. Elle part surtout parce qu’elle devient la honte qu’il faut à tout prix éloigner de la famille. Son rêve va très vite se fracasser ; elle se rend compte qu’elle n’a pas accès aux formations qu’on lui a vendues et qu’elle est vouée à devenir une servante pour les familles de la bourgeoisie française. Elle est une femme jeune, noire, pauvre dans un pays qui n’est pas prêt à l’accueillir.
Yann Gaël, qui joue Samuel, dit de vous dans son interview :
« C’est une des personnes qui acceptent de grandir le plus tôt dans le récit »…
A. M. : Il a tout à fait raison. Car étant mère et mariée, le choix est très restreint. Doris travaille pour subvenir aux besoins de sa famille, elle est obligée de rentrer dans le moule de la mère de famille rangée qui a mis ses rêves au placard, sinon elle ne pourrait pas survivre. C’est quelque chose qui me touche énormément, que j’ai vu chez beaucoup de femmes et qui est écrasant. Aujourd’hui, on bénéficie des luttes de nos mères et de nos grands-mères, mais le combat pour l’égalité entre les hommes et les femmes continue. C’est un personnage très moderne, et une vraie héroïne discrète. Elle n’a pas la flamboyance de sa meilleure amie, plus libérée, mais elle a une force de caractère telle que sa lumière intérieure ne s’éteint pas malgré toutes les épreuves qu’elle endure. Elle reste une femme aimante, douce, combative.
Qu’est-ce qui la guide et la fait tenir malgré tout ?
A. M. : Il y a l’amour d’abord, qui ne s’éteint jamais. Doris et Samuel sont deux âmes proches qui se reconnaissent. Il y a quelque chose hors du temps dans leur amour. Elle aime cet homme debout, libre, qui se bat pour ses convictions et s’est construit lui-même. Au fond, ils se respectent éminemment tous les deux pour ce qu’ils sont vraiment, il n’y a pas de rapport de pouvoir entre eux. Ils ont une vraie liberté dans leur façon de s’aimer et même de ne pas pouvoir s’aimer ! Elle est aussi guidée par la vision de ce à quoi ses enfants ont droit. Sa révolte contenue passe par l’idée que les enfants peuvent, eux, faire des études et s’émanciper. C’est une femme très fière. Doris tente de conquérir sa liberté toute sa vie. Et sa revanche viendra avec sa fille…
Une fiction essentiellement incarnée par des Noirs en prime time sur France 2 et un prix d’interprétation à La Rochelle. Qu’est-ce que cela suscite chez vous ?
A. M. : Pour moi, c’est une victoire et, en même temps, le fait d’en parler montre que tout reste à construire. Quand j’ai commencé mon métier, on m’expliquait que le téléspectateur n’était pas prêt à cela, qu’on n’était pas regardables à heure de grande écoute ! Vivre ça aujourd’hui, évidemment, est une victoire : celle d’un groupe de gens, scénaristes et réalisateur. Moi qui suis maman aujourd’hui et qui regarde le monde où on évolue, je me réjouis d’une seule chose : la place inédite accordée aujourd’hui à l’égalité entre les hommes et les femmes et du combat contre les violences faites aux femmes. Je m’en réjouis parce qu’à l’intérieur de ce débat, il y en a d’autres qui concernent toutes sortes de minorités mélangées.
Propos recueillis par Anne-Laure Fournier
2 x 90 min
Réalisé par Christian Faure
Scénario de Sandro Agénor, Christian Faure et Alain Agat
D’après une idée originale de France Zobda
Produit par Eloa Prod
Avec Yann Gaël, Aïssa Maïga, Sohée Monthieux, Ambroise Michel, Firmine Richard, Pierre Rousselet…