Pleins feux

« Cela fait plus d’un an, raconte Nicolas Auboyneau, directeur de la culture à France 2, que nous avions le désir, avec Line Renaud, de monter une pièce susceptible à la fois de représentations au théâtre et d’une diffusion en direct à la télévision. Le producteur Christophe Robin, à qui l’on doit déjà La Station Champbaudet et Petits Jeux sans conséquences, s’est associé au projet et nous avons pris le temps de chercher un texte qui fasse plaisir à Line et qui ait du sens, le temps de lire des pièces, d’en susciter... Sans trouver ce que nous cherchions. » « Finalement, poursuit Line Renaud, j’ai proposé une pièce avec laquelle j’ai une vieille histoire. Dans les années 50, All About Eve de Mankiewicz était l’un de mes films cultes. Je rêvais déjà de faire du théâtre et m’imaginais dans le rôle joué par Anne Baxter. Le théâtre est venu pour moi bien des années plus tard. J’avais toujours la même admiration pour ce film mais, entre-temps, j’avais davantage l’âge du rôle de Bette Davis. J’ai pris les droits de la pièce et j’ai fini par la jouer, il y a 25 ans, avec beaucoup de bonheur mais une grande frustration. Le théâtre où nous la donnions avait signé d’autres projets, il a fallu arrêter. Je me suis donc fait cette promesse de revenir un jour à ce rôle superbe que j’avais tellement désiré. Aussi, quand j’ai vu que nous ne trouvions pas la pièce idéale, j’ai relu Pleins feux et j’en ai envoyé le texte à Nicolas, à Christophe et à Lad [Ladislas Chollat]. Ils ont été emballés. Nous avons demandé à Didier Kaminka de revoir son adaptation pour en resserrer la structure et pour adapter l’intrigue à mon âge. Et c’est très réussi. J’ai retrouvé le même esprit, le même humour, la même vacherie. Qu’est-ce qu’on se balance, dans cette pièce !
Pleins feux parle donc du théâtre, avec ironie, noirceur mais aussi avec empathie. Un monde où l’on sacrifie tout pour sa passion, où les ego se déchaînent et s’affrontent, où l’on refuse de vieillir... « Dans les années 50, raconte Ladislas Chollat, Alice Margaux est une diva du boulevard dont l’heure de gloire est un peu passée mais qui remplit encore les salles en s’accrochant à des rôles qui ne lui correspondent plus. Une admiratrice (Fanny Cottençon) rêve de l’approcher, ainsi que celui qui écrit ses pièces. Elle rencontre devant le théâtre la femme de l’auteur (Raphaëline Goupilleau), laquelle lui présente l’auteur (Lionel Abelanski), lequel lui ouvre les portes de la loge où elle rencontre Alice et son ex-mari (Pierre Santini), qui est aussi son metteur en scène et le directeur du théâtre. À partir de ce moment, nous allons suivre la manière dont cette femme entre dans ce petit monde qui va devenir le sien et qu’elle va finir par bouleverser... Je ne peux pas en dire davantage pour préserver le suspense. C’est un véritable petit thriller avec des rebondissements ! C’est très noir, très drôle et, d’une certaine façon, cela finit bien : tous ces personnages, dont aucun au début n’est vraiment là où il voudrait, finissent par trouver leur place et même une forme d’apaisement. »
Pour sa part, Line Renaud s’apprête à retrouver avec gourmandise le rôle de la diva extravagante et capricieuse. « C’est un rôle de composition, pourtant, j’ai des choses en commun avec elle. Entendons-nous bien ! C’est une femme dont la grande passion est le théâtre. Je m’y retrouve. Ce métier, et en particulier le face-à-face avec le public, c’est ce qui me tient debout, ce qui me fait respirer. C’est une femme qui ne veux pas raccrocher. Et je lui ressemble aussi beaucoup sur ce point ! [Rires] Le mot retraite ne fait pas partie de son vocabulaire... Du mien non plus ! Elle râle sans arrêt, elle accable son entourage de reproches... Ça, ce n’est pas du tout moi ! Enfin, elle a peur de vieillir. C’est une autre différence entre nous. L’âge ne m’a jamais inquiétée. Il vient, il vient... Autant que ce soit le mieux possible... » Avec gourmandise mais aussi avec trac. « Ça a toujours été dans ma nature, le trac. Jusqu’à aujourd’hui, il disparaît dès que je pose le pied sur scène. Il n’empêche que c’est empoisonnant. J’ai l’impression de perdre cinquante pour cent de mes moyens. Cela ne m’est arrivé qu’une seule fois de ne pas éprouver le trac. Fin 63, je faisais ma première revue à Las Vegas. Le chorégraphe était génial mais épouvantable avec moi. Plus je progressais, plus il m’en faisait baver. J’étais malheureuse, loin de ma famille. Comme j’avais été engagée pour 3 mois ou bien la durée du spectacle, je priais pour que ça ne marche pas, afin de pouvoir rentrer chez moi. Je suis  donc montée sur scène en m’en foutant complètement... Je n’ai jamais été aussi bonne. Je suis restée deux ans ! [Rires] Parfois aussi, sans doute pour me rassurer, je repense à Tino [Rossi], qui disait  : “Quand je ne me souviens plus des paroles d’une chanson, je fais la la la...” »

C.K.G.