Gilles Bertin fonde en 1980 le groupe punk «Camera Silens» dont le nom est inspiré par les cellules d’isolement dans lesquelles étaient enfermés les membres de la Fraction Armée Rouge. S’ensuivent des années de musique, de défonce à l’héroïne dans des squats, d’anarchie et de vols… Il est un des cerveaux du légendaire braquage de la Brinks. C’était le 26 avril 1988. Déguisés en gendarmes, une improbable équipe de braqueurs - des punks, des anarchistes et des toxicomanes -, dévalisent les coffres de la Brinks. Bilan : 11,7 millions de francs (1,8 millions d’euros) et pas un coup de feu. La plupart des malfaiteurs sont interpellés et condamnés, sauf Gilles Bertin qui réussit à s’enfuir. Sa cavale va durer près de trente ans. Personne n’imagine alors qu’il a refait sa vie à quelques centaines de kilomètres de là, dans une banlieue populaire de Barcelone.
Alors que tout le monde le croyait mort des suites du sida ou d’un règlement de compte, il réapparait à Toulouse 30 ans plus tard, en novembre 2016 pour être jugé. La Cour d’Assises le condamne à cinq ans de prison avec sursis. Aujourd’hui il se reconstruit une vie entre celle qu’il a commencée il y a 30 ans et celle qu’il a abandonnée en cavale.
Ce documentaire est l’histoire d’une trajectoire hors norme au sein de la génération « No Future ». Celle d’un sympathisant de la lutte armée d’extrême gauche, braqueur et musicien. Raconter ce destin chaotique, c’est aussi raconter une époque: celle des années 80 quand les groupes rock et punk hurlaient leur rage désabusée, celle de la fin de la guerre froide et du nihilisme, de la lutte armée qui gagnait alors l’Europe et fascinait la jeunesse: action directe en France, ETA en Espagne, la RAF en Allemagne, les Brigades rouges en Italie et l’IRA en Irlande du Nord. C’est aussi l’époque de l’héroïne qui fait des ravages, puis du sida qui vient sonner la fin de la partie.
Note d’intention d'Eugénie Grandval – Réalisatrice
Quand j’ai lu l’histoire de Gilles Bertin dans un article de Libération de novembre 2016, j’ai été frappée par l’aspect romanesque de son histoire. Un an après, il a finalement accepté de me rencontrer.
On a rendez- vous dans un restaurant à Toulouse. Je vois d’abord une longue silhouette, un air dégingandé dont le caractère adolescent est renforcé par un sac à dos dont il tient les lanières sur le côté. Je ressens immédiatement sa sympathie, sa franchise dès qu’il me sert la main. Gilles Bertin s’est peut être caché pendant trente ans mais sa personnalité semble être à l’opposé de l’art de la dissimulation qu’il a pourtant dû cultiver pour survivre. Ce paradoxe appelle ma curiosité, même si je suis réticente à étudier son visage car j’ai peur d’y voir des stigmates violents de la maladie et d’être trop vite confrontée à sa souffrance intime. En fait on voit à peine qu’il a perdu un oeil, son regard porte plutôt une coquetterie amusée. Le reste de son visage est marqué, buriné même, à la Iggy Pop... Malgré tout ce qu’il a vécu, Gilles Bertin garde une certaine grâce juvénile, un punk qui remplit l’espace d’un charisme élégant.
Il est dans l’échange, très présent à lui- même et aux autres, humble mais assez vite je me rends compte que j’ai affaire à un homme de peu de mots. Peut- être que c’est un trait de caractère qui s’est formé pendant les 30 ans où Gilles n’a jamais pu dire qui il était. Ses silences et son attention me laissent la possibilité de lui exposer mon projet de documentaire. C’est ce qui suit qui l’a convaincu d’accepter de me faire confiance.
- Souvenirs d’enfance
J’ai grandi avec mon père qui a eu une vie extraordinaire à plein d’égards dont un épisode particulier où il a passé quelques années en prison dont il s’est évadé. S’en est suivi plus de 2 ans de cavale auxquelles il a mis fin en revenant de manière spectaculaire le jour de son procès pour se défendre seul (Fernand Pouillon «Mémoires d’un Architecte»).
La cavale revenait dans ses récits, plus que tout autre moment de sa vie, de manière obsessionnelle. Il la qualifiait de prison en plein air, d’autant plus difficile à appréhender que toute personne rencontrée a le pouvoir de vous trahir et vous envoyer en prison. Il parlait souvent du prix de la vie en cavale et pourquoi, quelque soit le montant du butin, il était impossible de tenir longtemps. Il prédisait donc avec certitude qu’un homme en cavale avait pour destin de se rendre ou de se faire prendre de façon quasi volontaire avec le temps.
La cavale de Gilles Bertin est d’autant plus extraordinaire qu’il a pendant ce temps eu un métier, fait un enfant et surtout survécu à une maladie mortelle... et honnie. J’ai eu immédiatement envie de lui demander: comment avez- vous fait pour tenir 30 ans? Comment avez- vous fait pour vous dépouiller de votre identité pendant si longtemps? Qu’est- ce qui vous a fait revenir?
- Le Droit et la Justice
J’ai étudié le droit en France (Paris II), puis aux Etats Unis (Columbia Law School) et exercé comme avocate dans les deux pays pendant quelques années avant de me tourner vers le cinéma. La question fondamentale du droit qui se pose dans chaque situation qu’elle soit juridique ou judiciaire, civile ou pénale, c’est celle de la tension entre le Droit et la Justice. Cette opposition ouvre un questionnement sans fin dans cette saga judiciaire.
Ici il y a d’une part une affaire de braquage de banque commise en 1988 dont l’instruction dure 15 ans et dont les coupables, jugés en 2004, obtiennent tous des peines de sursis. Jamais dans l’histoire, l’appareil judiciaire n’a fait preuve de tant de laxisme dans l’instruction et d’indulgence dans la décision. Naufrage judiciaire ou au contraire humanisme des juges car tous les inculpés étaient morts ou mourants car atteints du SIDA?
D’autre part, il y a l’ironie du destin de Gilles Bertin qui, ayant échappé à la police pendant 30 ans, décide de se rendre à la justice à quelques années de la prescription tant le désir de jugement et rédemption était fort. A son retour, il apprend que c’est impossible car il a été déclaré mort juridiquement. La rencontre entre la quête métaphysique de justice d’un homme avec la machine judiciaire d’un Etat de droit a créé une situation ubuesque pendant près de deux ans dont le dénouement final s’est joué le 6 juin 2018 aux Assises de Toulouse.
- Rencontre avec un terroriste repenti
Mon expérience dans la réalisation de documentaire remonte à ma participation à L’AVOCAT DE LA TERREUR mis en scène par Barbet Schroeder en 2006. J’ai participé à l’écriture et fais les interviews de ce film dont l’un des personnages est l’inspiration directe de ce nouveau projet. Joachim Klein, membre des Cellules Révolutionnaires (groupe terroriste allemand proche de la Bande à BAADER), a participé avec le terroriste Carlos à plusieurs attentats, prises d’otages (OPEP, Mogadiscio) avant de rendre les armes peu de temps après.
Il est le seul parmi tous les anciens terroristes que j’ai rencontrés à avoir gardé son «âme» ou plutôt son humanité. J’ai trouvé l’unicité de sa démarche de quête de rédemption par rapport à ses actes, et la difficulté de réintégrer une société auparavant haïe, paradoxalement positive et optimiste.
- Un parcours spectaculaire riche d’enseignements
Si la vie de Gilles Bertin est spectaculaire au point d’en faire un personnage aux dimensions d’un film de fiction, il est aussi une parabole de tout un chacun qui fait des erreurs de jeunesse au nom d’une idéologie puis, considérant les cadeaux inattendus de la vie, l’abandonne et se fraye un chemin entre résilience et rédemption pour se libérer de son passé et vivre sa liberté d’homme.
Car au fond qu’est- ce que ça veut dire réussir sa vie? Une Rolex à quarante ans? Une belle carrière? Un compte en banque bien rempli? Des enfants? Parcourir le monde? Sauver des vies? Ou plus modestement faire du bien autour de soi? Gilles Bertin n’est pas un héros ni un homme dont les succès sont remarquables. Il n’a pas non plus réalisé ses rêves d’enfant mais, à mon sens, il a réussi sa vie. Plus exactement, son parcours de vie est exemplaire car dans son cas, «ce qui ne tue pas rend plus... sage, humble et optimiste». Cela semble être le prix et la condition de sa survie.
- Les ressorts d’une authentique rédemption d’un punk
On voit souvent des histoires de voyous qui sont revenus dans le droit chemin, d’autres qui ont rencontré la foi mais jamais un trajet aussi singulier que celui de Gilles Bertin successivement punk, braqueur, survivant du SIDA, échappant à la justice pendant 30 ans pour finalement faire un acte aussi délibéré que celui de se rendre. Gilles Ber- tin est comme un chat à 9 vies. J’aimerai porter un regard qui restitue la singularité de son parcours aux multiples rebondissements mais dont le fil conducteur est une furieuse envie de vivre d’une part et l’amour de sa famille: Cécilia et ses deux fils, d’autre part.
Enfin on ne peut pas abstraire le parcours de Gilles Bertin de son époque. Il permet d’évoquer en filigrane une génération sacrifiée, coincée entre les espoirs déçus des années 70 et les années «fric», qui ne croyait plus à rien, frappée de plein fouet par le SIDA mais était encore assez candide pour se lancer dans de folles aventures. A travers le prisme du parcours de Gilles Bertin, enfant de la fin du XXe siècle, profondément anarchiste, on assiste à une mutation d’un nihilisme idéologique qu’il est pertinent d’évoquer alors que nous nous sentons - aujourd’hui à nouveau - au bord du précipice. Tous les ingrédients sont là: punk attitude, un casse parfait, la drogue, le SIDA, une cavale de 30 ans avec une rédemption à la clé. Au- delà de ces faits «clinquants», l’objet du documentaire est de comprendre comment Gilles Bertin, un punk ordinaire parti à la recherche de lui- même est, à travers ses différentes incarnations, progressivement devenu un homme au destin héroïque.
Un film de
Eugénie Grandval
Production
Magnéto
Avec la participation de
France Télévisions
Pôle Société & Géopolitique France Télévisions
Renaud Allilaire
David Amiel
Directrice de l'unité documentaires de France Télévisions
Catherine Alvaresse
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Le documentaire est disponible en visionnage sur
https://www.francetvpreview.fr