En France, près d’un million de personnes considérées comme vulnérables sont placées sous tutelle ou curatelle. Mais ces mesures de protection judiciaire sont-elles toujours justifiées et bien vécues ? Marina Carrère d’Encausse propose de faire le tour de la question avec un documentaire suivi d’un débat.
Comment échapper aux rouages du système lorsqu’on est simplement âgé, bohème ou quelque peu original ? Nathalie, Gilbert et Gilles ne cessent de se poser la question depuis qu’ils font l’objet d’une mesure de protection judiciaire. Un régime qui permet à un membre de la famille ou à un tiers de gérer la vie d’une personne, en cas de handicap ou de vulnérabilité. Cette protection, si elle s’avère souvent indispensable, peut être très mal acceptée par ceux qui y sont confrontés. Juge des tutelles à la cour d’appel de Versailles, Anne Caron-Déglise n’en disconvient pas : « Parfois c’est extrêmement violent, car les gens le vivent comme une dépossession de leurs biens, à juste titre. »
Mais comment se retrouve-t-on dans une telle situation ? Pour Nathalie, une artiste peintre de 58 ans, les problèmes ont démarré par des loyers impayés à hauteur de 10 000 euros. Confiée par une juge de Saint-Étienne à l’Anef, une association d’aide aux personnes en difficulté, elle s’accroche, selon ses dires, avec une assistante sociale, qui fait un signalement au procureur. La procédure est déclenchée. Après avoir reçu le rapport de l’expert médical, la juge décrète une mise sous tutelle pour cinq ans, sans même l’avoir convoquée ou notifiée, ce qui est pourtant obligatoire ! Une décision que Nathalie considère totalement injustifiée : « Ne pas être dans la norme ne signifie pas qu’on soit dément ; et on utilise cette chose — tutelle, curatelle — pour soumettre les gens à une norme qui n’est pas la leur. » Pour recouvrer sa liberté, Nathalie compte sur le soutien d’une association spécialisée dans les abus tutélaires, mais il va lui falloir de la patience.
Comme à Gilbert, un ancien chef d’entreprise de 83 ans, mis sous curatelle renforcée, un régime à peine moins contraignant que la tutelle, en raison de son important surendettement. Lui aussi veut faire appel de la décision de justice et dénonce un système qui a tendance à infantiliser les personnes âgées. Son avocate, Me Williams, résume : « Si vous voulez chauffer votre carte bleue, dilapider vos biens, vous avez le droit de mourir pauvre ; la seule raison pour mettre quelqu’un sous un régime de protection, c’est d’avoir une déficience mentale qui le met en danger personnel. » C’est loin d’être le cas de Gilbert, mais aussi de Gilles, un autre octogénaire qui se porte comme un charme. Seulement sa femme, Annie, est atteinte d’une maladie de type Alzheimer. Jusqu’à récemment, le couple vivait dans la grande propriété familiale en compagnie de leur fille Jeannine et de son compagnon. Mais, en 2016, les services sociaux s’inquiètent de l’état d’Annie. Craignant que Jeannine ne spolie son père, la juge des tutelles met Gilles sous sauvegarde de justice, une mesure temporaire en attendant le résultat de l’enquête, et nomme un mandataire extérieur. Ce dernier va rapidement recommander la vente de la maison et le placement d’Annie dans un Ehpad, ce que Gilles « ne peut pas envisager » : « Je me sens impuissant ; qu’est-ce qu’on peut faire ? J’ai toujours fait ce que je voulais et aujourd’hui je me retrouve avec des menottes presque »…
Beatriz Loiseau
Documentaire
Durée 70 min
Auteur-réalisateur Olivier Pighetti
Production Piments Pourpres Productions, avec la participation de France Télévisions
Année 2018
#LMEF