1956, naissance d'un nouveau monde

Lorsque le 25 février 1956, à Moscou, lors du XX^e Congrès du Parti communiste, Nikita Khrouchtchev convoque les délégués du parti pour une dernière session à huis clos, il n’imagine pas les conséquences de ce qu’il va leur déclarer. Pendant cinq heures et dans un silence assourdissant, il leur expose le contenu du rapport secret qui dénonce officiellement la violence du régime stalinien. « L’objectif de Khrouchtchev avec ce discours était de séparer le Parti communiste de la figure de Staline », explique Mark Kramer, directeur du centre d’études sur la guerre froide à Harvard. En quelques semaines, près de 25 millions de Soviétiques en prennent connaissance.
À Washington, le président Eisenhower, qui prépare sa candidature à un second mandat présidentiel, convoque une réunion confidentielle à la Maison-Blanche le 22 mars. Le rapport qui est parvenu aux Américains dans une version tronquée et mal traduite sème le doute et la confusion.

La crise de Suez

Le 16 juin, le ministre soviétique des Affaires étrangères, Dmitri Chepilov, arrive au Caire où il est chargé par Khrouchtchev de proposer l’aide financière de l’URSS au jeune général Nasser pour lui permettre de réaliser son grand projet : la construction du barrage d’Assouan. L’objectif du leader soviétique : soustraire l’Égypte, dont il équipe déjà l’armée, à la domination occidentale. Le 19 juillet, les États-Unis refusent leur aide financière à Nasser pour le barrage d’Assouan si les Soviétiques sont de la partie. Coup de tonnerre le 26 juillet à Alexandrie : le leader égyptien annonce la nationalisation du canal de Suez, une voie maritime stratégique pour l’ensemble du monde occidental. En humiliant ainsi l’Angleterre et la France qui en avaient le contrôle, il devient le héros du monde arabe, et le nouvel homme à abattre pour les pays européens. Pour Eisenhower, il faut absolument enrayer le déclenchement d’un conflit armé qui nuirait à sa réélection. Il entreprend de lancer une grande conférence des pays chargés de la gestion du canal. Mais le processus diplomatique ne tarde pas à s’enrayer et, le 1^er septembre, la France et l’Angleterre font le choix de la riposte.

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L’insurrection de Budapest

À Moscou, Khrouchtchev est confronté depuis juillet aux émeutes massives contre la domination soviétique à Poznan, en Pologne, violemment réprimées par les autorités polonaises, ainsi qu’aux mouvements d’intellectuels hongrois à Budapest qui militent pour une réforme du système. Il accuse les Occidentaux d’avoir fomenté ces révoltes qui menacent la stabilité de l’URSS. « Elles étaient la conséquence directe du rapport secret, précise l’historien William Taubman. Alors, quand Khrouchtchev disait que les impérialistes étaient derrière, cela lui permettait de s’exonérer de toute responsabilité dans le déclenchement de ces mouvements. » Le 23 octobre, à Budapest, lors de la gigantesque manifestation pacifique des étudiants, l’armée hongroise se range de leur côté. Cette fois, le présidium soviétique décide l’entrée des chars russes. Mais c’est un fiasco : plus de 500 soldats russes sont tués. Alors, le 28 octobre, Khrouchtchev impose un cessez-le-feu. « Il était dans une position très difficile, rappelle son fils Sergei, parce qu’il avait déclaré que le stalinisme qui contrôlait tout appartenait au passé. » Une décision qui va être lourde de conséquences pour l’URSS…

À Washington, le 30 octobre, le président Eisenhower et son secrétaire d’État John Dulles sont sous le choc. La veille, les chars israéliens ont traversé le désert du Sinaï vers le canal de Suez en infligeant de lourdes pertes à l’armée égyptienne, tandis que Français et Anglais bombardent le pays. Depuis des semaines, les trois pays ont mené des négociations secrètes. « Les Américains n’ont rien vu venir », rappelle l’historien Denis Lefebvre.
En novembre, les événements s’accélèrent : Khrouchtchev et Eisenhower, chacun de leur côté, reprennent la main sur les crises qui les menacent dans leurs intérêts, et vont changer ainsi définitivement la face du monde.

Anne-Laure Fournier